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Les miss grenouille redorent l’identité de Herrlisheim-près-Colmar

« Fêtes d’Alsace », épisode 3 – Près de Colmar, les Herrlisheimois ont longtemps subi leur surnom de «grenouilles ». Aujourd’hui, ils en sont fiers et depuis vingt ans une fête qui célèbre le batracien lance début juillet la saison des « fascht » du territoire. Clou du dimanche après-midi : l’élection de miss Grenouille qui attire des candidates de tout le Haut-Rhin.

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Les miss grenouille redorent l’identité de Herrlisheim-près-Colmar

Nous y voilà. Une banderole accrochée au pont qui enjambe la rivière de la Lauch annonce la fête de la Grenouille, elle a commencé vendredi, et nous sommes dimanche après-midi, donc en fin de réjouissances. Les éclats de sono qui viennent du cœur d’Herrlisheim-près-Colmar indiquent que les animations battent encore leur plein.

Un des temps forts de la manifestation a d’ailleurs lieu cet après-midi : l’élection de miss Grenouille. Les rues sont vides sous le cagnard, plus de 35°C, mais dans le parc dédié à la fête, de grands barnums sous lesquels ont été disposées bancs et tables protègent de l’insolation. 

L’importance des colliers de rose

Le podium où défilent les miss est lui en plein soleil. Mais les jeunes filles marchent le teint frais avec des robes colorées et un collier de fausses fleurs roses au cou. On en retrouve beaucoup portés par les participants : pour deux euros on s’habille d’un accessoire de fête et on fait aussi un don à l’Areme, une association qui aide les enfants atteints de cancer. 

À l’ombre de l’ancienne école ménagère (on y reviendra), Antoine, cheveux et barbe blanche avec quelques tatouages, étale avec soin la pâte sur sa crêpière. Avec sa femme, ils sont originaires de Haguenau, mais font la tournée des fêtes alsaciennes en proposant crêpes, glaces italiennes et gaufres. Les gourmandises en marge de manifestations, c’est de famille. Le papa faisait déjà ça, et le fils d’Antoine est aussi dans la partie : mais son week-end qui s’annonçait florissant est tombé à l’eau, il devait régaler les festivaliers des Eurockéennes de Belfort mais la tempête a emporté les tentes, inondé le terrain et annulé deux jours de concerts.

Antoine en revanche fait le bilan d’un week-end réussi. Après deux éditions annulées, villageois et touristes ont retrouvé avec joie ​​le chemin de la « s’Freschà Fàscht » et le goût des sucreries d’Antoine et Denise. « Cela fait dix ans qu’on vient et les gens sont vraiment sympas ici, après toutes ces années on les connaît, cette dame à qui j’ai dit au revoir, tous les ans elle vient manger ses cinq glaces ». « Elle est gourmande et elle a le droit », appuie Denise .

Pris dans le coup de feu, le couple n’a rien vu, même pas les feux d’artifices, « il y avait tellement de monde à servir », mais ils ont quand même profité de l’ambiance et Antoine l’assure en souriant : « Si c’est comme ça tous les ans, je dors ici jusqu’à l’année prochaine ».

Antoine et Denise servent crêpes, gaufres et glaces italiennes à la fête à la grenouille depuis 10 ans. Chaque année, ils retrouvent les habitués.Photo : Abdesslam Mirdass / Rue89 Strasbourg

Plus loin, assis sous une tente, David a appuyé ses béquilles sur la table. Il allonge sa jambe pour préserver un peu son genou. « Les ligaments croisés », grimace le footeux qui s’est blessé sur les terrains du village. Le club aux couleurs blanc et bleu affiche, bien sûr, une grenouille sur son blason. D’habitude le logisticien de 42 ans assure la sécurité avec les pompiers volontaires, mais à cause de sa blessure, il a plutôt profité des trois jours de fête au calme. Avec Sonia, sa femme, ils sont entourés d’enfants, de leur fille et plusieurs de ses copains :

« Il y a eu foule, des gens du village, mais aussi pas mal de personnes venues d’ailleurs. Hier à 22 heures, ils ont dû arrêter de laisser rentrer car il y avait trop de monde. On vient à chaque fois : on est natifs d’ici, on s’est connus ici, mariés ici et on a construit ici. »

En attrapant une bière aux fruits rouges bien fraîche apportée par le père de Sonia, ils précisent que plus jeunes, ils faisaient toutes les fêtes estivales du secteur, mais ont ralenti depuis qu’ils sont parents. Maintenant c’est un petit tour à la Foire aux vins de Colmar, le gros événement du coin, et sinon la Fête de la grenouille, un passage obligé :

« Dimanche, l’entrée est gratuite, il y a peut-être plus de monde du village. On travaille tous les deux à Colmar, cette fête c’est aussi l’occasion de revoir et de parler avec des amis qu’on ne croise pas souvent même si on habite dans le même village. » 

Beaucoup de générations se croisent à la fête Photo : Abdesslam Mirdass / Rue89 Strasbourg

Sonia a bien dansé lors de la soirée « pink » vendredi soir, sur les morceaux des années 80-90. Hier, c’était deux salles deux ambiances, d’un côté les D’Hardtwälder, pour ceux qui kiffent la volksmusik et la variété et de l’autre Dr Boost : « comment vous ne connaissez pas Dr Boost ? », s’étonne David. Ce DJ draine les foules et met le feu à la scène depuis des années, du Bitcherland au Sundgau.

