Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

À la Robertsau, le « tram-jardin » s’arrête à mi-chemin

À partir du 17 juin, le tram E s’enfoncera jusqu’à l’Escale, au cœur de la Robertsau. Trois stations supplémentaires seront desservies, pour 19 millions d’euros investis. Mais l’efficacité de cette extension est contestée par de nombreux acteurs. Visite virtuelle, avant la sortie guidée sur place le 6 juin, réservée aux abonnés de Rue89 Strasbourg.

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À la Robertsau, le « tram-jardin » s’arrête à mi-chemin

« Les Robertsauviens ont été plutôt gâtés, avec tous ces espaces verts sur le tracé qui coûteront chers à entretenir », glisse un urbaniste du cru, croisé à deux pas de l’école de la rue Adler, au centre de la Robertsau. Vrai : des paysagistes et horticulteurs s’affairent depuis cet hiver pour aménager, planter et arborer les abords de l’extension de la ligne de tram E. Et faux : cette voie d’une trentaine de mètres de large a toujours été « verte », typique de cet ancien quartier maraîcher de Strasbourg, où s’étendaient partout des « jardins », petites exploitations agricoles, jusqu’au milieu des années 1970.

Trois nouvelles stations à partir du 17 juin

Certes, 280 arbres ont été plantés le long de cette extension du tram, qui cheminera, à partir du 17 juin jusqu’au cœur du quartier, rue Mélanie puis, plus au nord, jusqu’au centre socio-culturel de l’Escale. À cette occasion, la majorité des 1 600 mètres de voies nouvelles a été engazonnée, une piste cyclable ajoutée, ainsi qu’un cheminement piétonnier dessiné dans la verdure, là où jusqu’en 2017 la broussaille et les jardins étaient inaccessibles au public.

Plan CTS – Extension du tram Robertsau et redéploiement des bus (DR)

Certes encore, trois nouvelles stations, Jardiniers, Mélanie et Robertsau L’Escale, ont été créées pour 19,4 millions d’euros d’investissement portés par l’Eurométropole, l’État et la Région Grand Est, dont 16,3 millions de travaux. Mais les modalités de cette extension sont dénoncées par nombre d’acteurs, qui la jugent insuffisamment longue (après l’avoir trouvé trop longue…) pour générer un véritable report modal, ou seulement utile à justifier dans un futur proche une urbanisation de terrains alentours.

« Réclamer l’extension jusqu’à la clinique Sainte-Anne »

Ingrats, les Robertsauviens ? Râleurs, nimbistes, jamais contents ? Nicole Dreyer, adjointe au maire (PS) en charge du quartier, lance avec une pointe d’amertume :

« Toute l’énergie que beaucoup ont mis à s’opposer au tram, ils auraient mieux fait de la mettre à réclamer l’extension jusqu’à Sainte-Anne ! »

Rejouer le match, se renvoyer la balle, associations, élus et commerçants y sont prompts. Néanmoins, tous s’accordent aujourd’hui sur un constat : « Cette ligne n’est pas finie ». Ce sont Olivier Sandrin et Morad Baadache, responsables de l’association des commerçants LaRob.com, qui le disent, et qui continuent :

« Pour être efficace, le tram doit aller jusqu’à la piscine et l’ASL (association sportive), route de la Wantzenau ».

Le « tram-jardin » le long du parc de la Petite Orangerie (Photo Marie Hoffsess)

Une option qui fait quasiment l’unanimité, à croire qu’il n’aurait pas fallu grand-chose, sinon quelques deniers supplémentaires, pour l’entériner. François Giordani, président d’Astus, association d’usagers des transports en commun, confirme :

« Il faut une prolongation du tram E jusqu’à la rue de la Roue, avec un parking-relais (P+R), pour permettre aux gens qui viennent en voiture de La Wantzenau ou de Gambsheim de prendre le tram. »

Un point de vue encore partagé par l’Adir, Association de défense des intérêts de la Robertsau, dont le président Jacques Gratecos martèle :

« Le parking de la clinique Sainte-Anne est toujours plein, or les milliers de gens qui fréquentent l’établissement ne feront jamais les 700 mètres à pied qui séparent la clinique du terminus ! On a l’impression que ce tram tient plus du décorum que du véritable outil pour transporter du monde… »

Un sentiment partagé par Emmanuel Jacob, fondateur et animateur du Blog de la Robertsau, qui a beaucoup écrit sur le sujet :

« Ce tram qui trottine au Wacken n’est pas efficient par rapport au bus. Son tracé, dénoncé par l’équipe en place du temps de Fabienne Keller et Robert Grossmann, ne fera pas diminuer le nombre de voitures route de la Wantzenau ou rue Bœcklin, les axes les plus chargés du quartier. C’est un mauvais choix en matière de transport, mais un bon choix pour bétonner. Encore un prétexte pour densifier le quartier ! »

Difficile équilibre entre agriculture et habitat

Le tram, épine dorsale et moteur d’urbanisation, voire argument de vente pour les promoteurs ? Un grand oui, assume Roland Ries, maire de Strasbourg, quand il trace la ligne D vers Kehl. Un oui moins assuré à la Robertsau, mais un oui quand même. Son adjointe Nicole Dreyer explique :

