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À Strasbourg, Le Gaulois parvient à faire cesser une campagne de L214

Le producteur de volailles LDC a signalé à la justice une campagne de l’association de défense de droits des animaux L214 sur ses produits. Jeudi 22 février, le vice-président du tribunal judiciaire de Strasbourg a donné raison au groupe agroalimentaire.

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À Strasbourg, Le Gaulois parvient à faire cesser une campagne de L214
Poules (Photo Cottonbro / Pexels / cc)

L’association L214 Éthique et Animaux dénonce une « procédure bâillon ». Mardi 20 février, le plus gros producteur de volaille en France LDC (Le Gaulois, Marie et Les Fermes Loué) a demandé au tribunal de Strasbourg de faire cesser une « campagne de contre-publicité » initiée par l’association le 15 novembre 2023 dans toute la France. Une procédure d’urgence, appelée référé d’heure à heure, a eu lieu au tribunal judiciaire de Strasbourg, étant donné que L214 a son siège dans le quartier de Hautepierre.

Jeudi 22 février, le vice-président du tribunal judicaire de Strasbourg a donné raison à l’entreprise agroalimentaire. Dans son ordonnance, il a estimé que « le contenu des stickers outrepasse la liberté d’expression de L214 et dénigre les produits Le Gaulois », comme le rapporte l’association dans un communiqué. L’expression qualifiant les poulets de « manipulés génétiquement » est au cœur de cette décision du tribunal. L’association L214 va faire appel de la décision et cesser, en attendant, la diffusion de sa campagne.

Des stickers sur des barquettes de poulet

À l’origine de la procédure, des tracts et des autocollants que l’association L214 a déposés sur les barquettes de poulet Le Gaulois dans une trentaine de magasins en France. Les visuels mettent en scène un poulet mort. L’association entendait ainsi « contrebalancer les publicités et les discours marketing de LDC à l’égard du grand public et des consommateurs » et « faire connaître l’absence d’engagement du groupe contre les pires pratiques d’élevage des animaux ».

Le gaulois l214

L’association L214 dénonce aussi le choix des souches de poulets de chair élevés pour les marques du groupe LDC. Ces espèces de volailles sont sélectionnées par Le Gaulois pour que les animaux soient envoyés à l’abattoir le plus rapidement possible. Selon Reporterre, en 44 jours, le poussin passerait de 50 grammes à plus de trois kilos. Une croissance anormalement rapide qui fragilise les os de l’animal et empêche parfois le poulet de tenir debout, selon les recherches de l’association.

L214 continuera de dénoncer les souches à croissance rapide

« L’association cesse uniquement la campagne sticker mais continue la dénonciation des pratiques et l’utilisation de souches à croissance rapide pour dénoncer la sélection génétique dans un unique impératif de rentabilité économique au préjudice des animaux », écrit Me Caroline Laty, l’avocate de L214, après avoir reçu la décision.

Sur son site web, le groupe LDC se décrit comme une « entreprise familiale » comptant plus de 23 000 « collaborateurs », 8 300 éleveurs partenaires (dont 6 800 en France) et réalisant un chiffre d’affaire de 5,8 milliards d’euros en 2022-2023.

Trouble manifestement illicite contre critique légitime

Devant le juge, le groupe agro-alimentaire a argué que la campagne de L214 constitue un « trouble manifestement illicite » dépassant le droit de critique autorisé et constituant un dénigrement. Il a aussi dénoncé l’utilisation du terme de « manipulation génétique » utilisé sur les autocollants. Un argument retenu par le juge pour demander la cessation de la campagne :

« La manipulation génétique et la sélection génétique sont deux modes de modification génétique, ces termes ne sont pas interchangeables en ce que le premier évoque un changement de composition des gènes, de façon artificielle, voire frauduleux si l’on utilise dans un sens commercial, et le second de manière plus naturelle, en isolant les caractères qu’on souhaite faire ressortir. Les termes de “manipulation génétique” sont donc faux et outranciers et l’utilisation de ces termes en reprenant le code couleur et le logo de la marque, le tout entouré de sang qui coule, excède la liberté d’expression de l’Association L 214 qui, en voulant choquer les clients de la marque Le Gaulois, cherche à jeter publiquement le discrédit sur les produits de cette marque, à la dénigrer, et caractérisent un trouble manifestement illicite. »

Ordonnance du 22 février 2024

LDC a enfin considéré que la campagne n’avait pas de base factuelle, qu’elle était « démesurée » et a demandé la suppression de quatre pages web dédiées à la campagne d’étiquetage sur le site web de L214. Dans son ordonnance, le juge a condamné L214 à verser 5 000 euros à LDC au titre des frais de procédure. L’association doit retirer dès à présent « tout support de communication physique ou numérique à la campagne de contre-publicité ou de stickage contre les produits de la marque Le Gaulois ». Pour chaque jour où ces éléments resteraient accessible au public, L214 devra payer une amende de 2 000 euros.

