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À Vendenheim, on aimerait rester « Charlie » un peu plus longtemps…

Une semaine après la tuerie de Charlie Hebdo et des événements qui ont suivi, l’Espace culturel de Vendenheim organisait jeudi soir une « agora » pour partager, débattre, voire s’informer et imaginer l’après-Charlie. Panser les plaies et reconstruire la société ? Nous y étions.

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À Vendenheim, on aimerait rester « Charlie » un peu plus longtemps…

Dans cette "conférence de rédaction" improvisée, l'espace culturel de Vendenheim.
À la « conférence de rédaction » improvisée, dans l’espace culturel de Vendenheim.

Des tables ont été installées près du bar. Mais il faut modifier l’espace : pas assez de place pour accueillir la cinquantaine de visiteurs du soir, dont une bonne moitié d’enfants. Ils arrivent à 18 heures, s’installent, sortent les crayons et se lâchent. À écouter Stéphane Litolff, directeur de l’espace culturel de Vendenheim, les choses se sont un peu précipitées, ces derniers jours.

« Mercredi 7 janvier, nous étions réunis pour les vœux de l’équipe municipale [la salle dépend du service culturel de la ville de Vendenheim, ndlr.]. C’est là qu’on a appris la nouvelle de l’attaque à Charlie Hebdo. Spontanément, on s’est retrouvé en silence devant le monument aux morts. Et puis on s’est tout de suite dit qu’il fallait organiser des rencontres, faire parler les gens. Surtout les plus jeunes, qui ne connaissaient pas forcément le journal. Ceux qui n’ont pas respecté la minute de silence au collège, aussi. »

Une agora publique

Du coup, l’espace culturel est devenu, le temps d’une soirée, agora publique où chacun était invité à s’exprimer, à « porter la plume dans la plaie », histoire de ne pas cicatriser trop vite. Bien sûr, au début, ça ressemble un peu à un atelier de découpage ou à des conversations de comptoir. Être Charlie ou pas ? Peut-on comparer Dieudonné à Charb ? Charlie Hebdo est-il allé trop loin ? De table en table, du brouhaha des débats spontanés, on entend des mots étranges : « amalgame », « unité nationale », « barbarie ». Il y a des artistes, des profs d’art plastiques, plusieurs journalistes, des collégiens, des parents, aussi.

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Le jeune groupe de théâtre de Véronique Eschbach s’est invité à l’atelier.

Sur les fenêtres du centre, on colle des dessins et des textes. « On va tâcher de publier tout ça dans un journal éphémère », explique Stéphane Litolff qui ne sait pas trop comment donner une forme, une unité, à ce florilège. Sur les autres murs, des « unes » de Charlie encadrées. Un journal que certains découvrent. Dylan et Mathieu ont 14 ans et sont scolarisés au collège de Vendenheim. Charlie, ils en entendent parler depuis une semaine, presque à chaque cours :

« En éducation civique, on a parlé de la Défense. En anglais, Charlie Hebdo a servi à apprendre du nouveau vocabulaire sur les émotions. En art-pla, on a parlé de caricatures et de liberté d’expression. »

Une bouteille à la mer

Les enfants rentrent chez eux, et on passe dans la salle de cinéma. Au programme de la seconde partie de cette soirée, la projection d’un documentaire réalisé par Lionel Escama en 2006 : Charlie Hebdo, une bouteille à la mer. On y voit l’équipe aujourd’hui disparue du seul hebdomadaire satirique de l’époque.

Le film ressemble aujourd’hui un document d’une autre époque, celle où Jean-Marie Le Pen et Jacques Chirac étaient encore les cibles favorites des dessinateurs. C’était avant l’affaire des caricatures de Mahomet, et la rédaction incendiée. Avant la tuerie.

Enfants et adultes ont tenté de mettre en mots et en images ce qu'ils pensaient de ces derniers jours.
Enfants et adultes ont tenté de mettre en mots et en images ce qu’ils pensaient de ces derniers jours.

Mahomet ou pas ?

C’est après le film que les langues se délient. Parmi la cinquantaine de spectateurs, quelques-uns se lancent, puis chacun y va de son impression, de son émotion. Mais peu à peu, c’est la réflexion qui s’installe, et le débat prend forme.

Christophe, ancien travailleur social des quartiers se présentant comme musulman — le seul de la soirée — se dit « en colère » contre la dernière « une » de Charlie qui « ne délivre pas un message clair de paix ».

« Pour un journal tiré à 4 millions d’exemplaires, c’est vraiment dommage d’en remettre une couche dans la provocation. Ce n’est que dans un deuxième temps que j’ai compris le “Tout est pardonné”. Alors imaginez ce que ça peut donner, dans les quartiers, avec des jeunes qui prennent ça dans le coeur et qui n’ont pas le recul pour analyser le message… »

Bronca dans la salle. « C’est au contraire un prophète très sympathique, très humain, qui pleure ! Bien sûr que c’est un message de paix ! ». Un journaliste poursuit et justifie le choix du dessinateur Luz, l’un des survivants de l’équipe de Charlie Hebdo :

« Éditorialement, ils étaient obligés de mettre Mahomet en couverture. Sinon, ça aurait été un aveu de faiblesse. Une défaite. »

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(Photo Baptiste Cogitore / Rue89 Strasbourg)

Christophe poursuit :

« Quand j’ai appris que des jeunes que j’avais connus et parfois aidés se trouvent aujourd’hui en Syrie, j’en ai pleuré. Je me suis dit que j’avais échoué. »

Plusieurs voix s’élèvent : « Non, nous avons tous échoué ». Au-delà des débats, c’est la question de l’avenir de toute la société dont il était question. Comment faire face aux défis brutalement surgis avec le massacre de journalistes à Paris ? Comment continuer à s’exprimer sans censure ? Le journal éphémère de Vendenheim tentera d’apporter une petite réponse collective au traumatisme.


#charlie hebdo

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