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Strasbourg aime ses étudiants étrangers, la préfecture un peu moins

La tranquille Université de Strasbourg (UdS) gronde. En cause, la multiplication des expulsions de ses étudiants étrangers. L’UdS et la Ville s’inquiètent de la politique migratoire appliquée par la préfecture, en totale contradiction avec l’image internationale de la capitale alsacienne et de son université.

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Strasbourg aime ses étudiants étrangers, la préfecture un peu moins

La façade du Palais universitaire de Strasbourg en septembre 2011. (Photo CC – Pierre Dubois)

« L’Université de Strasbourg: européenne par nature, internationale par vocation. » En page 4 du guide Welcome, destiné aux étudiants souhaitant rejoindre la capitale alsacienne, l’UdS met en avant son image de campus humaniste et ouvert sur le monde. Une réputation qui attire chaque année de plus en plus d’étudiants étrangers. Ils sont aujourd’hui 9000 (dont 3000 de l’Union européenne) sur les 42 800 que compte le corps estudiantin, ce qui fait de Strasbourg, après Paris, la ville universitaire la plus internationale de France.

Mais depuis quelques mois, les quelque 6000 étudiants non européens n’ont plus la même image de leur alma mater et de la capitale alsacienne. Entre la circulaire Guéant du 31 mai 2011, son très relatif « assouplissement » en janvier 2012, et le durcissement des conditions de renouvellement des cartes de séjour étudiantes, beaucoup d’étrangers éprouvent les pires difficultés à terminer leur cursus à Strasbourg.

Une lettre anonyme à l’origine de l’arrestation de deux étudiants guinéens

L’application très sévère de ces directives nationales par la préfecture du Bas-Rhin (¹) complique au quotidien la vie des 6000 étudiants concernés qui vivent dans la capitale alsacienne : titres de séjour non renouvelés, multiplication des obligations de quitter le territoire français (OQTF) et des expulsions, dénonciations anonymes d’étudiants en situation irrégulière…

Dernier épisode en date, le 8 février, l’interpellation par la PAF (police aux frontières) d’un étudiant guinéen sans-papiers, Souleymane (²), au sein même d’une résidence universitaire (lire également notre démonte-rumeur). Le camarade qui l’hébergeait a été dénoncé dans une lettre anonyme. L’arrestation et le placement en centre de rétention de Souleymane ont provoqué la réaction immédiate de syndicats enseignants, étudiants, ainsi que de plusieurs élus de la municipalité strasbourgeoise, comme Syamak Agha Babaei, dont nous avons publié la tribune en fin de semaine dernière, et qui n’hésitait pas à parler de « chasse aux étudiants étrangers » voulue « par les politiques sinistres du gouvernement de messieurs Guéant et Sarkozy ».

L’étudiant étranger doit justifier d’une « progression significative »

Le champ d’action de l’UdS est réduit face à la politique du ministre de l’Intérieur. Celui-ci souhaite réduire les flux migratoires et particulièrement l’immigration légale, et ce en contradiction avec les déclarations récentes du candidat-président Nicolas Sarkozy sur l’immigration choisie.

Selon les textes, l’étudiant étranger doit, pour renouveler son titre de séjour, justifier d’une « progression significative » dans ses études. « Un étudiant qui n’a validé que la moitié de son année mais qui a toute la confiance de ses professeurs peut recevoir son OQTF. Autrement dit, ce sont les personnels administratifs de la préfecture qui jugent de la bonne progression de sa scolarité, et non les enseignants », note Farid Slimani, porte-parole du Conseil des résidents étrangers de Strasbourg, docteur en pharmacologie, et lui-même expulsable dans un mois et demi.

« Il faut ajouter à cela que la décision de la préfecture est discrétionnaire. Elle n’a pas à donner ses raisons », poursuit Catherine Leclercq, présidente de l’association Guinée solidarité Strasbourg, qui aide également les étudiants étrangers dans leurs démarches.

Pascal Maillard était devant le Crous le 21 février, à l'occasion d'un rassemblement contre l'expulsion des étudiants étrangers. (Photo MMo)

« On assiste depuis début janvier à une augmentation des OQTF. Nous avons eu déjà six ou sept cas d’étudiants ou de personnels de l’université qui ont reçu la leur. Et pour un cas dont nous avons connaissance, il y en a huit que nous ignorons », estime Pascal Maillard, professeur de Lettres, secrétaire académique du Snesup-FSU (syndicat national de l’enseignement supérieur) et élu au conseil d’administration de l’université.

Même constat du côté du président de l’UdS, Alain Beretz : « Les cas semblent en effet se multiplier ces derniers temps, ce qui pose un vrai problème d’image pour notre université. Nous défendons les étudiants qui nous alertent. Parfois nous sommes entendus par la préfecture, mais dans d’autres cas nous nous heurtons à une attitude très stricte ».

Des étudiants obligés de quitter la France en cours d’année sans être diplômés

Le président de l’UdS, qui assure avoir des « rapports francs et directs avec la préfecture », s’est plusieurs fois fendu d’une lettre en son nom pour demander le renouvellement du titre de séjour de certains de ses étudiants :

« Il faut rendre toutes ces procédures administratives plus claires et plus faciles pour les étudiants. Aujourd’hui, il y a un manque de transparence dans les décisions de rejet. Sans compter que l’application de ces décisions tombe souvent au mauvais moment dans l’année universitaire ».

En résultent des situations ubuesques qui obligent certains étudiants à quitter le pays en cours d’année, sans avoir pu obtenir leur diplôme. « Il y a plusieurs cas : ceux qui s’exécutent et rentrent chez eux, ceux qui résistent et se battent (une minorité), et tous les autres qui restent en se faisant très discrets », explique Farid Slimani.

