
« Le tout numérique est une forme de maltraitance » : parents d’élèves et professeurs mobilisés pour questionner le lycée 4.0
Devant la Région Grand Est vendredi 26 mai, une cinquantaine de professeurs, parents d’élèves et lycéens se sont rassemblés pour alerter sur les dérives du lycée 4.0 et l’absence d’évaluation du passage au tout numérique. Depuis 2019, tous les lycéens sont équipés d’ordinateurs fournis par la Région.
« Mon fils n’arrête pas de me demander à quoi ça sert, ces ordinateurs à l’école ». Audrey Vinel est co-fondatrice du collectif CoLiNE, qui a appelé avec le collectif Nous, Personne, à manifester devant le siège de la Région Grand Est vendredi 26 mai – jour de tenue de la commission plénière. En cause, les ordinateurs dont sont équipés tous les lycéens depuis 2019, gratuitement.
« Ça aurait pu être un outil complémentaire intéressant », poursuit la mère de famille. Désormais, seul l’ordinateur fait office de manuel, d’agenda et de carnet de correspondance. « Pendant les cours, certains élèves jouent en ligne ou regardent des séries, l’écran nuit à l’apprentissage », poursuit Audrey Vinel, qui milite pour une évaluation du dispositif par les personnes concernées – professeurs, chefs d’établissements et lycéens.

« Quand un projet est un échec, il faut avoir le courage de se raviser »
En juin 2022, le Conseil supérieur des programmes (CSP) a émis un avis sur la contribution du numérique à la transmission des savoirs et à l’amélioration des pratiques pédagogiques. Il note que « des études confirment que la courbe de l’augmentation du temps d’utilisation suit celle de la baisse des résultats scolaires ». Il alerte également sur l’exposition prolongée aux écrans qui « contrarient » les rythmes biologiques des enfants, peut être une source de solitude, ou avoir des impacts sur la vue, l’attention ou le sommeil des jeunes.
« Quand un projet est un échec, il faut avoir le courage de se raviser et de faire marche arrière », tranche Audrey Vinel. « Le lycée 4.0 est une forme de maltraitance pour nos jeunes, il serait temps de sortir de l’idéologie de la modernité et de les écouter », conclut elle.

Sur les dalles blanches du parvis de la Région Grand Est, les prises de paroles s’enchaînent dès midi, tirées d’une lettre envoyée aux 169 élus régionaux par les militants. Au micro, Jean-Luc Quilling, professeur au lycée Marie Curie :
« Quel est le projet de société dont nous voulons pour nos enfants ? Nos élus prônent un conformisme plutôt que le confort pour les élèves. Nous voulons une évaluation par des experts indépendants du dispositif lycée 4.0. Car nos enfants ne sont pas des cobayes. »
Les lycéens conscients de moins apprendre
Des témoignages anonymes de lycéens et lycéennes, enregistrés par les collectifs, sont diffusés sur l’enceinte des manifestants. « On n’apprend rien, on ne discute plus » ; « La moitié du temps, je joue à des jeux en ligne pendant les cours », entend-t-on à plein volume.
Sur place Ferdinand, 18 ans, confirme les dires des élèves interrogés. Il est en terminale au lycée Marie Curie. Pendant les confinements, il a bien vu l’utilité des ordinateurs pour continuer à suivre les cours. Mais il regrette que leur usage perdure :
« Quand on est au fond de la classe, c’est frappant : on voit sur tous les écrans que seules deux ou trois personnes, sur trente, sont effectivement en train de faire les exercices demandés par le professeur. La plupart jouent, regardent des séries, consultent leurs mails… Ça me déconcentre, tous ces écrans. En plus, personne ne nous a jamais appris à bien utiliser nos ordinateurs. On a juste eu une formation technique pour nous apprendre le copier / coller, mais c’est tout. »

