L’entrée est une petite pièce dépouillée. À droite, une patère pour poser son manteau. À gauche, un guéridon, sur lequel s’alignent une trentaine de boites d’allumettes. Premier témoignage visible du trouble qui touche Thomas, strasbourgeois de 29 ans.
C’est à 23 ans, pendant ses études, qu’il commence à constater un changement de comportement, il a de plus en plus de mal à se séparer d’objets. Au fur et à mesure que le temps s’écoule, il en conserve de plus en plus. Il consulte pour la première fois un psychologue clinicien, à Strasbourg, à la fin de son master. On lui diagnostique alors un TOC (trouble obsessionnel compulsif) d’accumulation : Thomas ne peut s’empêcher de garder certains objets, craignant d’en avoir l’utilité plus tard.
Thomas ouvre avec difficulté la porte de sa chambre… « C’est surement surprenant pour quelqu’un qui n’est ni atteint d’un trouble similaire, ni professionnel de la santé mentale, mais ce que vous voyez, c’est vraiment rien par rapport à ce que ça aurait pu être », affirme-t-il pendant que se dévoile un tas de déchets en plastique.
La pièce fait 11 mètres-carrés. Sur la gauche, directement visible, toute la surface au sol est recouverte de bouteilles, vides et sales. Sur 30 centimètres de hauteur, des cartons à pizza, assiettes et couverts usagés, des cannettes de boissons énergisantes, et des sacs poubelles bloquent le passage jusqu’au lit. La fenêtre est grande ouverte mais l’air extérieur ne suffit pas à assainir la pièce. L’odeur des déchets prend à la gorge :
« C’est l’image même de mon trouble. Et encore, il est circonscrit à ma chambre. Je dors sur le lit en poussant un peu les piles d’objets. »
Thomas
Des vêtements et des livres trainent dans la pièce, surmontant les piles de détritus et de vaisselle. Un ordinateur trône sur le lit. Le reste de l’appartement est relativement rangé, en raison d’une précédente vie en colocation qui a empêché l’extension de l’accumulation aux autres pièces. Thomas y veille et travaille avec son thérapeute. Le bureau est rangé, malgré un nombre impressionnant de crayons, stylos, chargeurs, et autres trombones. Le salon et la cuisine ne présentent que quelques traces : les livres sur une étagère, les figurines, les bougies, les couverts sont en surnombre évident.
« Le risque c’est de ne plus ressortir de cette chambre »
Thomas est ingénieur, salarié d’une entreprise industrielle, il fut major de sa promotion de l’Insa Strasbourg. Au travail, il est recherché pour ses compétences et apprécié de ses collègues. Son meilleur ami, Maung, travaille avec lui. Il est la seule personne, hormis son thérapeute, à être au courant de son trouble :
« Nous étions ensemble à l’école. C’est quelqu’un de brillant et d’extrêmement gentil. En fait, pendant longtemps j’ai dormi ici, sur le canapé. J’ai eu des problèmes de logement pendant mon cursus et Thomas m’a ouvert sa porte sans réfléchir. Je crois qu’au final, ça a limité les dégâts avant sa prise en charge. Quand il a commencé à être malade, je ne l’ai pas vu de suite parce que je ne rentrais pas dans sa chambre. «
Maung, le meilleur ami de Thomas, a été son colocataire durant leur deux dernières années d’école d’ingénieur.
Thomas acquiesce. Son trouble d’accumulation se limite certes à sa chambre mais il reste important :
« J’ai bientôt 30 ans et n’ai plus eu de relation amoureuse suivie depuis que j’ai commencé à garder tout et n’importe quoi. Impossible de ramener quelqu’un ici dans ces conditions. J’aurais trop honte. Donc quand je vois des gens, je les vois chez eux. Mais c’est une entrave pour toute relation, forcément. Même amicalement… c’est compliqué. Impossible aussi pour moi d’en parler à ma famille. Le risque, c’est de s’enfermer dans ce trouble, de fermer la porte de ma chambre et de ne plus en ressortir. »
Exercice : jeter ses déchets du déjeuner au bureau
Une demi-douzaine de sacs poubelles occupent un coin de la chambre de Thomas. Dedans, des objets dont il s’est résolu à se séparer… sans y parvenir tout à fait. Thomas est suivi pour ce trouble d’accumulation par un psychologue formé aux thérapies comportementales et cognitives (TCC). Cette forme de thérapie permet d’impliquer le patient dans sa guérison, avec entre autres choses des « exercices » à faire d’une séance sur l’autre. Effective sur le court ou moyen terme, elle rend le patient expert de son trouble et elle est construite sur mesure avec le psychologue ou psychiatre.
Bien que Thomas ait été pris en charge tôt, il doit composer avec une anxiété parfois ingérable qui le fait « replonger » dans l’accumulation :
« Si je ne bosse pas sur les exercices que me donne mon thérapeute, comme jeter mes déchets du midi au bureau et ne pas les ramener, évacuer la vaisselle, ou encore me fixer des objectifs pour trier mes vêtements, ou le laisser m’aider à évacuer de temps en temps un sac poubelle d’objets, cela ne sert à rien. Parmi ces objectifs, il y a eu de le laisser, lui et d’autres gens, voir ma chambre. Puis celui de ne plus entasser les emballages. »
Au début de sa thérapie, les rendez-vous de Thomas étaient hebdomadaires. Désormais, le jeune homme n’a plus qu’une heure par mois. Durant ces séances, il amène des photos, et un compte-rendu des exercices confiés précédemment :
« Mon psychologue et moi avons fait un point qui est très positif : je n’ai rien amassé cette semaine ! C’est une fierté et un vrai progrès. »
Malgré une rechute durant le confinement, du fait de l’isolation qui a développé son anxiété en cassant son rythme de vie, la thérapie fonctionne. Et des perspectives de guérison totale sont désormais envisagées par le thérapeute, même si la conservation des objets d’ordre sentimental a tendance à persister.
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