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À Weinbourg, un « énergiculteur » veut recouvrir les champs de panneaux solaires

Un agriculteur projette l’installation d’un vaste dispositif de production d’énergie sur ses terres, entre Weinbourg et Ingwiller. Des opposants locaux y voient une atteinte inacceptable à l’environnement et à la préservation des terres agricoles.

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À Weinbourg, un « énergiculteur » veut recouvrir les champs de panneaux solaires
Vue d’ensemble modélisée du projet de Hanau Énergies, avec la commune d’Ingwiller en arrière plan.

Le regard figé, Sophie contemple le paysage des alentours de Weinbourg, où elle a emménagé il y a 15 ans pour se rapprocher des grands espaces. « Bientôt, ces près risquent d’être recouverts de panneaux solaires, c’est inimaginable », souffle t-elle. La petite commune de près de 500 habitants se trouve au nord-ouest de Haguenau, en bordure du parc naturel régional des Vosges du Nord. Ici, l’agriculteur Jean-Luc Westphal compte investir 20 millions d’euros pour installer 43 800 modules photovoltaïques de 2,80 mètres carrés sur une surface de 27 hectares, ce qui représente environ 37 terrains de football.

Un avis défavorable de la Direction de l’environnement

La Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement, et du logement (Dreal), a émis un avis défavorable au projet, considérant qu’en l’état, il « ne permet pas une absence d’atteinte au caractère et à l’intérêt des paysages naturels ». Mais la préfecture et la chambre d’agriculture ont tout de même donné leur aval : une enquête publique est en cours depuis le 16 octobre et jusqu’au 22 novembre. Les deux administrations n’ont pas donné suite aux sollicitations de Rue89 Strasbourg.

Concrètement, ces panneaux seraient montés sur des pieds espacés de six mètres, qui donneraient une hauteur potentielle de 3,45 mètres de haut et permettraient des mouvements de la structure en fonction de la position du soleil. Une clôture métallique de 2 mètres serait érigée autour du site.

Modélisation des panneaux solaires mobiles portés par des pieds espacés d’environ 6 mètres.Photo : Document issu de l’enquête publique.

« Ces chemins sont très utilisés. Il y a des gens qui promènent leur chien, font du vélo, viennent avec leur poussette », raconte Sophie, mère de quatre enfants, en plein milieu du site concerné par le projet : « Ils viennent jouer par ici. J’ai du mal à les visualiser entre des grillages et toute une centrale de production d’énergie. »

Pour l’instant, les terres sur lesquelles doit s’implanter le parc solaire sont encore dédiées uniquement à l’agriculture.Photo : TV / Rue89 Strasbourg

Une pétition contre le projet

Créé début novembre, le collectif Non au parc solaire entre Weinbourg et Ingwiller regroupe une vingtaine de membres actifs. Ces derniers ont initié une pétition qui avait déjà réuni plus de 470 signatures le 17 novembre. Après avoir découvert par hasard l’enquête publique, Hector en a parlé à des voisins :

« La commune et le porteur du projet ont fait le strict minimum : un encadré dans les DNA, un affichage en mairie et des panneaux dans les champs autour du futur site. Mais personne ne regarde ça. Ils n’en ont pas parlé dans la gazette de la commune et quasiment rien publié sur les réseaux sociaux. Quand j’en discute autour de moi, beaucoup de personnes sont en colère car elles ont l’impression que les choses se font dans leur dos, alors que le projet changera complètement les abords du village. »

Jean-Luc Westphal n’est pas un agriculteur classique. À la tête de 28 sociétés, il revendique la construction de 200 centrales photovoltaïques en France avec son entreprise Hanau Énergies. « On a aussi installé des parcs solaires en Iran et on projette d’en construire en Californie », ajoute-t-il. Tout a commencé à Weinbourg en 2008, où il affirme avoir aménagé la plus grande installation au monde de panneaux solaires sur une toiture : 36 000 mètres carrés sur cinq hangars agricoles. En s’approchant de sa commune d’origine, impossible de rater l’impressionnant dispositif.

Les élus locaux favorables au parc solaire

L’homme d’affaires, qui se définit comme un « énergiculteur », compte faire de Weinbourg une vitrine de l’activité de Hanau Énergies. En additionnant le dispositif existant et le projet, l’équivalent de 50 terrains de football seraient recouverts de panneaux solaires autour du village.

Jean-Luc Westphal a une forte capacité d’investissement.Photo : Document remis

L’idée est soutenue par les maires des environs. L’État a fixé des objectifs de production d’énergie renouvelable. Pour le pôle d’équilibre territorial et rural (PETR) Pays de Saverne, Plaine et Plateau, cette production doit passer de 693 gigawattheure par an (GWh/an) en 2018 à 1 250 GWh/an en 2050. Une motion de soutien des élus locaux indique que le projet de Hanau Énergies contribuerait à 15% de l’objectif, sans dépense d’argent public.

Comme le projet a été découvert tard par quelques habitants de la commune, ils doivent agir vite pour s’y opposer. « Quand les bulldozers seront là, tout le monde nous dira que c’est trop tard », s’alarme Jean-Jacques, membre du collectif Non au parc solaire. En fin d’après-midi le 8 novembre, sept personnes se répartissent des tracts exposant le projet pour les distribuer dans les boites aux lettres des habitants de Weinbourg. Leur première revendication est très consensuelle : ils proposent au maire de la commune et à Jean-Luc Westphal l’organisation d’une réunion d’information des riverains sur le parc solaire, ainsi que le report ou la prolongation de l’enquête publique. « On a aussi envoyé un courrier à la préfecture pour demander la même chose », précise Hector.

