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Tribune : 10 propositions pour diminuer la pollution à Strasbourg

Le Dr Thomas Bourdrel, radiologue et président du collectif « Strasbourg respire », aimerait que la capitale alsacienne s’inspire du plan de lutte de protection contre l’air de Paris. Il formule dix propositions (et même un peu plus) pour améliorer la qualité atmosphérique de Strasbourg.

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Tribune : 10 propositions pour diminuer la pollution à Strasbourg

L'A35 est en congestionnée pour partie aux heures de pointe à cause du trafic de transit, qui devrait se reporter pour partie sur le GCO. (Photo Pascal Bastien)
Le trafic routier est un levier sur lequel on peut le plus facilement agir pour Thomas Bourdrel. (Photo Pascal Bastien)

TribuneAnne Hidalgo, maire (PS) de Paris, annonçait en janvier au journal Le Monde :

« Il faut aller encore plus loin dans la lutte contre la pollution. Les politiques qui ne posent pas aujourd’hui les actes seront demain redevables de ce qu’ils n’ont pas fait. Je ne serai pas de ceux là. »

C’est une évidence… Les effets terribles de la pollution de l’air sur la santé sont désormais connus et les élus ne peuvent plus l’ignorer. Car la pollution atmosphérique tue, elle tue lors des pics (augmentation des hospitalisations, des consultations d’urgence, des accidents cardiovasculaires, asthme, etc.).  Mais elle tue surtout sur le fond, lentement, année après années. Elle est responsable de cancers (particules fines des moteurs diesels classées par l’OMS cancérigènes certains pour le cancer du poumon, augmentation du risque de leucémie pour le benzène et ses dérivés), de bronchopathies chroniques (BPCO) ou encore d’accidents cardiovasculaires.

+38% de risques quand on vit à 50m d’un axe routier

Habiter à proximité du trafic routier pourrait être responsable d’environ 15 à 30% des nouveaux cas d’asthme chez l’enfant et, dans des proportions similaires, voire plus élevées, de pathologies chroniques respiratoires et cardiovasculaires chez l’adulte. Une étude récente parue dans Circulation démontre encore que les femmes habitant à moins de 50 mètres d’un axe routier auraient 38% de risques de plus de morts subites cardiaques par rapport à celles qui vivent à plus de 500 mètres.

Les études démontrant les méfaits de cette pollution se multiplient et l’on découvre des effets déjà in utéro, des effets également néfastes sur le cerveau… Aucun organe n’est épargné. Vivre en ville a un prix, on ne peut continuer à se comporter en ville comme si nous vivions en pleine campagne, à rouler dans de vieux véhicules diesels et à se chauffer au bois.

Une région sensible

Ces considérations valent pour toutes les villes mais encore bien plus pour Strasbourg où les conjonctions géographiques et climatiques en font une ville (et au-delà une région) extrêmement sensible car les niveaux de pollution y sont parmi les plus élevés de France. Cette situation particulière devrait nous pousser à faire plus d’efforts que les autres, et non pas à se dire que nous n’y pouvons pas grand-chose !

Pour échapper aux sanctions financières de l’Union européenne, les villes françaises les plus polluées ont dû élaborer des plans de protection de l’atmosphère (PPA). À Strasbourg, ce PPA vient d’être réévalué et les études qui y figurent montrent que s’il faut lutter sur l’ensemble des origines des polluants (chauffage bois, industrie), c’est principalement en limitant fortement le trafic routier (au minimum 50% de baisse) que nous pourrons respecter les seuils européens de pollution de l’air.

Parmi les mesures proposées pour baisser la pollution d’origine routière celles reprises ci-dessous nous semblent les plus importantes, et sont pour la plupart citées à la fois dans le PPA strasbourgeois et/ou dans les mesures annoncées par Anne Hidalgo à Paris :

1) Limitation puis interdiction des véhicules polluants dans toute la ville :

En commençant par les vieux véhicules diesel, puis interdiction progressive du diesel en ville, car même les nouveaux diesel émettent des PM 2,5 dites ultra-fines.

a) Supprimer les utilitaires polluants en ville (source majeure de pollution car il s’agit de vieux diesels, de plus les utilitaires ne sont pas soumis aux mêmes normes anti-pollution que les véhicules particuliers) avec plusieurs leviers possibles :

  • Mise en place d’une plateforme de livraison à l’entrée de la ville puis développement des véhicules électriques, vélo cargo.
  • Mise en place d’un service de location d’utilitaires propres (comme la mairie de Paris le prévoit avec création d’un réseau d’utilitaires propres en location appelé Utilib).
  • Aide financière à l’acquisition d’un véhicule professionnel propre qui viendra s’ajouter à celle de l’Etat. L’aide des pouvoirs publics représentant ainsi 50% du prix d’achat du véhicule et création pour les 50% restants d’un crédit à taux préférentiel (mesures annoncées par la maire de Paris).
  • Amélioration du rendement : actuellement, beaucoup de ces utilitaires ne sont remplis qu’au tiers, grouper les livraisons par quartier.

b) Interdiction progressive des poids lourds et des bus de tourisme diesel en particulier ceux qui ne sont pas aux normes euro 5-6. Ces deux mesures seront appliquées dès juillet 2015 à Paris.

c) Limiter la circulation des taxis polluants : subventions pour véhicules taxi hybrides, électriques, bornes de recharge rapide. Cette mesure prise par la mairie de Paris ne figure malheureusement pas dans le PPA strasbourgeois.

d) Passage de toute la flotte de bus, utilitaires de la CUS, HUS, conseil général en véhicules hybrides ou électriques (ou au minimum essence).

d) Extension progressive de ces mesures aux véhicules particuliers en prenant exemple sur les mesures parisiennes (dès juillet 2016 interdire tous les véhicules polluants de classe 1* antérieurs à 1997 pour les véhicules particuliers et utilitaires, puis interdiction progressive des véhicules polluants de classes 2*, 3* puis 4* entre 2017 et 2020).

e) Création d’une zone à basses émissions incluant tout le grand centre strasbourgeois.

