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Pourquoi des grandes enseignes sont parties du centre-ville de Strasbourg

Depuis janvier 2024, plusieurs enseignes marquantes ont quitté le centre-ville de Strasbourg. Politiques des marques, changement des habitudes de consommation, les raisons sont diverses et voici le point sur une dizaine de fermetures récentes.

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Pourquoi des grandes enseignes sont parties du centre-ville de Strasbourg
Après de nombreuses interrogations, la Fnac devrait rester dans le centre-ville de Strasbourg.

Partira, partira pas ? En février, le propriétaire de la Maison Rouge a fait fuiter que la Fnac pourrait quitter le bâtiment le plus en vue de la place Kléber au centre de Strasbourg. Les interrogations autour de ce départ ont été reprises par de nombreux médias locaux jusqu’à ce que la Ville assure, dans un communiqué jeudi 27 février, que le groupe Fnac-Darty n’avait aucune intention de quitter Strasbourg. Adjoint à la maire en charge du commerce, Joël Steffen avait été chargé de rassurer tout le monde sur BFM Alsace.

Si cette annonce a provoqué autant d’expressions éruptives, c’est parce qu’elle a résonné avec le départ d’au moins six grandes enseignes de Strasbourg depuis janvier 2024. Selon notre pointage, Abry Arnold, Boulanger, Bagel Corner, Odlo, Jules ou Flying Tiger ont quitté un rayon de cent mètres autour de la place Kléber.

Changement des habitudes de consommation

Lorsqu’une grande enseigne part du centre-ville, son départ est d’autant plus visible qu’elle laisse derrière elle des locaux au moins temporairement inutilisés. Installé pendant quatre ans dans la rue du 22-Novembre, Boulanger, magasin d’électroménager et de multimédia, explique ainsi son départ du centre-ville strasbourgeois, par l’intermédiaire d’une chargée de relations publiques :

« L’enseigne Boulanger constate [que le magasin du centre-ville] ne répond pas aux habitudes de consommation locales, tandis que le magasin de Vendenheim s’avère être plus adapté, depuis son ouverture en 2021. »

Le groupe possède en effet deux points de vente en périphérie de Strasbourg. Celui de Vendenheim, dans le complexe commercial « Shopping promenade » et celui de Geispolsheim, au sein de la zone commerciale de la Vigie depuis 2023. Ces adresses sont à proximité des hypermarchés, accessibles en voiture et entourées de parkings.

Boulanger indique par ailleurs que ses autres magasins en centre-ville « se portent bien ». L’enseigne fait partie du groupement Association Famille Mulliez (AFM), au même titre qu’Auchan, Décathlon, Leroy Merlin, ou Flunch.

La boutique Boulanger, rue du 22-Novembre, a définitivement fermé le 31 janvier 2025.Photo : Dorian Mao / Rue89 Strasbourg

Locaux pas si vacants

Une étude de 2022 menée par l’Observatoire AID à la demande de la Ville de Strasbourg met en avant que le taux de locaux commerciaux vacants y est de 7,7% en 2021, contre 8,8% en moyenne dans les villes de plus de 200 000 habitants, hors Paris, en France métropolitaine.

Mais certains bâtiments emblématiques inoccupés depuis plusieurs années participent à l’impression d’un centre-ville de Strasbourg délaissé par les commerces. C’est le cas du Printemps, surplombant la station de tram la plus empruntée, celle de l’Homme-de-Fer. Depuis 2021, l’immense immeuble paré d’une structure de verre et de métal est vide. Mais selon les DNA, un « gestionnaire » est intéressé pour réhabiliter les lieux.

Plus de trois ans après sa fermeture en décembre 2021, le bâtiment du Printemps est toujours inoccupé.Photo : Dorian Mao / Rue89 Strasbourg

Opportunisme commercial

Au numéro 82 de la Grand’Rue, l’enseigne Odlo annonce en vitrine sa liquidation totale. « Dans trois jours, il n’y aura sûrement plus rien », lance Stéphane François, gérant indépendant de la boutique spécialisée dans les vêtements et sous-vêtements sportifs de plein air.

