Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Les Roms du bidonville de Cronenbourg n’en « peuvent plus de cette vie là »

Près d’une centaine de Roms vivent dans un bidonville infesté de punaises de lit et de rats, à côté de l’autoroute, à l’entrée de Cronenbourg. Leur seul accès à l’eau se trouve à 350 mètres. À la demande de la Ville, un plan de résorption a été initié fin juillet afin de proposer des solutions aux habitants de ces baraquements insalubres.

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Les Roms du bidonville de Cronenbourg n’en « peuvent plus de cette vie là »

À l’entrée de Cronenbourg, une quarantaine de cabanes de tôle, de bois et de placo bordent une bretelle d’accès à l’autoroute M35. Des Roms se sont établis dans ce bidonville depuis avril 2019, près du dépôt de la Compagnie des Transports Strasbourgeois (CTS). Au départ, leur nombre variait en fonction des saisons et des allers-retours entre la France et la Roumanie selon Pablo, fondateur des maraudes des Vélos du cœur : « En 2021, après le covid, ils étaient revenus plus nombreux, environ 70 ». Il compte près d’une centaine d’occupants à l’été 2023, dont une vingtaine d’enfants.

Invasion de parasites

En cette fin d’après-midi d’août, un homme sort de sa baraque pour révéler les multiples piqûres qu’il a sur le ventre. De nombreux habitants disent « se gratter en permanence » à cause d’une invasion de punaises de lit. Elvis, un jeune adulte établi à Strasbourg depuis 2008, pointe du doigt une baraque :

« Huit personnes dorment dans cette cabane. Ça fait des mois qu’elle est infestée de ces bestioles. C’est horrible de dormir avec elles, mais c’est toujours plus sûr que de dormir dehors avec les rats. »

Un rongeur d’une trentaine de centimètres illustre les propos d’Elvis en passant près de lui. Les Roms cohabitent avec eux toute l’année mais ils sont plus nombreux lors des fortes chaleurs.

Simplan, la mère de Dominica, fait aussi face à une invasion de punaises de lit. Sa belle-fille Rebeca est visible dans le reflet du miroir Photo : RM / Rue89 Strasbourg

« Mes enfants font leurs besoins dehors »

En plus des nuisibles, des familles dénoncent leurs difficultés pour accéder à l’eau. Un robinet est disponible pour elles depuis 2021 devant les locaux de l’association les Restaurants du cœur, à 350 mètres du bidonville. Les Roms se disent fatigués de devoir passer sous le pont de la M35 et traverser des routes d’accès au centre-ville très fréquentées. « L’eau part très vite, on doit faire des aller-retours tous les jours », regrette Elvis. Il poursuit :

« Lorsqu’il fait très froid en hiver, ils sont obligés de couper l’eau afin d’éviter que les tuyaux ne gèlent. Dans ces cas-là, on se déplace jusqu’au centre-ville, où l’on peut trouver des points d’eau avec une pompe manuelle. C’est difficile de porter des bidons de 20 litres jusqu’ici. On n’en peut plus de cette vie là. »

Quant aux toilettes, ce n’est que depuis mai que quatre cabines ont été mises à disposition par la Ville. Mais selon Elvis, elles sont souvent hors d’usage :

« Il y a des problèmes d’écoulement. Moi, je n’arrive pas à utiliser ces toilettes, parce qu’elles sont tout le temps bouchées. Des gens viennent pour les nettoyer de temps en temps, mais elles sont à nouveau condamnées très rapidement… Mes enfants font leurs besoins dehors. »

Scolarisation difficile

De part et d’autre du bidonville, de jeunes enfants déambulent au gré des baraques ou des meubles entreposés. Leurs rires se mêlent au bruit intarissable des voitures qui filent sur l’autoroute à quelques mètres. Depuis mars 2023, des familles sont arrivées avec une vingtaine d’enfants, dans le but de les scolariser.

En Roumanie, les Roms sont gravement stigmatisés depuis des décennies, avec un accès au travail et au logement quasi-impossible. Les membres de cette communauté sont donc habitués à vivre dehors, principalement en mendiant. Parfois, des entreprises les emploient pour des missions éparses à la journée.

En septembre 2021, les personnes interrogées dans le bidonville par Rue89 Strasbourg n’exprimaient pas de volonté de trouver un autre hébergement. Deux ans plus tard, avec la dégradation sanitaire du site, Dominica souhaite désormais un habitat plus digne pour sa famille. Elle a obtenu un dossier pour inscrire ses trois filles à l’école primaire pour la rentrée 2023, après de nombreuses allées et venues entre la mairie et la préfecture.

