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Rentrée des réfugiés ukrainiens dans les écoles : « J’avais hâte de me scolariser pour ne plus y penser »

Après l’invasion russe en Ukraine le 24 février, 831 élèves réfugiés se sont inscrits dans les écoles alsaciennes et ont fait leur rentrée jeudi 1er septembre. Les familles et les professeurs chargés des classes pour les élèves parlant une autre langue sont satisfaits des conditions d’accueil. Mais certains professeurs craignent une surcharge des classes.

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Rentrée des réfugiés ukrainiens dans les écoles : « J’avais hâte de me scolariser pour ne plus y penser »

Pour la pause de midi, Amina passe rapidement les grilles du collège Jules Hoffmann à la Robertsau. Cette élève de 15 ans fait partie des 831 enfants ukrainiens inscrits dans une école alsacienne jeudi 1er septembre. Elle rentre en classe de troisième et a intégré le collège le 26 mars 2022, après avoir quitté Koupiansk avec sa mère et son frère, une ville de la province de Kharkiv sous occupation russe depuis l’invasion du 24 février :

« C’était une période difficile, on a attendu dehors à la frontière polonaise, il faisait -7 degrés. On a ensuite pris un bus pendant 36 heures jusqu’en France. On connaissait quelqu’un qui vivait à la Wantzenau et qui nous a accueilli, c’est chez lui que l’on vit depuis. Mes grands-parents sont restés là-bas parce que mon grand-père a moins de 60 ans et devait rester pour soutenir les forces armées. J’avais hâte de me scolariser parce que cela me permettait de ne plus penser à tout cela. »

Yelizar, venu d’Ukraine il y a un an et demi, et Amina, venue en mars. Photo : DC / Rue89 Strasbourg / cc

Intégration progressive en classe ordinaire

Ses premiers mois à l’école se sont passés au sein d’une UPE2A (Unité spécialisée pour élèves allophones arrivants), classe spécialisée pour les élèves dont le français n’est pas la langue maternelle. Malgré le choc du départ et l’inquiétude pour ses grands-parents, elle trouve réconfort dans son intégration :

« Les élèves sont majoritairement des réfugiés, et nous sommes huit Ukrainiens au total. On a parfois vécu des choses similaires. Tout le monde a un niveau différent en français, ceux qui parlent le mieux apprennent à ceux qui viennent d’arriver. »

Pour la rentrée, elle intégrera pendant deux semaines et pour la première fois les classes classiques de son collège. Elle retournera ensuite en UPE2A et suivra des cours en classe ordinaire, dispensés entièrement en français. Ce système permet une intégration progressive au cursus et à la pédagogie classique, selon Carole Lostetter, responsable de l’UPE2A du collège :

« On commence par les mettre en classe de mathématiques parce que c’est plus universel. On continue avec de plus en plus de disciplines classiques, jusqu’à une sortie complète du dispositif. Cette période en UPE2A dure dix mois, ou moins selon la progression des élèves. »

Une période d’adaptation pour les professeurs

Pour la rentrée 2022, seize dispositifs UPE2A ont été créés dans l’académie de Strasbourg selon le rectorat, dont cinq en collège, cinq en lycée et six en école primaire. L’une d’entre elles a ouvert à la rentrée au lycée technologique Louis Marchal de Molsheim, une ville à l’ouest de Strasbourg. La classe accueillera douze élèves, tous ukrainiens, comme le précise le proviseur adjoint Daniel Kuhn :

« C’est une proposition faite par la Casnav (une structure de l’éducation nationale spécialisée dans l’accueil des enfants allophones, NDLR) de créer cette classe dans notre lycée. Le lycée avait accueilli cinq ukrainiens l’année dernière, on a fonctionné en les intégrant à nos classes. Un enseignant leur dispensait une dizaine d’heures de cours de français par semaine. Dans cette nouvelle section, nous accueillons sept autres élèves ukrainiens qui étaient dans d’autres lycées de Molsheim et Rosheim. »