Pour faciliter la mise en place de cette mesure, il conviendra de prévoir :

  • La possibilité de revoir au cas par cas (via les mairies de quartier) les politiques de déplacements en particulier pour les courts trajets (moins de 3km) avec création, comme à Paris, de centre de mobilité.
  • Une aide au changement de véhicules se rajoutant à l’aide de l’État.
  • Le développement des abonnements Citiz par des tarifs attractifs, des abonnements de vélo ou scooters électriques.
  • Aider les futurs jeunes conducteurs à ne pas acheter un vieux diesel comme premier véhicule.
  • Exemple à Paris : pour les parisiens renonçant à leur véhicule particulier concerné par les mesures de restriction de circulation : offre découverte Autolib + remboursement du Pass Navigo et de l’abonnement Vélib pour un an. Pour tous les Parisiens de moins de 25 ans venant d’obtenir leur permis de conduire : offre découverte Autolib (50% de l’abonnement gratuit + crédit de 50 euros de trajets pré-payés).
  • La possibilité d’adaptation au GPL pour certains véhicules.

2) Développer les pistes cyclables à l’écart des voitures, pour que les cyclistes n’aient pas à respirer l’air sorti directement des pots d’échappement

Actuellement les cyclistes qui font l’effort de ne pas polluer prennent à la fois des risques d’accident mais surtout mettent leur santé en danger en respirant encore plus de particules fines et de dérivés benzéniques. Les dernières études montrent qu’en vélo le risque lié à la pollution est supérieur au risque accidentogène.

  • Créer de véritables voies vertes pour piétons et cyclistes à l’écart des voitures,
  • Sécuriser les pistes cyclables, grand nombre de pistes actuellement sont trop dangereuses et freinent le développement du vélo,
  • Étudier la possibilité de pistes cyclables le long de l’eau, et comme à Freiburg faire de la première couronne (Quai des bateliers….) un espace sans voiture,
  • Développer l’aide financière kilométrique pour cycliste.

3) Développer les transports fluviaux et ferroviaires (et par réseau tram)

  • Étudier la possibilité du fret ferroviaire pour les poids lourds traversant la plaine d’Alsace. On pourrait même rêver d’un rail franco-allemand commun pour le transit des poids lourds,
  • Discuter aussi de la pollution des navettes de Batorama, qui doit investir dans des moteurs bateaux propres.

 4) Limiter en ville la vitesse à 30 km/h et couper le moteur au feu

Pour diminuer l’accidentologie routière et la pollution (via une meilleure fluidité du trafic). Couper son moteur au feu est obligatoire dans certains pays. Cette mesure serait couplée de l’installation de panneaux.

5) Inciter les auto-écoles qui forment les jeunes et qui effectuent de nombreux kilomètres en ville à remplacer leur flotte qui est aujourd’hui 100% diesel

Et les faire participer à l’information et à la formation des jeunes sur la pollution liée à la conduite en ville.

6) Modifier le déclenchement des procédures d’alerte par la préfecture, qui aujourd’hui ne s’appliquent que si la concentration en particules fines (PM) est supérieure à 80µg / m3 /24h.

Prendre exemple sur la région Rhône Alpes qui a décidé de déclencher les procédures d’alerte en cas de seuil d’information (50µg /m3) persistant plusieurs jours. Ces mesures figurent dans l’arrêté ministériel de mars 2014, mais ne sont toujours pas appliquées en Alsace.

7) Mesures renforcées lors de procédures d’alerte :

  • Interdiction de circulation des véhicules les plus polluants et circulation alternée pour les véhicules aux normes euro 5-6. Cette mesure qui serait efficace selon les études du PPA, doit être appliquée au plus vite.
  • Gratuité des transports en communs, des Citiz, vélo, etc,
  • Augmentation du nombre de trains, trams, bus (non diesels) qui seront gratuits,
  • Limitation vitesse (70km/h autoroute et périphérie),
  • Des contrôles mobiles de ces applications doivent être effectués et non des contrôles fixes (responsables d’embouteillage) tel que le prévoit la mairie de Paris,
  • Mise en place de covoiturage : les véhicules qui ont le droit de circuler mettront sur un site spécialisé leur trajet afin d’organiser des déplacements groupés, en particulier pour les écoles,
  • Lors de dépassement des seuils d’information et d’alerte, mieux informer la population. Encore trop de gens l’ignorent et font leur footing lors de pics de pollution. Il faut mettre des panneaux d’information dans les parcs (Orangerie, Citadelle).

8) Établir une véritable campagne de santé publique locale

Pour informer des dangers de la pollution en particulier automobile.

9) Création de réseau de citoyens « capteurs » pour effectuer des mesures de pollution

Dans chaque quartier en complément des études classiques de l’ASPA. Cette initiative devrait être mise en place à Paris.

10) Application au plus vite des recommandations du PPA

En particulier concernant la pollution aux abords des grands axes routiers urbains (Autoroutes, N83, Avenue du Rhin…) et du centre-ville. Nous espérons surtout que ce Plan de Protection de l’Air (PPA) ne servira pas uniquement d’alibi pour éloigner les sanctions financières européennes mais qu’il sera une véritable rampe de lancement d’un changement profond.

 Dr Thomas Bourdrel, président du collectif Strasbourg respire


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