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Stefan Alt, expert de Stocamine : « Personne ne peut prétendre que cette décharge est sûre »

Stéphane Alt, ancien membre du comité de pilotage de Stocamine, estime que cette décharge souterraine a été mal conçue. Alors que l’État français est sur le point d’enfouir définitivement 42 000 tonnes d’éléments contaminés sous la nappe phréatique, il évoque des projets de déstockage de déchets similaires en Allemagne.

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Stefan Alt, expert de Stocamine : « Personne ne peut prétendre que cette décharge est sûre »

Le géologue allemand Stefan Alt a participé au comité de pilotage de Stocamine en 2010 et 2011, une instance chargée à l’époque de produire des recommandations sur la fermeture du site, en examinant les possibilités de déstockage ou de confinement définitif. Dans son rapport final, ce comité avait finalement conclu que la meilleure solution était de confiner la quasi-totalité des déchets, exceptés les plus solubles.

Stefan Alt a également travaillé en tant qu’expert pour le ministère allemand de l’Environnement, notamment dans le cadre du processus de recherche d’un site de stockage irréversible pour les déchets nucléaires. Plus de 10 ans après le comité de pilotage de Stocamine, à l’heure où l’État français est sur le point d’enfouir pour l’éternité 42 000 tonnes d’éléments contaminés au cyanure, à l’arsenic ou à l’amiante sous la nappe phréatique, le scientifique estime que cette opération est risquée pour la ressource en eau potable. Entretien.

Rue89 Strasbourg : Qu’avez vous pensé de Stocamine lorsque vous avez commencé à examiner la situation dans le cadre du comité de pilotage ?

Stefan Alt : De mon point de vue, la décharge n’a jamais été réellement stable. Les mines de sel démantelées situées au-dessus de Stocamine sont fondamentalement instables en raison de la méthode d’exploitation : on a laissé de grands espaces de soutènement après la fin de l’exploitation minière, sachant qu’ils s’effondreraient. Le sel se déplace et a tendance à combler les espaces vides. Cette dynamique crée des fissures par lesquelles les anciennes mines seront inondées par les eaux souterraines au cours des prochaines décennies.

« C’était clairement une mauvaise idée »

Cela ne peut pas être évité, c’est la norme pour de telles mines de sel. C’était clairement une mauvaise idée de construire une décharge de déchets spéciaux en-dessous d’une ancienne mine. L’espacement vertical entre les galeries de Stocamine et les anciennes mines est insuffisant, ce qui a conduit à la formation de fissures entre la décharge et les anciennes mines. Les eaux souterraines pourront donc s’infiltrer à l’avenir. La zone de la décharge est déjà fortement déformée aujourd’hui.

Lorsque la décharge finira par être submergée, un mélange complexe de substances toxiques avec une forte concentration de saumure de sel entrera en contact avec l’eau de la nappe. Les conséquences réelles pour les eaux souterraines sont incertaines. (Des études et des modélisations sur l’impact de ces déchets sur la nappe phréatique existent mais elles comportent des lacunes, voir notre article dédié, NDLR).

Stefan Alt. Photo : remise

Cependant, dans le comité de pilotage, vous n’étiez pas fondamentalement opposé à un confinement définitif des déchets…

Mon point de vue à l’époque, c’était que stocker ces déchets en surface et les surveiller pendant les 10 000 prochaines années, en espérant que nos descendants trouvent une solution n’avait aucun sens. Si nous avions eu, par exemple, une méthode pour détruire les métaux lourds, j’aurai été absolument favorable au déstockage, mais nous n’en avons pas. Maintenant, je pense que ces déchets toxiques doivent être placés dans un endroit plus sûr.

« Il existe un risque à long terme »

Que pensez-vous du confinement à l’aide d’un barrage en béton ?

Ces barrières sont à la pointe de la technologie. On peut construire des scellements stables avec un béton spécial à base de sel. L’objectif, c’est que le scellement fusionne avec les parois des galeries au fil du temps et que cela forme une masse rocheuse plus ou moins homogène qui entoure les déchets et empêche l’eau d’entrer en contact avec eux. Cependant, à Stocamine, ces barrières ne résoudront probablement pas le problème fondamental de l’instabilité entre la décharge et les anciennes mines de sel.

