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En Alsace, une taxe poids lourds en route pour mécontenter tout le monde

La Collectivité européenne d’Alsace doit voter lundi 20 octobre la mise en place d’une taxe poids lourds. Décrié par le monde économique local, le tarif du R-Pass est aussi jugé insuffisant pour réduire le trafic de camions en Alsace.

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En Alsace, une taxe poids lourds en route pour mécontenter tout le monde
Un camion polonais.

Un serpent de mer aussi long qu’un embouteillage sur la A35 aux heures de pointe. Avec deux ans de retard, la taxe poids lourds alsacienne devrait entrer en application à partir du 1er janvier 2027. C’est le sens de la délibération qui sera votée en séance plénière de la Collectivité européenne d’Alsace (CEA) lundi 20 octobre à partir de 9h30. Au niveau national, cet impôt sur la circulation des camions avait entrainé la mobilisation des camionneurs bretons et la destruction des portiques prévus pour les compter en 2013. Alors ministre de l’Environnement, Ségolène Royal avait abandonné le projet. Mais le président de la CEA, Frédéric Bierry (Les Républicains) reste déterminé à faire voter cette taxe, nommée R-Pass.

Un an après avoir annoncé le projet, des échanges ont eu lieu, avec les acteurs économiques surtout, mais aussi avec les associations d’usagers des transports et autres militant·es pour la qualité de l’air. Mais au terme de ces discussions, la première version de la taxe poids lourds alsacienne risque bien de mécontenter tout le monde.

Cibler les transports internationaux

La taxe poids lourds proposée s’élève à une moyenne de 16,7 centimes par kilomètre. Le montant varie selon le poids et le niveau de pollution atmosphérique du camion de plus de 3,5 tonnes. Ainsi les « véhicules à émission nulle, dont notamment les véhicules électriques » n’auront pas de taxe à payer. Les poids lourds utilisés par les agriculteurs et les sylviculteurs pour transporter leurs récoltes et le bois sont exonérés de taxe. D’autres exonérations sont prévues, pour préserver « les secteurs du bâtiment, de l’artisanat, ainsi que les forains et les services d’urgence ». L’objectif du R-Pass est surtout de cibler les transports internationaux, mais qui alimentent également les industries et les distributeurs alsaciens.

Le R-Pass s’imposera sur un réseau qui inclut l’A35 et l’A36 « pour leurs parties non concédées et situées hors du territoire de l’Eurométropole de Strasbourg ». Les routes départementales 83 – entre Colmar et Sélestat – ainsi que les RD 1363, 502 et 504 font aussi partie du réseau soumis à taxation. Ces axes ont été choisis pour « limiter les comportements d’évitement de la taxe allemande », la LKW-Maut.

Pour l’opposition écologiste et communiste, le conseiller d’Alsace Damien Fremont (Les Écologistes) exprime sa satisfaction face à la mise en application future de la taxe poids lourds. Mais l’élu du canton de l’ouest strasbourgeois critique ensuite le montant de la taxe alsacienne :

« Il y a une frustration de ne pas aller assez loin. Les Alsaciens sont favorables à la taxe et veulent une amélioration de l’environnement et de la qualité de vie. Mais si le taux kilométrique n’est pas aligné sur le taux allemand, les transporteurs européens qui doivent faire la traversée nord sud de la région rhénane continueront de passer par l’Alsace. »

L’opposition à l’exécutif de droite à la CeA a déposé un amendement proposant un calendrier de croissance progressive du montant de la taxe.

Une « connerie monumentale » pour le Medef

Administrateur du Medef Alsace, Arnaud Philibert roule à fond contre le R-Pass. En charge de l’animation du Collectif pour la compétitivité des entreprises alsaciennes (CCEA), ce chef d’entreprise a le monologue facile pour dénoncer le projet de Frédéric Bierry. En résumé : « Notre position : cette taxe est une connerie monumentale. » En détail :

« À quoi sert cette taxe si elle ne repousse pas les camions vers l’Allemagne ? Elle va taxer l’économie alsacienne sans repousser le trafic vers l’Allemagne… En plus, il y aura des stratégies d’évitement de poids lourds qui rouleront sur les routes départementales. C’est dangereux et ça consommera plus de carburant, donc d’un point de vue écologique, ça ne fait pas de sens… »

Défaillance de sociétés alsaciennes de transport, inflation de 5% des tartes flambées produites en Alsace, baisse des investissements et donc des emplois… Arnaud Philibert prédit un funeste avenir à l’économie alsacienne. Puisqu’il sait que la taxe poids lourds n’est plus qu’une question de temps, l’entrepreneur promet désormais de « marquer à la culotte » le président de la CeA sur les recettes de la taxe :

« Frédéric Bierry a indiqué que 100% de ce qui est pris aux entreprises alsaciennes serait reversé aux entreprises alsaciennes. On attend maintenant que ces millions d’euros de taxation nous reviennent par le biais des aides de la Région Grand Est pour la mobilité décarbonée, la décarbonation et la sobriété hydrique des entreprises. »

Une attente qui supposerait que Frédéric Bierry serait d’accord pour que la collectivité qu’il dirige taxe, et que la collectivité qui donne soit la Région Grand Est, la même dont Frédéric Bierry essaie de s’émanciper. Ce sera délicat.

En Alsace, près d’un millier d’entreprises sont inscrites au registre du commerce dans le domaine du transport routier. Ces sociétés représentent 20 000 emplois au total selon la Fédération nationale des transporteurs routiers. La secrétaire générale de la branche alsacienne de cette fédération, Martine Bensa, espère désormais obtenir le vote d’une « loi de répercussion » :

« On est sur un marché tendu niveau des transporteurs. Quand vous êtes en face d’acheteurs de grands groupes, nous ne pouvons pas négocier le tarif, d’autant que des transporteurs étrangers peuvent faire le travail… Il nous faut donc une loi qui dise que les transporteurs doivent répercuter l’impôt de la CeA dans ses prix. »

Une « augmentation indirecte des impôts »

Du côté de la Fédération nationale des associations d’usagers des transports, la position globale est bien plus favorable au principe de la taxe poids lourds. « Les véhicules qui abiment les routes doivent contribuer à leur réparation », explique le président de la branche Grand Est de la Fnaut, André Lott. Mais ce dernier se dit « réaliste » sur les conséquences financières du R-Pass : « Des prix vont augmenter, la taxe poids lourds est une augmentation indirecte des impôts. »

André Lott se montre ainsi peu critique du montant de la taxe : « L’idée de la taxe c’est de générer une recette. Il ne faut donc pas détourner tout le trafic. » Mais la voix du représentant de la Fnaut s’élève quand il apprend que la délibération votée par le CeA prévoit le financement d’un élargissement de la A35 entre Sélestat et Colmar : « Là c’est clairement non non et non ! On le voit partout : l’augmentation de la largeur des voies provoque une augmentation du trafic automobile et poids lourds. »

Sans doute conscient des critiques de toutes parts que suscitera la taxe poids lourd dans sa première version, le texte de la délibération prévoit « une concertation élargie à la société civile qui se renforcera en 2026 ». De même, un observatoire de la taxe sera mis en place au 1er janvier 2026. L’objectif sera notamment d’évaluer le report de trafic généré par la taxe, suivre les recettes du R-Pass et mesurer la pollution atmosphérique et sonore post-taxe poids lourd.


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