Des roses blanches tapissent un bout de bitume devant le bâtiment gris du 10 rue de Carsatt. Ce jeudi 22 décembre, vers 13h30, une trentaine de personnes sont venues rendre hommage à Yasemin Cetindag, tuée par son conjoint un an plus tôt.
Le rassemblement devant l’ancien domicile de la victime est à l’initiative de sa sœur. Isolée à cause du Covid, Leyla Cetindag assiste à l’hommage via le téléphone de son amie Marie (le prénom a été modifié). Le petit groupe l’entend à travers le haut-parleur du smartphone. La jeune femme accuse le silence du voisinage face aux signaux de détresse :
« C’est un immeuble de quatre étages mal isolé. Les voisins ont déjà déposé une main courante pour tapage nocturne. Pourtant, le cri de la mort, personne ne l’a pas entendu. »
13 mains courantes, des voisins et de la victime
Il y a pile un an, une dispute a éclaté entre Yasemin Cetindag et son ex-conjoint, Savas O. Les quatre enfants de la victime, âgés de 1 à 8 ans, ont rapporté aux enquêteurs des coups portés à leur mère, avant que celle-ci ne soit enfermée dans la salle de bain avec son bourreau. Le 28 décembre, après cinq jours de recherche, le corps de la jeune femme est retrouvé enterré dans la forêt de Vendenheim.
C’était le 97e féminicide de 2020, sur les 102 recensés dans la dernière étude nationale. 13 mains courantes avaient été déposées à la police par le voisinage pour tapage nocturne et par la victime elle-même, pour violences. Yasemin avait aussi déposé une plainte qu’elle avait retirée. Par peur, selon Marie, qui l’avait rencontrée au Centre Communal d’Action Sociale (CCAS) de Strasbourg. Un an après, le mari se trouve toujours en détention provisoire.
« Je veux que la justice française entende ma voix »
Vers 14h, c’est Marie qui prend la parole. Devant les proches de Yasemin, elle déroule une histoire similaire à celle de Yasemin. Elle a récemment porté plainte contre son ex-mari pour menace de mort, comme l’avait rapporté Rue89 Strasbourg en septembre. La suite de plusieurs autres plaintes, qui n’ont pas abouti pour viol et violences conjugales. Une seule condamnation à trois mois de prison avec sursis avait été prononcée pour des faits datant de 2019. Aujourd’hui protégée par une mesure d’éloignement qui prend fin en 2023, Marie vit dans la peur, dans un foyer pour femmes battues.
Devant la famille de Yasemin, Marie a dénoncé des institutions de l’Etat inefficaces face aux violences faites aux femmes :
« Je suis toutes ces femmes battues tuées par ces pourritures. Je veux que la justice française entende ma voix et la voix de nos femmes qui auraient pu vivre aujourd’hui encore si leur travail avait été fait correctement. La justice reste chaque fois complice »
« Vous trouvez normal qu’un an après, rien n’ait bougé ? »
Les deux avocats de la famille Cetindag, Me Metzger et Me Aras, étaient présents au rassemblement. Hager Sehili, la soeur d’Ahlam Idoudi, tuée le 17 avril 2010 par son conjoint, perce leur regard avant de lâcher : « Vous trouvez normal qu’un an après, rien n’ait bougé pour la famille Cetindag ? »
Dix ans plus tôt, Hager Sehili a perdu sa sœur strasbourgeoise. Ahlam Sehili avait tenté de porter plainte au commissariat de Strasbourg la veille de son assassinat, en vain. Le policier face à elle lui avait conseillé de s’adresser au commissariat de son quartier… qui était en travaux. Face à la rage d’Hager Sehili, les deux avocats restent calmes. Elle dénonce les dysfonctionnements de la justice française. Les avocats rétorquent que l’institution manque de moyens pour faire son travail.
En mars 2021, Hager Sehili était parvenue à faire condamner l’Etat pour faute lourde suite au refus de prendre la plainte d’Ahlam Sehili. Cette reconnaissance de la faute de la police est source d’inspiration pour Leyla, qui pense aussi porter plainte contre l’Etat. Pour la sœur de Yasemin Cetindag, il faudra surtout s’armer de patience. Hager Sehili a obtenu gain de cause 11 ans après l’assassinat de sa sœur.
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