« À Strasbourg, seulement trois quartiers ont encore des réserves foncières : le Neuhof, les Deux-Rives et la Robertsau. Ces 11 dernières années, j’ai travaillé à maintenir des terrains agricoles, chemin Gœb, autour du CINE de Bussierre et à Pourtalès, pour redonner à la Robertsau sa vocation nourricière initiale, tout en développant l’habitat. Trouver un équilibre entre les deux n’a pas été facile. Mais du côté de la Ville, nous n’avons urbanisé que trois terrains : à la Bleich (cité des Chasseurs), chemin de l’Anguille (à côté de la papeterie) et dans le secteur Oberkirch, autour de la Maison de l’enfance. Tout le reste, c’est du privé ! »

Préserver des arbres, le canal des Français, « imposer un minimum de contraintes esthétiques » : l’adjointe assure s’y être consacrée, en pourparlers constants avec des promoteurs désireux de tirer le meilleur parti des terrains très bien cotés de la Robertsau. Quadrature du cercle.

Entre les arrêts Mélanie et Escale, le tram longe des immeubles résidentiels et des terrains à bâtir (Photo Marie Hoffsess)

Reste que des permis de construire ont été déposés le long du tram entre les arrêts Mélanie et Robertsau L’Escale, et que des terrains pourraient être bientôt vendus au plus offrant en bordure de rails. Un état de fait qui hérisse certains habitants, quand d’autres s’en accommodent. Commerçants et associatifs ont des avis divergents dans leurs propres rangs. La plupart se plaint plus de l’ambiguïté du discours que du fond du sujet. Un acteur râle :

« Cet axe, c’est une manne immobilière et pourquoi pas ? Mais nous dire qu’on fait un « tram-jardin » qui va diminuer la pollution pour ensuite construire des barres devant les fenêtres des gens, ce n’est pas correct ! »

Bus et tram : trois voies parallèles sans correspondance

Sur la fréquentation des trois nouvelles stations, pas de chiffres précis, mais la CTS est optimiste. Son responsable marketing, Xavier Descamps, assure :

« Concernant les attentes de trafic, cela ne fait aucun doute que l’extension va fonctionner de manière correcte. Le tram dessert un habitat dense avec, dans son aire d’influence de 500 mètres autour des stations, plusieurs parkings d’une vingtaine de places : rue Saint-Fiacre, en face du restaurant La Vignette et au niveau de l’Escale. »

Cet employé de la CTS remarque encore que « l’effet plein sera observable au bout de deux ans », le temps pour les habitants de se familiariser avec cette nouvelle offre de transport. Qui, outre l’extension du tram, ne devrait pas beaucoup bouger, au grand dam de la plupart des acteurs : en effet, le réseau de bus – L6, 70, 72 et L1 – restera quasiment en l’état. Seul le 15a, rebaptisé ligne 15, change de trajet, bifurquant vers Robertsau-Bœcklin au lieu d’aller vers la piscine (voir le plan plus haut). Xavier Descamps reprend :

« Deux scénarios ont été proposés aux habitants, le premier maintenant les usages actuels, le second proposant des changements plus radicaux, comme faire se rejoindre la L1 et de la L6 au niveau de l’arrêt Robertsau-Eglise, qui aurait évité le maintien d’une ligne de bus parallèle au tram rue Bœcklin. »

Sans surprise ou presque, les riverains et la plupart des commerçants ont plébiscité le statu quo. Pire, pour nombre d’observateurs, la L1 aura bientôt son terminus à Lamproie, supprimant de fait la seule correspondance possible entre le bus et le tram à l’arrêt Mélanie. Résultat, trois axes verticaux de transports, qui cohabitent parallèlement sans se rejoindre « Rien n’est figé, on pourra revoir ça dans le courant de l’année », note Nicole Dreyer. Des travaux sont néanmoins en cours au rond-point Mélanie (direction Pourtalès) pour permettre aux bus articulés de faire demi-tour…

Les propriétaires de jardins le long du tram ont pu faire poser des clôtures simples, opaques ou anti-bruit – Ici à la station Mélanie (Photo Marie Hoffsess)

Sur le tracé de l’extension, qui chemine entre les jardins privés, séparés des voies par des clôtures parfois anti-bruit, une piste cyclable et une voie piétonne sont aménagées. Bertrand Frérot, responsable du pôle grands projets de la CTS, remarque :

« La demande politique, en lien avec la concertation, a été de séparer les flux piétons et cyclistes. C’est pour des raisons d’emprise foncière et de réglementation au niveau des traversées de voies que la piste n’est pas toute droite. »

Ses courbes, plus adaptées à la balade qu’à la vitesse ? « Un parti pris d’aménagement », assure-t-il encore. De l’aveu des divers acteurs du quartier, cette nouvelle piste cyclable est sécurisée, parfaite pour les enfants pour qui la rue Bœcklin était dangereuse. Mais, avec ses angles droits, ses feux, ses cédez-le-passage et ses chicanes, elle peine à remplir la fonction de traversée rapide du quartier.

La nouvelle piste cyclable le long du tram accumule les courbes, cédez-le-passage, angles droits et chicanes (Photo Marie Hoffsess)

Alors que les habitants s’approprient progressivement les aménagements qui accompagnent les voies nouvelles, le tram sera quant à lui officiellement inauguré le samedi 22 juin. Une fête de quartier est programmée, avec quelques bémols, dûs aux incertitudes et retards quant au réaménagement du parc de la Petite Orangerie, où devraient se tenir discours et agapes.


#Robertsau

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