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Dans les chambres des Ehpad

Ils sont les vieux, les seniors, et ils sont invisibles, cloitrés dans les Ehpad de Strasbourg. Nous sommes allés les rencontrer pour prendre de leurs nouvelles et leur tirer le portrait.

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Dans les chambres des Ehpad

En mars 2020, le Covid et le confinement avaient ouvert une fenêtre sur les conditions de vie en Ehpad et en maison de retraite des personnes âgées. En mars 2022, le livre de Victor Castanet, Les Fossoyeurs, a mis en évidence la gestion infamante des établissements gérés par Orpea. 

Entre ces deux événements, en 2021, nous avons eu l’occasion de rencontrer plusieurs résidents d’Ehpad strasbourgeois. Parcours de vie truculents ou paisibles, intérieurs kitsch, surprenants ou simples : ces femmes et un homme ont accepté de se confier. Une partie de cette mosaïque est publiée ici et rappelle la singularité de ceux qu’on désigne souvent par le troisième âge, les vieux, etc. 

Marie-Thérèse Defontaines

Coquette et loquace, Marie-Thérèse Defontaines est une figure dans sa maison de retraite, où elle est élue au conseil des résidents. Elle considère même l’animatrice « comme sa fille », et elle est de toutes les sorties. Mère de deux fils, trois fois grand-mère, elle a exercé plusieurs emplois avant de faire carrière dans le milieu de la publicité. Ses agendas sont griffonnés d’événements du quotidien : rien n’échappe à son attention.

« Quand j’ai divorcé, il y a eu des problèmes. J’ai récupéré mon deuxième fils quand il avait 16 ans. Jusqu’à 29 ans, il est resté avec moi ! C’était un Tanguy ! Après, il a travaillé à Paris. C’était un beau garçon ! Puis bon, je n’ai plus trop de nouvelles maintenant… »

Odile Henry

Orpheline, Odile Henry a passé son enfance dans les Vosges auprès de ses parents adoptifs. À l’adolescence, elle entre dans une usine de tissage, puis elle est embauchée par un industriel pour s’occuper des enfants. À 21 ans, elle apprend l’existence de sa sœur aînée et la rejoint à Nancy. C’est à un bal du 14-Juillet qu’elle rencontre son mari. Ils auront ensemble trois enfants et une famille très soudée. Désormais veuve, elle continue de poser un regard doux sur la vie et les gens.

« On a été mariés 54 ans, et c’était 54 ans de bonheur. On se disait tout le temps qu’on s’aimait, il ne faut pas avoir peur de le dire. Ici, je suis bien, je termine bien ma vie, je n’ai pas à me plaindre. Mais j’aurais aimé finir ma vie avec lui, on s’entendait vraiment bien. C’est ce qui me manque le plus. »

Marie-Thérèse Erat

Avec une voix espiègle de jeune fille, Marie-Thérèse Erat raconte… Sa vie à l’Esplanade, ses petits boulots de vendeuse, ses frères disparus pendant la guerre, ses petits-enfants qui font de longues études « alors que ça ne sert quand même à rien ». Quand ses enfants étaient plus jeunes, malgré les journées bien remplies de chacun, les repas étaient toujours pris en commun à la table familiale. Son mari est décédé des suites d’un AVC il y a un peu moins de 10 ans. Elle est restée très proche de son fils et de ses deux filles.

« À ma table ici, il y a une personne en fauteuil roulant… Elle ne voit plus et elle n’entend presque plus, mais on se comprend quand même et on arrive encore à rire ensemble. Mais pour faire votre photo, je ne vais pas rire, non ! »

Raymond Thomas

Raymond Thomas peine à résumer sa vie, entre ses exploits sportifs — il est toujours champion de France en handball à l’époque où il se jouait à 11 contre 11, une combinaison interrompue juste après le titre de son équipe ! —, son épouse adorée et fort regrettée, sa carrière aux cent rebondissements menée dans les tanneries… Tant d’aventures lui laissent finalement un arrière-goût un peu amer, maintenant qu’il faut s’adapter au rythme plus lent de la vie en Ehpad et aux petites misères de l’âge. Pour garder une trace de son parcours haut en couleurs, il a écrit un livre il y a une quinzaine d’années, qu’il n’a pas souhaité faire publier. 

« Chez Costyl Tanneries de France, on m’avait confié les exportations vers les pays de l’Est. À ce moment là, on était tous partis dans le Sud-Ouest de la France. Je ne sais pas combien de fois j’ai passé le checkpoint Charlie à Berlin. Imaginez un peu : passer du climat et de l’ambiance du Sud-Ouest à l’ambiance des agents du bloc Est… C’était quelque chose ! »

Lydie Pfanner

Lydie Pfanner n’a pas laissé la vie décider pour elle. Après une enfance passée en Moselle, avec neuf frères et sœurs, et « entre quatre usines », elle a quitté son mari à une époque où ça n’avait rien de courant. Venue trouver refuge à Strasbourg, elle y a élevé seule ses trois enfants, dans la joie malgré les difficultés. De mains tendues en petits boulots, elle a pu gagner son indépendance. Elle est ensuite devenue agent de service à l’hôpital, au sein d’équipes soudées, bien au-delà des barrières hiérarchiques. Un esprit d’entraide qu’elle a retrouvé également dans le quartier de la Meinau, où elle a vécu de nombreuses années.

