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Dans les Vosges, le conservatoire d’espaces naturels tente de sauver Rouge Gazon

Le groupe Morlot planifiait de construire un hôtel haut de gamme sur un site classé à côté de la station de ski de Rouge Gazon. Mais une partie du terrain pourrait finalement revenir au conservatoire d’espaces naturels de Lorraine, en vue de sa préservation.

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Dans les Vosges, le conservatoire d’espaces naturels tente de sauver Rouge Gazon

Saint-Maurice-sur-Moselle se trouve dans le département des Vosges, à dix minutes en voiture de la frontière avec le Haut-Rhin. Dès 1910, l’État a classé un site appelé Rouge Gazon en amont de la commune, pour son cirque glaciaire, ses espaces naturels et son paysage, typiques du massif vosgien. Fernand Luttenbacher, le gérant d’une ferme auberge placée au milieu du périmètre protégé, a débuté l’édification d’une petite station de ski dans les années 60, sans pour autant défigurer les environs. Le site classé a été étendu en 2010. Il s’agit désormais de 710 hectares, composés de forêts, de chaumes de montagne (des prairies d’altitude qui accueillent des plantes et des insectes particuliers) et de la zone dédiée aux sports d’hiver.

L’hôtel-restaurant a brûlé dans un incendie le 3 juillet 2021. En 2022, le groupe Morlot, spécialisé dans la construction, a racheté son fonds de commerce et obtenu la délégation de service public pour l’exploitation de la station de ski, octroyée par le maire de Saint-Maurice-sur-Moselle. Et en janvier 2023, l’entreprise a annoncé ses projets pour Rouge Gazon : investir des millions d’euros pour créer un hôtel luxueux, avec 55 chambres dont 10 suites.

En hiver, au fil des années, l’enneigement est de plus en plus compromis avec le changement climatique.Photo : PF / Rue89 Strasbourg / cc

Ce dessein est entravé. Déjà, parce que la construction d’un tel établissement a peu de chance d’être autorisée sur un site classé, qui ne peut « ni être détruit, ni être modifié dans son état ou son aspect, sauf autorisation spéciale ». Mais aussi parce qu’une partie du terrain concerné ne devrait finalement pas revenir au groupe Morlot. La famille Luttenbacher était propriétaire des 30 hectares de pistes de sports d’hiver ainsi que de 80 hectares de chaumes et de forêts alentours, où passent des sentiers de randonnée et de ski de fond. Elle avait établi un bail agricole pour qu’un exploitant y fasse pâturer ses vaches.

Préserver 80 hectares de chaumes et de forêts

Les Luttenbacher comptaient vendre ces parcelles à une société spécialisée dans les transactions forestières en 2022. Mais impossible de céder une surface agricole comme ça. La Société d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer) a exercé son droit de préemption, se rendant propriétaire des sites en décembre 2022. Dans un communiqué daté de septembre 2023, la Safer Grand Est, chargée de réattribuer les terres, a annoncé leur répartition : les 30 hectares de la station de ski de Rouge Gazon reviennent à la commune de Saint-Maurice-sur-Moselle, et le site des Neufs Bois (les 80 hectares de chaumes et de forêts) va au Conservatoire d’espaces naturels (CEN) de Lorraine, qui avait candidaté dans le but de protéger la zone.

La Société d’aménagement entendait alors respecter « deux objectifs légaux : le maintien de l’exploitant agricole en place et la préservation de l’environnement, plus particulièrement de l’espace naturel remarquable que constitue le site des Neufs Bois ». Elle craignait que tout le site soit d’office consacré au tourisme car dans une délibération du conseil municipal du 19 décembre 2022, les élus ont autorisé le maire de Saint-Maurice-sur-Moselle à signer une promesse de vente des biens au groupe Morlot si les terres revenaient à la commune. Dans son communiqué de 2023, la société d’aménagement rétorque :