Comment évaluez-vous le risque pour les eaux souterraines en cas de confinement ?

Les experts français ont modélisé les quantités de substances polluantes qui vont se diluer dans les eaux souterraines en fonction de la convergence des galeries qui se referment petit à petit. Ce mouvement provoquera une pression sur l’eau polluée dans les galeries qui remonteront vers la nappe phréatique.

Je ne parlerais pas d’un risque aigu dans le sens où on pourrait retrouver de l’eau hautement toxique sur un point de captage dans peu de temps. Mais il existe un risque à long terme pour la ressource en eau potable.

Les responsables de Stocamine et le gouvernement français soutiennent que, grâce à l’effet de dilution des polluants, la ressource en eau potable n’est pas menacée. Qu’en pensez-vous ?

Je ne peux pas vérifier leurs calculs. Cependant, je trouve qu’il s’agit d’une approche très discutable sur la manipulation de substances toxiques. Il y a plusieurs décennies, il y avait des industriels qui disaient : déversons simplement les déchets dans la mer, ils seront tellement dilués qu’ils ne seront plus toxiques. C’est le même principe qui est appliqué à Stocamine. S’ils voulaient prendre le risque que les substances toxiques soient diluées dans les eaux souterraines, il fallait le dire clairement dès le départ.

« Un déstockage couterait trois ou quatre fois plus cher »

Selon vous, quel est le niveau de risque d’un déstockage ?

Je ne pense pas qu’il soit impossible de récupérer les déchets dans de bonnes conditions de sécurité. Cela n’est pas non plus sans risque, il faut toujours le souligner. Il existe des technologies minières, des techniques de récupération et de traitement des déchets qui permettent ce genre de procédé (voir notre article dédié, NDLR). Actuellement, des recherches sont menées en Allemagne pour des déstockages comparables à celui qui pourrait être réalisé à Stocamine.

Par exemple, des scientifiques préparent un déstockage dans la décharge souterraine de la mine de Asse à Wolfenbüttel, pour récupérer des fûts défectueux contenant des déchets radioactifs, les amener à la surface, les reconditionner et les transporter vers un site de stockage approprié. Je crois vraiment que, en fin de compte, le déstockage est possible et que c’est une question d’argent : un déstockage couterait trois ou quatre fois plus cher que le confinement. Mais la question financière ne devrait pas être déterminante lorsqu’une ressource en eau potable est en jeu.

En France, la question des coûts semble importer. En tout cas, le gouvernement opte pour la fermeture et contre un déstockage, qui serait nettement plus coûteux…

La situation a Stocamine n’est pas un incident malheureux, le projet était mauvais dés sa conception, et cela a été mis en lumière par l’incendie de la décharge en 2002. Dans ces conditions, personne ne peut prétendre que cette décharge est sûre. L’État français porte cette responsabilité financière maintenant.

L’entrée du site de Stocamine, à Wittelsheim, près de Mulhouse. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

Les responsables de Stocamine considèrent que le bloc 15, où a eu lieu l’incendie, est dans un si mauvais état que son évacuation n’est pas possible. Qu’en pensez-vous ?

Il faudrait travailler spécifiquement dessus, mais il est possible d’accéder à cet endroit, d’extraire les déchets, de les emballer et de les ressortir. Des scientifiques et des ingénieurs de l’Institut de technologie de Karlsruhe étudient précisément de tels scénarios, avec des déchets coincés dans le sel. Des projets existent par exemple pour la mine de Asse, avec un processus entièrement robotisé. Ce n’est pas impossible de mettre en œuvre quelque chose de similaire à Stocamine. L’incendie a certainement rendu les plafonds un peu moins stables. Mais pendant le comité de pilotage, il ne m’a pas été prouvé qu’un déstockage [du bloc 15] était impossible.


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