Les performances s’enchaînent devant les manifestants. Une jeune fille habillée de blanc se tient debout, entourée de plusieurs adultes qui tournent avec des fils tout autour d’elle. Un spectacle intitulé « Jeunesse Accablée ».
« Je suis contre le fait que ce soit une obligation »
Un peu en retrait, Michel observe. Il est professeurs de lettres modernes au lycée Marie Curie. Dans sa classe, aucun ordinateur n’est autorisé :
« Je ne suis pas contre le numérique, mais contre cette obligation : on nous impose les ordinateurs et le numérique. J’aurais aimé, pour la rentrée 2023, faire acheter des manuels papier à mes élèves. Mais je n’ai pas le droit, donc pas le choix, mon chef d’établissement a dit non. Pourtant, ce sont les élèves qui me le demandent. »
Pour le professeur, le lycée 4.0 est une occasion manquée d’intégrer un outil intéressant pour créer une pédagogie plus complète :
« C’est plus facile pour communiquer avec eux lorsqu’on leur donne des devoirs, s’ils ont des questions. Je peux leur donner les fichiers des cours lorsqu’on les a finis pour qu’ils puissent avoir une version complète, quelle que soit leur capacité à prendre des notes. L’ordinateur peut aussi avoir du bon, mais il doit être un outil complémentaire. »

Cependant, le professeur est formel : les élèves sont toujours demandeurs de cours et font toujours confiance à leurs enseignants. Selon lui les contenus en ligne ne viennent pas concurrencer les apprentissages dispensés au lycée. « C’est rassurant, quand même, de savoir qu’on sert encore à quelque chose », glisse Michel en souriant.
Des écrans comme intrusion dans les salles
Un groupe de lycéennes arrive sur la scène improvisée et annonce un spectacle de danse, intitulé « relier les gens ». La musique embaume le parvis de la Région. Vers 13 heures, Caroline Reys, conseillère régionale (EE-LV) sort à la rencontre des manifestants :
« Depuis le début de l’expérimentation, en 2018, nous demandons une évaluation du dispositif lycée 4.0. Lorsque je demande cette évaluation, on me répond qu’il s’agit de questions pédagogiques qui relèvent du rectorat. Aujourd’hui, nous voulons connaître le coût environnemental et l’impact sanitaire, notamment sur la santé mentale des jeunes. C’est une étude que nous pourrions mener dans le cadre du Plan santé environnement 4, par exemple. »

Enseignante à la retraite, Caroline Reys considère que les écrans dans les classes constituent une « intrusion » dans la pédagogie et créent une dépendance des professeurs à la technologie. « Cette dépendance numérique fait partie des problématiques de santé mentale », abonde-t-elle.
Des ordinateurs gratuits qui font perdurer les inégalités
Caroline Reys insiste, le lycée 4.0 renforce les inégalités :
« Il y a les élèves dont la famille a les capacités de leur proposer autre chose que les écrans. Des sorties en nature, des activités culturelles, par exemple. Et il y a celles où les élèves sont devant un écran toute la journée, mais aussi toute la soirée et les week-ends. Ça participe au clivage social. »
Ferdinand aussi constate que le numérique peut créer des inégalités. Par exemple, lorsque l’écran de son ordinateur s’est cassé, le réparateur de son lycée lui a conseillé d’aller voir ailleurs. Facture totale pour réparer son outil d’apprentissage : 140 euros. « Normalement il y a des prêts le temps que les ordinateurs soient réparé, mais on ne sait pas trop comment ça fonctionne », poursuit Philippe, un parent d’élève.

