Les bons résultats du Racing Club de Strasbourg Alsace, qui sont le fruit du travail exceptionnel des joueurs et du staff, ne suffisent pas à masquer les tensions entre ultras et dirigeants. La polémique autour du cas Emmanuel Emegha, capitaine du club qui a annoncé son départ pour la maison mère Chelsea en juin 2026 dès septembre 2025, en portant le maillot de son futur club, a été la goutte d’eau qui a envenimé un conflit latent. Cette situation de tension nous offre une occasion unique : celle d’avoir un débat constructif autour de la multipropriété dans le football et de réfléchir à ce qu’est réellement devenu un club de football aujourd’hui.
Un club de football est bien plus qu’une simple entreprise : c’est un outil de rayonnement régional, c’est un héritage local, mais aussi une passion qui se transmet entre générations. À Strasbourg plus qu’ailleurs, ce sont des passionnés, ancrés profondément dans le territoire, qui ont permis au club de renaître de ses cendres.
La multi-propriété, quintessence de la financiarisation du sport
C’est pourquoi, malgré les bons résultats sportifs, le rôle d’un responsable politique attaché à l’intérêt général consiste à regarder au-delà de l’euphorie du moment. Le modèle économique sur lequel repose le succès du Racing, celui de la multipropriété (en anglais multi-club ownership ou MCO), se répand comme une traînée de poudre dans le football français et européen. Ce système est la quintessence de la financiarisation du sport, qui doit nous interroger collectivement.
Le Racing, via son appartenance à la galaxie BlueCo, n’est pas un cas isolé. Sont concernés des clubs historiques comme Lyon, Bordeaux ou encore Nice. Partout, des fonds d’investissement tissent leur toile, transformant nos clubs en actifs financiers au sein de portefeuilles mondialisés. Ce système porte en lui des risques et des dérives que nous ne pouvons ignorer.
Il suffit de regarder la situation de l’Olympique lyonnais, immense club du football français, qui a frôlé la catastrophe et la faillite il y a quelques semaines. Le montage financier complexe de son propriétaire, Eagle Football, qui a utilisé l’Olympique Lyonnais pour transférer un maximum d’actifs vers un club tiers basé au Brésil, a placé le club au bord du gouffre. Cet exemple doit nous servir d’avertissement : l’objectif de la multipropriété n’est aucunement sportif, il est presque toujours tourné vers la recherche de profits rapides et importants, à court-terme.
Clubs sacrifiés pour des intérêts financiers
Dans un système financiarisé et sans aucune régulation, comme celui du foot français, personne ne peut empêcher un groupe de se désengager et de démanteler un club, qui se retrouve alors sacrifié sur l’autel d’intérêts purement financiers.
Il est à noter que la multipropriété (ou MCO) n’est que la dernière étape d’une mondialisation et d’une financiarisation sans limite du football, qui a fait perdre l’essence même de ce qu’est le sport. Déjà le Qatar, en 2011, avait fortement déstabilisé le football français avec ses apports de pétrodollars pour constituer artificiellement le meilleur club sur la scène nationale. En 2008, c’était les Emiratis qui achetaient Manchester City pour en faire la tête de pont de leur stratégie de soft-power. Et comment oublier l’arrivée de Roman Abramovitch, premier grand magnat à investir sans limites pour faire de Chelsea une place forte du football anglais ?
Alors évidemment, le MCO n’est que la conclusion de ce phénomène de dérive profonde du “foot-business”, où face à la puissance financière quasi illimitée de ces clubs détenus par des États ou des magnats ultra-fortunés, nos équipes historiques sont poussées dans les bras d’investisseurs, simplement pour pouvoir exister.
Une fois ce constat fait, nous ne pouvons rester les spectateurs passifs de cette transformation qui éloigne le football de ses supporters et de ses racines. Car la multipropriété pose une question fondamentale : à qui appartiennent vraiment ces clubs ?
Quelle garantie que le Racing ne sera pas un outil jetable ?
Quelle est la garantie que le Racing Club de Strasbourg Alsace, par exemple, qui est déjà considéré comme une sorte de filiale de sa maison-mère Chelsea, ne deviendra pas, à terme, un simple outil jetable ? Souhaitons-nous avoir dans le football français d’autres cas funestes comme les Girondins de Bordeaux, dont le propriétaire emprunte à des taux usuriers simplement pour acheter et posséder une myriade de clubs dans l’optique de gagner de l’argent avec une stratégie bancale de trading de joueurs ?
Enfin, comment pouvons-nous savoir où va réellement l’argent du football ? Une récente enquête de Romain Molina a par exemple démontré que les bénéficiaires effectifs de BlueCo, une fois remontée la chaîne de sociétés écrans qui possèdent le club de Strasbourg, sont situés aux Îles Caïmans, pays qui pratique l’anonymisation des actionnaires et l’évasion fiscale.
Ces questions relèvent de la lutte contre les dérives financières et nous imposent, en tant que législateur, de faire évoluer la loi pour encadrer ce phénomène de la multipropriété des clubs sportifs.
C’est pourquoi j’ai co-signé et je soutiens avec force la proposition de loi transpartisane, portée notamment par mon collègue député insoumis Éric Coquerel, visant à réguler la multipropriété. Il ne s’agit pas de fermer la porte aux investisseurs, mais de fixer des règles claires pour protéger notre patrimoine sportif et éviter les dérives financières et les catastrophes économiques qui s’ensuivent, malheureusement, trop souvent.
Aussi, cette proposition de loi contient des mesures justes et équilibrées, telles que :
- imposer une transparence totale sur l’identité des propriétaires réels, renforcer le rôle de la DNCG (Direction nationale du contrôle de gestion), le gendarme financier du football français,
- interdire pour un même actionnaire de contrôler plusieurs clubs susceptibles de s’affronter, afin de garantir l’équité et l’intégrité des championnats et des compétitions.
Soutenir cette loi, ce n’est pas attaquer le Racing Club de Strasbourg Alsace, ni même ses dirigeants actuels. C’est au contraire protéger les clubs d’une dérive nocive qui a déjà démarré. C’est garantir qu’une stratégie sportive, décidée localement, sera toujours la priorité.
Emmanuel Fernandes



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