« Le projet de développement touristique porté par le groupe Morlot sur le site des Neufs Bois ne répondait pas à l’un des objectifs de la préemption exercée par la Safer à savoir la préservation de l’environnement et de la quiétude du site. »

Elle a estimé que le développement touristique pouvait se faire uniquement sur la zone de la station de ski et pas sur les chaumes, où 10% de la surface hôtelière devait s’implanter pour commencer : un bâtiment en bois avec trois suites. Après l’annonce de la Safer, le groupe Morlot a finalement annoncé début novembre qu’il se retirait de Rouge Gazon jusqu’à nouvel ordre, laissant tomber par la même occasion la station de ski, malgré l’obtention de la délégation de service public. Contactée par Rue89 Strasbourg, l’entreprise précise que sans les trois suites des Neufs Bois, « le projet devient financièrement non viable parce que le seuil de rentabilité n’est pas atteint ».

« On est en fin de négociation »

Alain Salvi, président du Conservatoire d’espaces naturels

Apprenant avec effroi que le programme hôtelier était menacé, le maire de Saint-Maurice-sur-Moselle avait rapidement initié une pétition le 29 septembre, qui a recueilli 700 signatures début janvier. Cette dernière demandait alors que l’intégralité des 110 hectares reviennent à la commune. Saint-Maurice-sur-Moselle n’a pas validé la décision de la Safer d’attribuer 80 hectares au CEN, ce qui a obligé la préfecture à organiser une médiation.

Le groupe Morlot souhaitait rénover l’hôtel-restaurant de Rouge Gazon pour y proposer 50 chambres haut de gamme.Photo : Espirat / Wikimedia Commons

Après une réunion le 13 octobre, dans le cadre de cette médiation, entre Alain Salvi, président du Conservatoire d’espaces naturels (CEN) de Lorraine, Patrick Maurice, responsable vosgien de la Safer, et Thierry Rigollet, maire de Saint-Maurice-sur-Moselle, les parties prenantes ont fait savoir qu’elles étaient en train de trouver un accord qui satisferait tout le monde. « On est en fin de négociation et on a convenu de ne pas s’exprimer avant que l’affaire ne soit bouclée », relate Alain Salvi.

Pour lui, « l’objectif a toujours été que le site soit conservé comme il est aujourd’hui » :

« On n’a jamais voulu fermer la zone au public, pour la randonnée ou le ski de fond. Et nous sommes favorables à une activité de pâturage agricole. Il faut comprendre qu’on a vu de très nombreux espaces se dégrader depuis 40 ans. C’est pour ça qu’on a essayé d’acquérir la zone pour la préserver, c’est notre raison d’être.

Maintenant les stations sont obligées de s’adapter au manque de neige donc elles veulent proposer des activités sur les quatre saisons. Le risque, comme toujours, c’est la construction de nouveaux aménagements pour le tourisme, par exemple une piste de quad, ou un hôtel, qui serait en plus une privatisation d’un terrain. »

Une contre pétition en défense du CEN

Et le CEN est soutenu par des écologistes. Dominique Humbert, président de SOS Massif des Vosges, considère que l’acquisition définitive des 82 hectares des Neufs Bois serait une bonne nouvelle : « Cela permettrait d’être certains que cette zone sera préservée si le CEN obtient la maîtrise foncière du site ». L’association a lancé une contre pétition le 10 octobre intitulée « Non, le Conservatoire des sites lorrains ne met pas en danger Rouge Gazon et la chaume des Neufs Bois ». Elle a rassemblé plus de 1 700 signatures début janvier, soit 1 000 de plus que celle de la commune de Saint-Maurice-sur-Moselle.

Interrogé par Rue89 Strasbourg sur ses projets précis pour les surfaces concernées par la préemption de la Safer, le maire Thierry Rigollet n’a pas répondu à Rue89 Strasbourg. Il avait annoncé en octobre 2023 à France 3 Grand Est être ouvert à une convention avec le CEN. Les termes définitifs de l’accord de partage des terres seront annoncés fin janvier.


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