Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

« Personne n’était là par hasard » : après les émeutes, des jeunes sévèrement condamnés à Strasbourg

Huit personnes étaient jugées en comparution immédiate lundi 3 juillet, suite aux pillages survenus à Strasbourg entre le 30 juin et le 1er juillet. À la barre, parfois seuls, parfois en duo, les jeunes prévenus ont évoqué l’influence du groupe, l’inconscience de participer à quelque chose de grave, et ont écopé de peines exceptionnellement lourdes.

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compa immédiates 3 juillet

Au temps des émeutes succède celui de la justice, attendu et appréhendé. En témoigne le nombre d’observateurs sur les bancs de la salle 101 du tribunal judiciaire de Strasbourg, lundi 3 juillet. Y sont jugés huit prévenus interpellés les vendredi 30 juin et samedi 1er juillet, en comparution immédiate. Selon la préfecture, lors des journées et des nuits d’émeutes, 68 personnes ont été interpellées au total.

À l’entrée de la salle, deux adolescents attendent qu’une place se libère pour assister à l’audience. L’un d’eux soupire :

« Dans le quartier, à l’Elsau, c’était assez calme la semaine dernière. De toutes façons y’a rien chez nous, même plus de bureau de poste correct. Mais tout le monde sait que notre pote a été arrêté, on est là pour le soutenir. »

Les « pilleurs » du Zara et du Lacoste à la barre

Parmi les victimes des accusés, « le Zara » et « le Lacoste », deux enseignes du centre-ville pillées vendredi 30 juin, peu après l’Apple Store de la place Kléber. Les chefs d’accusation vont du « vol aggravé » à « l’outrage à une personne dépositaire de l’autorité publique », en passant par la « rébellion » ou la « participation avec arme à un attroupement ».

Dossier après dossier, le procureur adjoint Alexandre Chevrier, représentant du ministère public, rappelle « les violences contre les forces de l’ordre, les attaques, les véhicules incendiés et les scènes de pillage :

« Cette vague de violence est socialement inacceptable et n’a rien à voir avec la mort du jeune Nahel. Ce sont des attaques aux valeurs qui font la République. »

Systématiquement, il requiert de la prison ferme pour les prévenus, entre 6 et 12 mois selon les dossiers. Les accusés arrivent et repartent menottés, derrière une vitre de plexiglas, sous les yeux parfois ébahis du public. Car tous ont été placés en détention provisoire par le juge de la détention et des libertés, à l’issue de leurs gardes à vue.

À entendre les défenses, les accusés sont passés devant les boutiques par hasard, une fois celles-ci endommagées et ont tenté d’y voler des vêtements. « J’ai fait une grosse connerie », confesse l’un d’eux, 26 ans, accusé d’avoir pillé le magasin Zara. « Je n’ai pas réfléchi mais j’ai tout de suite lâché les vêtements, j’ai été interpellée sans rien sur moi », clame une autre.

« Mais pourquoi vous ne vous êtes pas barrés ? »

La jeune femme de tout juste 18 ans était en ville accompagnée de sa cousine, vendredi 29 juin. Volontaire en service civique auprès des personnes âgées et handicapées, elle affirme ne pas s’être rendu compte de la gravité de son acte. « Pourquoi étiez-vous encore au centre alors que la situation était tendue », interroge le président Philippe Schneider. « Mais monsieur, il n’y avait plus de trams en début de soirée et j’habite loin », rétorque la jeune femme, évoquant les vagues de gaz lacrymogène et les mouvements de foule qui l’ont poussée vers la rue de la Haute-Montée peu après 18h.

Comme si le seul fait d’occuper l’espace public à l’instant des émeutes suffisait à caractériser l’intention criminelle, les demandes de précisions se font insistantes. « Vous auriez pu aller plus loin que la place Broglie pour vous éloigner des affrontements », poursuit le président. Après un cours magistral sur le sens du mot « civique » et de plates excuses de l’accusée au directeur du Zara – qui, elle l’espère, ne s’est pas retrouvé au chômage à cause d’elle – il passe à l’affaire suivante.

« Un ami m’a dit qu’il y avait un rassemblement pour Nahel, alors je suis venu », explique un autre accusé, 19 ans. « Est-ce que ça ressemblait à une manifestation, avec des panneaux et tout ce genre de choses », questionne le président. Les yeux se baissent, un non timide s’échappe des lèvres du jeune homme. Là encore surgit la question de sa présence en centre-ville au moment des émeutes. « Mais pourquoi vous ne vous êtes pas barré, tout simplement ? »

« Le tribunal est pris en otage »

À la barre, Me Thibaut Mathias, avocat de l’un des prévenu, invoque « l’instinct grégaire » :

« Qui n’a pas, sur l’autoroute, le réflexe de s’arrêter pour voir lorsqu’on passe à côté d’un accident ? C’est surtout de ça qu’il s’agit, de l’effet de groupe, de vol d’opportunité, de jeunes qui ont été embarqués malgré eux. »

Pour la première fois en milieu d’après-midi, il pose dans la salle des mots jusqu’alors savamment évités quant au symbole des condamnations qui seront prononcées par le juge :