Les familles arrivées dans des endroits sans classe spécialisée ont donc dû s’adapter, comme l’explique Stéphanie Sempéré, responsable du syndicat Unsa Enseignants :

« Les UPE2A se situent surtout dans le Bas-Rhin, en milieu urbain. À la campagne, les élèves sont parfois accueillis sans la structure, donc directement dans la classe. C’est minoritaire, mais ce n’est pas forcément adapté pour des élèves traumatisés et qui ne parlent pas la langue. »

Le collège Jules Hoffmann, à la Robertsau, accueille une classe de 24 allophones, dont 8 ukrainiens. Photo : DC / Rue89 Strasbourg / cc

Des classes déjà surchargées

Le rectorat ne donne pas de chiffre précis sur les répartitions de classes UPE2A en Alsace. Carole Lostetter du collège Jules Hauffmann constate elle aussi, chaque année, des arrivées d’élèves d’UPE2A dans des classes de 30 élèves, le seuil maximal pour le collège :

« Ils se retrouvent dans des classes surchargées de 31, 32 élèves, voire plus. Même si l’académie a créé plus de dispositifs UPE2A, ce qui est une bonne chose, elle tend plutôt à réduire le nombre de classes ordinaires qu’à créer des places pour les élèves allophones dans ces dites classes. »

Concernant la création de classes supplémentaires accompagnant les UPE2A, Olivier Faron, recteur de l’académie de Strasbourg, explique que celles-ci se feront, de manière générale, « à certains endroits et selon les besoins », mais ces créations ne seront pas forcément liées aux UPE2A. Le syndicat Unsa Enseignants estime qu’une solution pourrait être la création de places réservées pour ces élèves en classe classique, une solution qui n’est pour le moment pas envisagée par le rectorat.

Un avenir incertain pour les élèves

Ces mesures sont d’autant plus compliquées à mettre en place que l’avenir des élèves ukrainiens en France n’est pas déterminé. Certaines familles et leurs enfants ont déjà fait le choix de rentrer en Ukraine pendant l’été, mais elles restent une minorité selon le rectorat. C’était le cas de Bogdan, un adolescent que Jérôme Sénégas, professeur de technologie dans le collège Jules Hoffmann, avait accueilli en mars.

Le jeune homme est reparti en juillet pour rejoindre sa famille. L’enseignant le connaissait depuis quelques années par le biais de l’association alsacienne « Les enfants de Tchernobyl », qui propose des vacances de trois semaines aux enfants issus des régions touchées par la catastrophe nucléaire du 26 avril 1986 :

« On échangeait avec la famille par courrier. Quand l’invasion a commencé, on a récupéré le numéro de Bogdan. Le 15 mars 2022, quand les chars russes arrivent dans son village, sa mère nous a dit qu’il fallait qu’il parte. »

Détermination et entraide

Sa mère décide de le ramener en France et effectue des démarches pour déléguer son autorité parentale à Jérôme, lui permettant de scolariser son enfant en France, avant de repartir elle-même en Ukraine. Jérôme se souvient de la détermination de Bogdan pour suivre sa scolarité loin de sa famille :

« Il a suivi quatre mois de cours au sein du collège, pendant l’après-midi. Il était en visioconférence le matin pour les cours de son lycée ukrainien, de même que le mercredi. »

Avec cette même détermination, Amina, l’élève de troisième au collège de la Robertsau, pense continuer ses études en France. Passionnée de littérature anglophone, elle veut partir en Angleterre et devenir diplomate. Les difficultés de son intégration dans les classes classiques n’entament pas sa motivation :

« Les élèves et les professeurs ici sont très accueillants. Je sais que je pourrais toujours compter sur eux pour m’aider à suivre les cours s’il y a des notions difficiles, et j’ai confiance en moi pour la suite. »

Carole Lostetter, la responsable UP2A du collège Jules Hoffmann, commencera ses cours dans deux semaines.


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