Selon Medhi Amadir, président de l'UDEES ici au centre, il y aurait 800 étudiants en situation irrégulière aujourd'hui à l'UdS. (Photo MMo)

« Il y avait en 2011 à Strasbourg entre 400 et 600 étudiants étrangers en situation irrégulière. Aujourd’hui, je pense qu’ils sont 800 », affirme Medhi Amadir, président de l’UDEES (Union des étudiants étrangers de Strasbourg). Il dit avoir obtenu ces chiffres l’année dernière lors d’une réunion à la préfecture.

C’est le cas d’Emilie (²), étudiante et sans-papiers depuis six mois. A 28 ans, cette Ukrainienne termine un deuxième master scientifique, après deux autres obtenus dans son pays d’origine. Elle est arrivée à Strasbourg en 2009 : « La très bonne réputation de l’université et la qualité de vie strasbourgeoise ont été deux critères décisifs ». Après avoir passé haut la main ses examens, obtenu son premier master avec mention bien, elle a trouvé facilement une entreprise française prête à l’embaucher. Mais en septembre 2011, la préfecture lui refuse sa carte de séjour de salariée. Elle décide alors de faire un second master avant de rentrer dans son pays.

« J’en ai marre de la France »

« J’ai besoin de ce second diplôme pour trouver du travail en Ukraine. Mais après m’être inscrite à la rentrée, la préfecture m’a annoncé que j’avais un mois pour quitter le territoire français. » Elle poursuit depuis ses études illégalement, loue un appartement qu’elle n’habite pas « par peur que la police ne vienne [la] chercher », et paye même des impôts. « Suite à ce que j’ai gagné lors de mes différents stages, j’ai reçu un avis d’imposition : 700 euros que j’ai payés à l’Etat en novembre 2011 ! »

Aujourd’hui, Emilie dit vouloir obtenir son master et partir d’ici. « Je peux avoir des offres de grandes entreprises ailleurs dans le monde. Le Canada me tend les bras. J’en ai marre de la France. »

A la rentrée 2011, la Ville de Strasbourg a organisé une campagne de communication à destination de ses étudiants. (Document remis)

Bachir Diallo termine un master de calcul scientifique et sécurité informatique à l’UdS. Son titre de séjour expire en septembre. Chargé des affaires sociales au Conseil national des étudiants guinéens, il vit dans la capitale alsacienne depuis 2004. « Quand je suis arrivé, il y avait à Strasbourg une vingtaine d’étudiants guinéens. Depuis 2007-2008, ils sont moins de dix. On veut chasser ceux qui sont là et décourager ceux qui veulent venir », constate cet étudiant de 28 ans.

Les étudiants pratiques pour gonfler les chiffres

Il n’y a pas que l’UdS qui pâtit des directives nationales, la Ville également. « Pour la collectivité, cette politique est un cauchemar. On se plie en quatre pour faire venir des étudiants étrangers, pour faire d’eux des ambassadeurs de Strasbourg. En vain, tout cela nuit à notre image », s’emporte Paul Meyer, conseiller municipal PS et délégué à la vie étudiante.

L’élu explique que, depuis un an, il est de plus en plus compliqué d’obtenir gain de cause à la préfecture :

« Avant, quand on faisait un recours pour défendre un étudiant étranger, on avait des chances d’aboutir. Aujourd’hui, c’est souvent un refus pur et simple. Encore récemment, le maire ou son directeur de cabinet ont défendu en personne certains dossiers. Sans succès ». Selon lui, « on s’en prend aux étudiants étrangers pour gonfler les chiffres de reconduite aux frontières ».

Une politique du chiffre que dénoncent également Andra-Daniela Ignat, secrétaire générale de l’Udees, et Dilara Hatipoglu, militante dans la même association. Cette dernière explique que la préfecture a des quotas à remplir : « C’est deux expulsions par jour », affirme-t-elle. Un chiffre impossible à vérifier, d’autant que la préfecture explique « ne plus vouloir communiquer » sur ce sujet, pas plus que sur les patrouilles de la PAF qui, aux dires de certains étudiants, se multiplient près du campus principal à l’Esplanade.

Une des richesses de l'UdS, sa diversité: 21% des étudiants sont étrangers. (Photo MMo)

« L’ambiance est tendue à l’UdS pour les étudiants étrangers, y compris ceux qui sont en situation régulière. C’est un double-stress permanent : il y a la pression habituelle des examens, mais aussi celle de les rater et par conséquent d’être expulsé », poursuit Dilara Hatipoglu.

Dans ce contexte, l’Université de Strasbourg réfléchit à des solutions. Lors d’une réunion le 22 février, la présidence, des syndicats enseignants et étudiants ont proposé la mise en place de plusieurs mesures. « L’idée est d’agir, et non plus de réagir. Nous devons être capables de prévenir les échecs dus parfois à des mauvaises orientations de l’étudiant ou à des problèmes linguistiques », explique Alain Beretz.

Reste que l’image internationale de Strasbourg et de son université est mise à mal. Plusieurs étudiants expliquent « ne pas conseiller à leurs compatriotes de rejoindre la capitale alsacienne pour leur cursus ». Et quand on les interroge sur ce qui pourrait les faire changer d’avis : « Une autre politique après l’élection présidentielle, affirme l’un d’eux. Mais bon, ce n’est pas nous qui allons voter, n’est-ce pas ? »

(¹) Jointe à plusieurs reprises, la préfecture n’a pas souhaité répondre à nos questions.

(²) Pour préserver leur anonymat, les prénoms de ces étudiants, ainsi que les études qu’ils suivent à l’UdS, ont été modifiés.


#Alain Beretz

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