« Ici c’est pas BFM, c’est pas CNews non plus. Je sais que le parquet a pour consigne de faire preuve d’une extrême fermeté sur ces affaires, ce qui en droit pénal se traduit en mandat de dépôt (placement en détention, NDLR). Je constate que la consigne est bien arrivée jusqu’à Strasbourg. Et le tribunal est pris en otage : si les réquisitions ne sont pas suivies et que les jeunes récidivent, on vous reprochera d’avoir été laxistes. Mais ce ne sont pas des émeutiers que vous jugez, ce sont les autres. Avaient-ils l’intention de mettre la France à feu et à sang ? »

Vidéos et réseaux sociaux comme éléments de preuves

À l’aide d’images tirées des caméras de vidéo surveillance, présentes dans toutes les affaires jugées, le président apprécie les quantités de vêtements emportés par les prévenus. « C’était à votre taille, au moins ? », lance-t-il à un jeune. À nouveau, les yeux se baissent.

Pour défendre son client de 19 ans, Me Léa Monod clame qu’il n’avait pas de téléphone et donc, pas d’accès non plus aux réseaux sociaux. Selon elle, la défense de son client, sans-abri, qui « cherchait juste un endroit où dormir » tient en partie à sa déconnexion.

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Au premier étage du palais de justice, des dizaines de personnes se sont déplacées pour assister à l’audience de lundi 3 juillet. Photo : CB / Rue89 Strasbourg / cc

Mais ce sont aussi les réseaux sociaux que cite le procureur de la République pour prouver les mauvaises intentions des accusés. « Personne n’était là par hasard, les informations des pillages circulaient en ligne », estime-t-il avant de désigner l’accusé : « Si monsieur était là, c’était pour créer du désordre ».

Dans chaque dossier, la vidéo surveillance fait office de preuve. Elle « a confondu » l’un des accusés, on en voit un autre sur les images de la police municipale. Elles sont « un secours bien utile devant ce tribunal » affirme le procureur adjoint. À deux reprises entre le 29 juin et le 1er juillet, la préfecture du Bas-Rhin a autorisé les forces de police et de gendarmerie à utiliser des drones pour capter des images.

Une audience qui étonne

Devant la salle d’audience, téléphone à la main, la mère d’un des prévenus attend des nouvelles de son avocat. Elle n’en a pas eu de son fils de 21 ans pendant plus de 24 heures et a seulement appris dimanche soir qu’il serait jugé le lendemain. Plus loin, un professeur de lycée est venu sur son jour de congé. « Peut-être que c’est un de mes élèves qui comparaît aujourd’hui, je ne sais pas, j’espère que non », souffle-t-il. Également à la recherche d’une place dans la salle, une autre adolescente avoue être venue « juste pour voir ce que ça donne, la justice, après les émeutes ».

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Lundi 3 juillet, une partie des audiences de comparution immédiates ont été déplacées dans une autre salle. Le même jour, les greffiers étaient en grève. Photo : CB / Rue89 Strasbourg / cc

Les profils des jeunes accusés sont divers. Volontaire en service civique, travailleurs de la restauration, très jeune père de famille ou futur candidat aux épreuves pour devenir militaire, les regrets persistent. « On a fait une connerie, on regrette », assurent de concert deux jeunes, 21 et 24 ans, accusés d’être entrés et d’avoir volé dans le magasin Lacoste en pleine nuit malgré les planches de bois qui en réparaient la devanture.

« C’est un contexte exceptionnel mais mon client est un jeune banal. Ce contexte qui exige un jugement rapide et hâtif ne signifie pas qu’il faut oublier le droit. Je ne vois pas pourquoi mon client devrait payer pour toute la France. »

Me Laure Fitoussi

De lourdes peines suivant les réquisitions du ministère public

Sur les huit personnes jugées pour des faits survenus pendant les périodes de violences urbaines, toutes ont été déclarées coupables par le tribunal et seules deux d’entre elles sont ressorties libres le soir même. Sept d’entre elles ont été condamnées à de la prison ferme – entre 4 et 12 mois selon les affaires. Des jugements qui ont suivi, dans la plupart des cas, les réquisitions du ministère public, avec des peines importantes pour de tels faits selon l’analyse de Me Laure Fitoussi :

« En comparutions immédiates, les peines sont souvent plus sévères. Elles permettent d’apporter une réponse pénale rapide mais sont habituellement réservées à des personnes qui ont déjà eu affaire à la justice, ce qui n’était pas forcément le cas des prévenus. La sévérité des peines tient surtout aux mandats de dépôts. De jeunes gens qui ne connaissent pas le milieu carcéral ont été envoyés en prison immédiatement. »

Pour quatre personnes, ces peines pourront être effectuées à domicile après la pose d’un bracelet électronique. « Vous passerez quelques jours en prison avant pour bien avoir le temps de réfléchir », précise le président.

D’autres comparutions immédiates en lien avec les émeutes sont prévues mardi 4 juillet au tribunal judiciaire de Strasbourg.


#violences urbaines

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