Après dix ans à Strasbourg, l’un des rares magasins de l’enseigne suisse va également fermer mais pour être remplacé par Club Croquette, qui vend des produits canins. Les chiffres d’Odlo sont bons, meilleurs même en 2025 qu’en 2024 sur les premiers mois de l’année. « Nous réfléchissions à partir dans quelques années, mais nous avons reçu une opportunité de vendre maintenant », explique Stéphane François, qui travaille dans la vente depuis 32 ans : « Et il faut reconnaître que les offres ne courent pas les rues. »

Malgré la liquidation de son enseigne, Stéphane François regrette de « n’avoir jamais vu un élu ou le manager de centre-ville dans sa boutique ». Depuis 2019, l’ancien directeur du centre commercial des Halles, Laurent Maennel, occupe ce poste, relié à la direction « développement économique et attractivité » des services de la Ville. Sollicité, il n’a pas souhaité répondre à nos questions.

Odlo s’apprête à laisser son emplacement de la Grand’Rue à une autre affaire…Photo : Dorian Mao / Rue89 Strasbourg

Stéphane François pointe cependant la rude concurrence du commerce en ligne :

« Aujourd’hui, seuls les commerces de niche ou ceux qui sont haut de gamme fonctionnent bien dans les centres-villes. Les achats dans les boutiques « moyenne gamme » sont facilement remplaçables par le commerce en ligne. Si les gens viennent en boutique, c’est pour un conseil, les informations d’une personne connaisseuse. Bref, ils veulent une valeur ajoutée avant d’acheter leur produit. »

Un phénomène national, résumé dans le bilan annuel, présenté le 12 février 2025, du cabinet Procos, spécialisé dans l’analyse des marchés commerciaux. Dans le même document, Procos note également que les surfaces moyennes de vente, tous secteurs confondus, ont considérablement baissé, passant de 14 000 m² en 2016 à 5 000 m² en 2024 par exemple…

Pas de quoi inquiéter Joël Steffen qui, invité sur Ici Alsace le 5 février assurait que le centre-ville était surtout confronté à « un changement des habitudes de consommation » mais qu’il « n’y avait jamais eu autant de personnes dans le centre-ville », citant le chiffre de 90 000 arrivées chaque jour à la gare SNCF.

D’autres enseignes liquidées

D’autres fermetures de rideaux sont liées à la faillite des marques concernées. C’est le cas d’Habitat, magasin de meubles arrivé à Strasbourg en 1990. Après plusieurs années dans le sous-sol de la Maison Rouge, l’enseigne a déménagé rue du 22-Novembre en 2016, puis s’est retrouvée place Kléber à nouveau en 2021. En décembre 2023, le groupe a été placé en liquidation judiciaire. Le magasin strasbourgeois a définitivement fermé en janvier 2024. Plus d’un an plus tard, le local est toujours vacant.

La boutique Abry Arnold, entreprise familiale alsacienne centenaire qui vendait des tapis, des rideaux et des sols, était présente depuis 1938, rue de la Division-Leclerc. En septembre 2024, elle a cessé ses activités. Son directeur Éric Arnold décrit dans les DNA un « appauvrissement de l’offre commerciale avec l’arrivée des mêmes grandes enseignes internationales dans toutes les grandes villes du monde ». Six mois après la fermeture du magasin, le rideau de fer est toujours baissé.

Phénomènes nationaux, visibles localement

L’enseigne Jules située rue des Grandes-Arcades, spécialisée dans l’habillement masculin, a également mis la clé sous la porte en décembre 2024. Son départ pourrait refléter une tendance là aussi sans lien direct avec une quelconque problématique locale. En effet, entre 2014 et 2021, l’Insee relève une forte baisse du nombre de magasins des secteurs de l’habillement (-17,9%) et de la chaussure (-26,4%).

Le baromètre de l’offre commerciale dans les centres-villes confirme cette tendance entre 2014 et 2024. Il note que les magasins de chaussures représentent 2,6% des boutiques en centre-ville en 2024 (contre 4,5% en 2014) et ceux d’habillement sont passés de 17,2% à 12,4%.

À l’inverse, le secteur des cafés, hôtels et restaurants est en plein essor selon ce même baromètre. L’offre commerciale serait passée de 14,8% en 2014 à 18,3% en 2024 dans les centre-villes de France. Une évolution illustrée à Strasbourg par le départ de la boutique Adidas, rue des Grandes-Arcades, en juin 2019 et remplacée par la chaîne de restauration rapide Five Guys un an et demi plus tard. De même, les locaux qui accueillaient la marque de chaussure San Marina, placée en liquidation judiciaire en février 2023, vont être greffés à la boulangerie Dreher, dans cette même rue des Grandes-Arcades.


#centre-ville

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