Dominica, 40 ans, pose avec ses deux enfants qu’elle peine à scolariser Photo : RM / Rue89 Strasbourg

Ses longs cheveux noirs ne masquent pas son air préoccupé. En secouant la tête, elle explique avoir été bloquée le matin même – n’ayant pas d’ordinateur à disposition – sur une plateforme internet (« Mon bureau numérique ») qui permet aux parents et aux enseignants d’échanger dans l’Académie de Strasbourg :

« C’est pourtant obligatoire de scolariser les enfants en France, je ne comprends pas pourquoi c’est si compliqué… Ça ne me rassure pas pour la suite, je ne sais toujours pas si mes enfants pourront aller à l’école à la rentrée. »

Plan de résorption

Germain Mignot, chargé de mission à la fondation Abbé Pierre (par ailleurs élu communiste au conseil municipal) l’aide à remplir ses dossiers. Il dénonce les difficultés qu’elle rencontre pour inscrire ses enfants à l’école :

« La Ville (en charge des inscriptions dans les écoles maternelles et primaires, NDLR) ne s’est même pas souciée de savoir si elle savait lire ou écrire. Et elle ne sait pas écrire. Il n’y avait pas de traduction disponible en roumain. Si l’inscription est bien réalisée, les enfants sont scolarisés théoriquement, rien ne s’y oppose. Mais des mineurs peuvent se retrouver sans école à la rentrée à cause du manque d’accompagnement. »

Interrogée par Rue89 Strasbourg, Marie-Dominique Dreyssé, vice-présidente de l’Eurométropole en charge des solidarités, annonce que l’Eurométropole, la Ville de Strasbourg et la préfecture souhaitent mettre en œuvre un démantèlement progressif du bidonville :

« Suite à un signalement du bidonville par la Ville de Strasbourg en septembre 2022 auprès de la Direction interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (Dihal), des financements ont été débloqués en juillet 2023. Désormais, nous allons engager, avec la préfecture, une maîtrise d’œuvre urbaine et sociale (MOUS) : cela nous donnera le cadre et le financement pour appréhender les besoins de chaque personne sur le camp et lui proposer une solution. »

Des Roms ont construit une quarantaine de baraquements à côté de l’autoroute M35 (Photo RG / Rue89 Strasbourg/cc).Photo : Roxanne Machecourt / Rue89 Strasbourg

Vers un village temporaire ?

Une telle démarche avait déjà eu lieu suite à l’installation de bidonvilles à Strasbourg au début des années 2010, et avait abouti à la mise en place de villages temporaires rue du Rempart en 2011 et au Fort Hoche en 2013, avec des caravanes et des maisons mobiles. Les personnes y ont été accompagnées pour trouver un emploi et un appartement en location.

Une réponse qui « semble aller dans le bon sens » pour Germain Mignot, même si « rien n’est encore très précis pour l’instant ». Il déplore cependant que la municipalité ait mis autant de temps à réagir et que la Fondation Abbé Pierre ainsi que les Vélos du cœur – organisant régulièrement des maraudes sur le campement – n’aient pas encore été sollicités :

« Il n’y a que Médecins du monde (MDM) qui travaille avec les élus. C’est dommage parce qu’ils s’axent surtout sur les questions de santé, mais ils ne font pas d’accompagnement social. Nous, nous avons davantage de recul sur ce vers quoi les familles peuvent aspirer puisque nous les connaissons mieux. Ça aurait été plus intéressant de se coordonner plutôt que de rester chacun dans son coin. »

« Nous aussi, on aimerait pouvoir travailler »

Au fond du bidonville, Lupu, la cinquantaine, coiffé d’un chapeau panama, retrace sept années de mendicité à Strasbourg depuis 2016. Comme certains de ses voisins, il était déjà présent sur un campement concerné par un plan de résorption rue des Remparts. Ces procédures ne fonctionnent donc pas pour tout le monde. Il explique qu’il était en Roumanie quand le recensement pour intégrer un village temporaire à Cronenbourg a eu lieu :

« Pourquoi est-ce aussi compliqué ? Nous sommes des citoyens européens (le marché du travail est ouvert aux Roumains depuis 2014, NDLR). Tous les jours, je vais jouer de l’accordéon dans le centre-ville. Je suis reconnaissant d’être toujours là, mais j’aimerais juste pouvoir trouver un vrai travail. »

Elvis atteste du même désarroi. « Je ne reviens qu’avec 3 euros aujourd’hui », montre-t-il du creux de sa main :

« Maintenant, je dois choisir entre nourrir mes enfants ou alimenter le groupe électrogène. Évidemment, les enfants sont ma priorité, mais ça veut dire que nous n’aurons toujours pas d’électricité ce soir. Mendier, ce n’est pas une vie, et puis on sent bien que les gens en ont marre de voir nos têtes. Tout le monde va au travail. Nous aussi, on aimerait pouvoir travailler ! »

Chaque baraque du bidonville de Cronenbourg est numérotée à la peinture noire (Photo RM / Rue89 Strasbourg/cc).

La première étape du plan de résorption devrait être des visites de travailleurs sociaux au bidonville. « Aucune date n’a encore été fixée », regrette Marie-Dominique Dreyssé : « Ça fait des mois que je suis dans l’attente d’informations complémentaires. J’espère seulement que ça se fera rapidement. »


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