L214 juge sa campagne proportionnée

« En gros, ils ont plaidé que la campagne détournaient injustement les consommateurs de leurs produits », synthétise Me Caroline Laty. Elle précise les limites légales des campagnes :

« Selon la loi, il est autorisé de communiquer sur des sujets d’intérêt général. Même si la critique est désagréable, tant que l’information a une base factuelle suffisante, L214 est dans son droit. LDC fait des campagnes de publicité dans le but de vendre ses produits. L’association fait une contre-campagne pour informer les clients des conditions d’élevage. C’est une critique légitime. »

La campagne a été partagée sur les réseaux sociaux de L214 et invite les volontaires à commander des packs de dix stickers pour les coller sur les produits Le Gaulois dans les supermarchés de leur choix. « En informant le consommateur sur les méthodes de production, L214 agit dans le cadre de ses fonctions et de son objet social », précise Caroline Laty.

Pour l’avocate, la campagne menée par L214 est proportionnée et factuellement fondée. « Toutes les informations sur lesquelles nous nous appuyons sont accessibles, fiables et transparentes », insiste l’avocate. Ce n’est pourtant pas l’interprétation retenue par le vice-président du tribunal judiciaire de Strasbourg, qui précise :

« Le juge des référés n’est pas compétent pour ordonner, de manière générale et impersonnelle, l’interdiction de toute opération de contre-publicité, stickage ou tractage sur les sites de distribution et vente au détail des produits de marque Le Gaulois. »

Des collages à Strasbourg

À Strasbourg, l’antenne locale de L214 a collé 600 stickers samedi 17 février 2024 dans 17 magasins du centre ville. « Nous avons visé les produits de volaille Le Gaulois, que ce soit du poulet ou de la dinde », explique Léa Bollecker, référente de l’antenne strasbourgeoise de L214 depuis 2021 et gérante des réseaux sociaux de L214 au niveau national.

« C’est une opération discrète, le but n’est pas d’avoir des réactions immédiates mais d’informer les consommateurs et les magasins sur le plus long terme », précise-t-elle. Elle compte entre 30 et 50 bénévoles actifs à Strasbourg, même si « chaque action rassemble entre 15 et 20 personnes ».

La procédure judiciaire inquiète la militante :

« Je suis déçue. Nous ne faisons qu’informer les consommateurs. Notre mission est importante et nous voulons la continuer. Ça vient soulever la question de notre liberté d’expression en tant qu’association. »

Léa Bollecker insiste : « Ces stickers n’endommagent pas les barquettes de viande, ils ne collent pas vraiment, ce n’est pas notre objectif de dégrader les produits. »

Beaucoup de victoires judiciaires pour L214

En mars 2023, la référente de l’antenne locale a été jugée par le tribunal correctionnel pour une inscription à la craie devant un magasin Monoprix, qualifiant Le Gaulois de menteurs. « J’ai été relaxée », explique Léa Bollecker. Notamment, selon son avocate, car l’inscription à la craie était effaçable et ne constituait donc pas un préjudice.

L’avocate de l’association, Caroline Latry, estime à 75% les victoires judiciaires de L214. « Nous sommes régulièrement attaqués, pour nos vidéos dans les élevages par exemple », précise-t-elle. Dans certains cas, L214 doit retirer ses vidéos :

« Nous avons été attaqués après avoir détournée le logo de MSR, un concurrent de Sodexo, en y ajoutant quelques taches de sang et une poule en cage. Car le groupe n’était pas engagé sur une production éthique des œufs. Le juge nous a donné raison, il a considéré que notre méthode n’excédait pas les limites de la liberté d’expression. »

Une autre procédure en référé d’heure à heure a été gagnée par l’association et initiée par le producteur de foie gras Soulard. « Récemment, aucun autre jugement ne nous a dit que nous allions trop loin dans nos actions », explique Caroline Latry :

« Les décisions de justice sont souvent bien motivées par les juges et viennent assoir le rôle de l’association car nous sommes vus comme sérieux et rigoureux. En gros, nous menons des campagnes uniquement lorsque nous sommes sûrs de nos informations. »

Dans un communiqué transmis par leur avocat, les groupes LDC et Le Gaulois se « félicitent que la vérité soit rétablie par la justice ». La direction du groupe LDC précise regretter « l’acharnement contre l’élevage et les éleveurs français », notamment « dans le contexte de crise agricole que nous traversons ».


#L214

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