À ses côtés, Fabienne acquiesce. Elle avoue acheter des livres papier à ses enfants lycéens pour qu’ils puissent réviser autre part que face à un écran. « C’est à mes frais. Même s’il existe des bourses aux livres, ça reste cher », poursuit-elle, admettant que « c’est un petit budget ».
Elle s’inquiète de ne pas savoir ce que font ses adolescents dans leur chambre, lorsqu’ils prétendent travailler :
« Avec le tout numérique, ils utilisent l’ordinateur pour tout. Donc en tant que parent c’est très compliqué de savoir s’ils font leurs devoirs ou s’ils regardent une série. On sous-estime tellement le temps qu’ils passent en ligne, ça fait presque peur. C’est aussi source de conflit dans la famille et ça nuit aux temps qu’on pourrait passer ensemble. »
Ce sont désormais les professeurs qui occupent la scène en béton aux pieds de la Région. À l’aide de citations réelles tirées de situations vécues, ils composent une improvisation intitulée « Conseil de classe à distance ».
Injonctions contradictoires
Lors des différents tours de paroles, le sujet de l’environnement revient souvent parmi les préoccupations des parents et des professeurs. Pour Audrey Vinel, cette double injonction est insoutenable :
« On dit aux jeunes qu’il faut être responsable vis-à-vis de l’écologie tout en les forçant à utiliser des ordinateurs. C’est une injonction contradictoire, d’autant plus qu’ils ne sont pas formés aux bonnes pratiques. Ça revient à vouloir apprendre à quelqu’un à nager en le poussant dans l’eau. »
Marie abonde. Les ordinateurs de ses enfants n’ont duré que les trois ans du lycée :
« Ça fait comme s’il était normal de jeter un ordinateur après trois ans, comme si ce n’était pas grave. Mais il faut entamer une vraie réflexion sur la provenance des matériaux qui composent les machines, ce sont des terres rares. À aucun moment, il n’est dit que toutes ces connexions participent au réchauffement du climat »
Dès 13 heures 30, des sandwichs sont distribués. Les manifestants continuent les performances, jusqu’à lire la lettre qu’un enseignant adresse à Jean Rottner, ancien président de la Région ayant généralisé le dispositif dans le Grand Est.
Après un dernier échange avec des élues EE-LV de l’opposition, les militants se dispersent vers 14h. « On comprend bien que les élus mobilisés sont impuissants, c’est pour ça que nos collectifs doivent continuer de faire leur travail d’alerte », affirme Jean-Luc Quilling, toujours déterminé.
5,3 milliards d'euros avec un financement inédit de 43 % sur fonds publics.
Avec les "dérives" volontaires vers des applications militaires ( drones : Orlan-10, E95M? Eleron-3SV, Koub-BIA) , systèmes de guidage des missiles high tech Kh-101...
Puces, toujours " puces" ....pour les militaires, toujours moins pour l'eau et les populations locales qui se retrouvent en Isère dans une forme de "misère".
" Pour faire la différence , il faudrait sortir d'une logique très répétitive qui mobilise toujours les mêmes lexiques"
Pascal Marchand ( Université de Toulouse).
Avis aux créateurs et aux inspirés qui relèveront le défi du conformisme et de l'immuable.
Si le lycée 4.0 est une forme de maltraitance, qu'est-ce que cela dit au fond ? Il semble tout à fait admis par l'institution qu'un jeune puisse apprendre (apprendre, étymologiquement "saisir par l'esprit") en étant face à un ordinateur, précédemment smartphone, téléphone, magazine... en position souvent peu active, d'assistance inattentive... Je ne suis pas d'accord avec cela, mais admettons que le jeune apprenne dans ces conditions.
Que va t-il saisir par l'esprit ? Que la norme de celui qui apprend et qui réussit c'est celui qui se cache derrière un ordinateur, qui préfère consulter google ou chatgpt plutôt que d'élaborer une position personnelle courageuse ? Qu'il vaut mieux devenir un parfait petit cadre dynamique bien-pensant qu'un penseur engagé ? Peut-être faudrait-il voir le lycée dans une pratique écolière entière (école étymologiquement skolhé : loisir, répit, lenteur pour penser, pour la réflexion, pour l'individuation, pour l'émancipation... pas pour se rendre dépendant à une machine ou être dans une course en avant vers un idéal de réussite et de rentabilité écocide, sociocide, anthropocide, humanocide ...