Jean-Jacques et Jeannine souhaitent informer leurs voisins sur le projet de parc solaire.Photo : TV / Rue89 Strasbourg

L’accaparement des terres agricoles

Vendredi 10 novembre, les habitants de Weinbourg ont découvert un autre document dans leurs boites aux lettres, cette fois-ci déposé par Hanau Énergies, contraint de répondre en présentant le projet à toute la commune. L’entreprise a organisé une réunion publique le 15 novembre. « Ça s’est passé dans les locaux de Hanau Énergies, avec une présentation entièrement organisée par les porteurs du projet en cinq jours. Les conditions n’étaient pas réunies pour un débat démocratique », relate Hector, qui était présent avec quelques opposants disponibles.

« Ce qui me dérange le plus, c’est l’accaparement des terres agricoles pour produire de l’énergie », dénonce Hector. Après plusieurs années à tenter de trouver un champ pour lancer une exploitation de maraichage, il devrait se lancer grâce à une surface de deux hectares appartenant à son grand-père dans un village voisin. Il sait combien obtenir des terres à cultiver est difficile :

« Il n’y a pas un seul panneau solaire sur les toits des usines ou des supermarchés dans les villages alentours et on utiliserait des surfaces végétales pour ça ? C’est absurde. Il faut privilégier les zones déjà artificialisées pour ces installations. »

Hector compte devenir maraicher.Photo : TV / Rue89 Strasbourg

La Confédération paysanne a pris position contre le concept de l’agrivoltaïsme en dénonçant une artificialisation de terres nourricières. Le syndicat, minoritaire parmi les agriculteurs, estime que ce phénomène risque d’amplifier la pression foncière, qui met déjà en danger les petites exploitations.

L’installation de tels dispositifs de production d’énergie est réglementée et soumise à une autorisation de la chambre d’agriculture et de la préfecture. La loi du 10 mars 2023 pour l’accélération des énergies renouvelables simplifie ces démarches administratives pour les exploitants qui veulent produire de l’énergie.

Une exploitation tournée vers la production d’énergie

L’investissement devient rentable après quelques années, étant donné un prix d’achat bonifié de l’électricité solaire. Des entreprises comme Unite proposent même à des agriculteurs d’installer et d’exploiter des panneaux photovoltaïques sur leurs terres en échange d’un loyer. De son côté, Hanau Énergies a fait un résultat net de 2,7 millions d’euros en 2021 en conseillant, installant et exploitant des centrales agrivoltaïques.

Par contre, la réglementation stipule que les terres doivent conserver un usage agricole. Les panneaux solaires peuvent s’ajouter sur les bâtiments ou au-dessus des cultures mais les exploitants doivent présenter un projet dans lequel les activités agricoles et énergétiques cohabitent sur la même surface. Afin d’avoir l’autorisation de construire sa première centrale photovoltaïque sur les hangars, Jean-Luc Westphal avait mis en avant l’utilité de la structure surmontée de panneaux solaires pour faire sécher de la paille ou du foin, ensuite transformés en granulés pour le chauffage. Mais ce processus présenté au départ n’existe plus depuis 2012.

« Un incendie a brûlé l’unité de granulation, ce qui a provoqué la fin de cette activité », se remémore Jean-Luc Westphal :

« Les hangars servent maintenant à stocker du bois et du matériel, et les agriculteurs du village peuvent aussi y mettre des véhicules agricoles en hiver. »

Les hangars servent à stocker du bois et du matériel agricole.Photo : TV / Rue89 Strasbourg

Un projet alibi ?

Avec Daniel, son frère, il gère encore une exploitation de 180 hectares à Weinbourg. « On cultive du maïs, du blé et du tournesol », résume Jean-Luc Westphal. Mais une partie de l’exploitation ne sert plus qu’à la production d’énergie. Des panneaux solaires sont installés sur deux poulaillers abandonnés depuis 2015. Pour les 27 hectares du parc solaire, Jean-Luc Westphal assure qu’il s’agit « avant tout » d’un projet agricole :

« La chambre d’agriculture a refusé notre dossier deux fois. En 2016, on voulait mettre des plantes mellifères sur le prés avec les panneaux solaires, pour faire du miel en collaboration avec un apiculteur. Et en 2019 on a essayé avec de la luzerne destinée à l’alimentation des chevaux. Pour la chambre, il fallait des animaux : on a proposé qu’un jeune installe une production d’agneaux sous les panneaux solaires, avec 150 brebis. Elle a accepté ce projet. »

Un ancien poulailler des frères Westphal sur lequel sont installés des panneaux solaires.Photo : TV / Rue89 Strasbourg

Les opposants craignent que cet élevage ne soit qu’un « projet alibi », pour justifier l’installation des panneaux solaires. « Qu’est ce qui nous certifie qu’il y aura encore les brebis après trois ans ? », interroge Jean-Jacques. « On craint aussi que le parc solaire soit une première étape et qu’il ajoute encore d’autres surfaces à l’avenir », abonde Hector. « On a un contrat de location sur 20 ans avec le jeune éleveur », rétorque Jean-Luc Westphal, qui estime que son « système est vertueux sur tous les points » :

« Les panneaux permettront aussi d’ombrager la prairie pour éviter son dessèchement et ils s’inclineront en suivant le soleil grâce à des capteurs. Je suis pour la préservation des terres agricoles et l’installation des jeunes, c’est ce en quoi consiste le projet. »

Le jeune éleveur n’a pas accepté d’être interviewé par Rue89 Strasbourg. Malgré son avis positif, la commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers « s’interroge sur la présence effective d’ovins à moyen et long termes ». Pour le parc solaire, pas de doute en revanche. La durée minimale d’exploitation prévue est de 35 ans.


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