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« Vivants » par Alix Delaporte : « J’ai voulu montrer le précieux de ce journalisme en disparition »

Dans son troisième long-métrage, la réalisatrice Alix Delaporte propose une immersion au sein d’une équipe de grand reportage qui subit des coupes budgétaires et une pression sur les chiffres d’audience. Un bel hommage à une profession en difficulté.

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« Vivants » par Alix Delaporte : « J’ai voulu montrer le précieux de ce journalisme en disparition »
« Vivants » nous plonge dans la petite équipe d’une émission de grand reportage.

Un pied dans la porte et beaucoup de détermination. C’est ce qu’il faut à Gabrielle, jeune journaliste, pour intégrer une prestigieuse équipe de réalisation de reportages télévisés. Avec elle, le spectateur du film Vivants observe une rédaction bouillonnante, pleine de caractères forts mais en proie aux maux de l’époque – des coupes budgétaires et un patron qui s’intéresse moins au métier de ses salariés qu’aux chiffres d’audience des émissions produites. À travers ce long-métrage qui plonge les spectateurs au sein d’une équipe aux airs de petite famille, la réalisatrice Alix Delaporte nous ouvre les yeux sur la réalité d’un métier en pleine mutation.

Rue89 Strasbourg : On sent votre attachement au journalisme dans ce film. C’est une profession qui est plutôt malmenée en France. Est-ce que vous souhaitiez réparer le lien entre les Français et les journalistes ? 

Alix Delaporte : Pendant l’écriture du film, j’ai enquêté dans les rédactions, sur les chaînes d’infos ou en école de journalisme. J’ai alors constaté que l’ADN commun de tous ces journalistes, c’est la quête de la vérité. Ce ne sont pas les journalistes qui donnent une sensation de travail mal fait. Ce sont les conditions de travail qu’on leur impose. Tout le monde essaye de se démerder avec des budgets en baisse pour fournir aux Français la meilleure quête de la vérité. Ce ne sont pas les journalistes qui vont trop vite. C’est ce qu’on leur demande. Le problème, c’est la rentabilité exigée par les groupes propriétaires de médias. 

« De l’espoir dans un monde en désenchantement »

Alix Delaporte, réalisatrice

Est-ce que le personnage de Gabrielle est inspiré de votre propre expérience ?

J’ai démarré comme journaliste au sein de l’agence Capa. J’y ai pris la caméra et je suis devenu journaliste reporter d’images (JRI). Moi aussi, en arrivant chez Capa, j’ai eu l’impression de venir d’un autre univers. Le personnage de Gabrielle est guide de montagne et ne vient pas des écoles de journalisme. Elle a d’autres connaissances. Elle sait réparer les machines. Elle est capable d’observer et d’entrer dans un défilé de mode. Rien ne lui fait peur. Elle n’a pas les codes. De la même manière, j’avais l’impression de venir sans connaître les règles, mais avec d’autres capacités. J’avais 20 ans, je voulais faire du journalisme et il y avait chez moi une fraîcheur en regardant ces gens qui faisaient ce métier depuis très longtemps. C’est pareil pour Gabrielle. Elle est toute en fougue et en vitalité. Elle met de l’espoir dans ce monde en désenchantement. 

Gabrielle, jeune journaliste, observe d’un œil nouveau ce journalisme en pleine mutation. Photo : Document remis / Pyramide Films

Qu’avez-vous voulu dire de la profession dans ce film ?

En tant que metteure en scène, j’ai envie de montrer un moment où l’on peut perdre quelque chose. Ici, c’est le temps consacré au reportage. J’ai voulu filmer ce moment où les choses peuvent basculer, pour montrer que ce journalisme est précieux. Si on n’a plus de temps pour l’investigation, on perd quelque chose de fondamental dans la quête de la vérité. 

« Le patron de média veut du rêve, pas du terrain »

Alix Delaporte, réalisatrice

Au-delà du temps, ce que je raconte, c’est la difficulté des reporters à aller sur le terrain. Parce que les gens qui contrôlent les rédactions estiment que c’est un luxe inutile. Aujourd’hui le patron de média veut du rêve, pas du terrain. Mais en remettant en question le temps et l’accès au terrain, il crée un plus grand danger pour les gens qui y vont. Car les journalistes ont de moins en moins de temps pour appréhender les risques du terrain.

Contraint par des coupes budgétaires, l’équipe cherche à se réinventer. Photo : Document remis / Pyramide Films

Pourquoi avoir choisi ce nom de film, Vivants, c’est le sentiment qui vous semble le mieux décrire ce métier ? 

Le journalisme est une vocation. On ne peut pas empêcher celles et ceux qui ont une vocation. Quand on les empêche, ils trouveront toujours un autre moyen d’exprimer cette pulsion. De la même manière, une infirmière empêchée de faire son métier trouve toujours comment soigner, d’une manière ou d’une autre. De même, enlevez-moi mes moyens de faire un film conventionnel, j’en ferai avec un portable.

« Le métier de journaliste est en danger »

Alix Delaporte, réalisatrice

Pourquoi avoir choisi de raconter la fin d’un programme d’enquête et de grand reportage ?

Je me sens comme une lanceuse d’alerte. Le métier de journaliste est en danger. J’ai voulu pointer quelque chose du journalisme en disant : « Attention c’est précieux ». Pour ça, j’attache les spectateurs à des gens, ici une petite équipe de rédaction qui se débrouille assez bien. J’ai vraiment voulu qu’on voie leur quotidien, comment ils se battent, comment ils rient souvent, comment ils font famille. En les lâchant au moment où la direction décide de mettre fin au programme, sans savoir ce qui attend les personnages pour la suite de leurs carrières, les spectateurs ressentent bien mieux le précieux de ce journalisme en disparition. 

Y aura-t-il une suite ? 

Ce qui m’intéresse aujourd’hui, c’est comment les jeunes réinventent le métier. J’aimerais raconter ce qu’ils inventeraient comme type d’émission. Il faudrait un format original, qui ne serait pas une émission de reportage ni un projet sur les réseaux sociaux.


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