« Je me suis mariée une deuxième fois, à l’âge de 72 ans. Il était beaucoup plus âgé que moi, alors je n’ai vécu que quatre ans avec lui. On a eu un grand bonheur ensemble. Quand il est décédé, j’ai décidé de venir ici. »

Suzanne Germain

Suzanne Germain est une femme énergique, qui aime plaisanter et ne s’en laisse pas compter. Mais c’est en pleurant qu’elle parle de Marguerite, une amie d’enfance atteinte de la maladie d’Alzheimer, à qui elle a rendu visite tous les jours jusqu’à son décès. Elle a d’ailleurs choisi de reprendre la chambre de cette dernière à la maison de retraite, où elle vit des jours heureux et n’hésite pas à aider les résidents moins autonomes. Prendre soin des autres semble en réalité être dans sa nature : Mme Germain a passé plus de trente ans à s’occuper de jeunes enfants dans une crèche strasbourgeoise, après le décès prématuré de son premier mari. Ses trois enfants sont aujourd’hui aux petits soins pour elle. 

« Je dis souvent à mes enfants : j’étais toute seule avec vous, je n’avais pas le temps de dire « oh mes enfants ! » et tout le tralala. Tandis que mes petits-enfants… alors là ! Ils sont ma raison de vivre, je ne pourrai pas être sans eux ! »

Marie-Thérèse Bech-Klein

Atteinte de différentes pathologies, physiques et mentales, Marie-Thérèse Bech-Klein ne parvenait plus à rester seule dans son appartement. Sur les conseils de sa famille, elle est entrée en maison de retraite dès l’âge de 63 ans. Plus jeune, elle a travaillé chez Zeiss, un fabricant de verre et de lentilles, à la Meinau, puis son mari lui a demandé de se consacrer à l’éducation de ses enfants. À la mort de ce dernier, alors que les enfants étaient adolescents, Mme Bech-Klein s’est accrochée pour gagner sa vie. Son fils est décédé dans un accident de poids lourd, mais elle a de bonnes relations avec sa fille. Aujourd’hui, son moral connaît des hauts et des bas, mais elle apprécie l’ambiance de la maison de retraite.

« Je suis une des seules à avoir encore une voiture. C’est une Fiat 500, facile à garer. Je fais des petits trajets vers Illkirch, Eschau ou Plobsheim pour rendre visite à des amis. Je vais aussi chez les beaux-parents de ma fille quand ils gardent les petits, comme ça on passe un peu de temps ensemble. »

Lucie Knab

Après son mariage, Lucie Knab s’est installée à Neudorf avec son mari. Elle s’est occupée de ses deux enfants et a aidé une voisine… La vie a passé tranquillement, jusqu’à la mort de son époux : Lucie Knab est alors retournée dans son village natal, où son frère et ses parents habitaient toujours, et a retrouvé la ferme familiale. En 2018, elle a finalement laissé la maison à l’une de ses neuf petites-filles pour s’installer dans une maison de retraite à deux pas du travail de sa fille, qui vient la voir régulièrement.

« Les parents ne doivent pas rester chez les jeunes, les jeunes, ils veulent être heureux. Moi aussi, j’ai aimé être seule. Mais à la fin chez moi, j’avais peur la nuit… mais la nuit, on devrait dormir, pas avoir peur. Alors je suis venue ici. Ici ça me plaît, on se réunit, on se connaît. »

Yvette Fischbach

D’abord enseignante d’allemand, Yvette Fischbach a eu une seconde carrière de « censeur », (proviseure adjointe) dans le Nord et à Paris. C’est au moment de la retraite qu’elle a déménagé à Strasbourg. Son mari, lui, n’a jamais pu retrouver son Alsace natale : il est décédé juste avant le déménagement. Pour ne pas sombrer dans la solitude, Yvette Fischbach s’est inscrite à un club de marche où elle a tissé des liens solides. Des problèmes de santé l’ont incitée à entrer en Ehpad.

« J’ai habité à la Krutenau, et jusqu’à au moins 85 ans je faisais tout à pied. Mon mari avait choisi l’appartement, un duplex entièrement dans le toit, inondé de soleil. Maintenant, c’est inoccupé, il va falloir que m’en débarrasse… Je n’y retournerai pas, à quoi bon le garder… »


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