Notre conversation est interrompue par une voix dans le micro. Elle annonce la troisième épreuve pour les candidates à l’écharpe de Miss grenouille 2022. Direction le podium, ou plutôt juste derrière le jury. Il est composé de sept personnes : anciennes lauréates, maire et adjointe, et le chef des pompiers : ils ont déjà évalué les candidates sur « beauté, charme », « sourire, ambition », voici venu le temps d’apprécier leur « dialogue, allure, discours ».

« Ma petite grenouille »

Pas de référence particulière à la grenouille. C’est un concours de miss comme ceux qui ponctuent les fêtes de village, miss Cerise ou miss Carpe frite. Quoique… Audrey tente de faire vibrer la fibre locale et lance au jury et au public :

« Je suis ici devant vous car ma mère m’appelle “ma petite grenouille” depuis que je suis petite, alors pourquoi pas rajouter un titre de miss à ce petit nom. »

Mais pourquoi ce symbole de la grenouille ? Ce batracien est associé aux habitants d’Herrlisheim-prés-Colmar. Habillé d’un béret, de lunettes de soleil et d’une chemise ouverte multicolore, le maire depuis 2020, Laurent Winkelmuller est à l’origine de cette manifestation née en 2001 :

« Ce territoire avait pas mal de prairies, souvent humides, inondées et qui regorgeait de grenouilles. Quand les villageois des alentours venaient chez nous, ils disaient qu’ils allaient chez les grenouilles. À l’époque, ça ne plaisait pas trop mais finalement les gens du village se sont finalement approprié ce sobriquet. »

Le maire Laurent Winkelmuller fait un selfie devant les miss et l’équipe d’animation Photo : Abdesslam Mirdass / Rue89 Strasbourg

Aujourd’hui avec le réchauffement climatique, les vraies grenouilles doivent être bien rares. Mais nous avons pu quand même en observer dans les assiettes et sur des tartes flambées fumantes juste sorties du four. Un couple nous a gentiment proposé de goûter la « fraschflamm », une tarte flambée aux grenouilles. Verdict : c’est bon ! Un goût entre le poisson et le poulet et avec un petit goût d’escargot dû à la persillade. 

Bonne bouffe et musique live

Le maire, 49 ans et aussi le patron d’un resto du village, est un enfant d’un couple de bouchers-charcutiers. Il a toujours été engagé en politique, au conseil municipal et dans la vie culturelle de son village. Avec deux troupes de théâtre et un festival de l’humour, Herrlisheim-près-Colmar tient à garder une programmation fournie par rapport aux municipalités qui entourent Colmar détaille l’élu local :

« Avec la fête à la grenouille, on lance la saison des fêtes qui se déroulent en juillet dans le vignoble. C’est un rendez-vous très familial mais on axe bien aussi sur la qualité des musiciens. Proposer de la musique live, c’est important à nos yeux. »

Photo : Abdesslam Mirdass / Rue89 Strasbourg

La fête se déroule dans le parc de l’ancienne école ménagère, explique Jean-Louis, 73 ans, très chic en tenue de lin et chapeau. Pendant des décennies, ce genre d’établissements formait les filles à devenir des épouses conformes au modèle rêvé du patriarcat : cuisine, couture, propreté du foyer, « bonnes manières »… Les lieux ont été rachetés par la commune en 1986. Jean-Louis, ex-élu de la municipalité, a participé à la création de la fête de la grenouille :

« Au début des années 2000, elle avait lieu dans l’ensemble du village, c’était très animé. Je suis juste venu aujourd’hui pour l’élection des miss. Les autres jours c’est peut-être plus pour les jeunes. » 

Confiance et rigolade

Retour sur le podium : la douzaine de miss qui est venue de tout le Haut-Rhin continue de se présenter. Laura, 20 ans, de Mulhouse ose d’une voix un peu hésitante :

« Je suis timide et si je suis là, c’est aussi pour m’aider à prendre confiance. Comme vous le voyez aussi, j’ai quelques kilos en plus, mais j’ai envie de montrer que les femmes fortes et rondes sont aussi belles que les autres. »

Des applaudissements nourris viennent saluer cette mignonne déclaration. Laura a déjà réussi son défi. La numéro 11 est plus cash  : « Cet été mon objectif c’est de tourner dans les fêtes de village : de la grenouille, de la patate, de la bière ! Tout ce que vous voulez … et de boire des bières ! » s’amuse-t-elle. Le public approuve. 

Les miss descendent et défilent au milieu des tables. C’est maintenant le temps de faire les totaux et de dépouiller les votes du publics. L’animateur reprend le micro et lance à la cantonade : « J’aimerais bien que les candidates invitent les gens du village à danser. On est dans une fête de village alors on s’amuse et on danse. » L’orchestre D’Hardtwälder a déjà lancé les notes d’un remuant morceau de oumpapa.

« L’Alsace est multiculturelle »

Sur scène les miss dansent avec des enfants ou des anciens. C’est là qu’on mesure que la fête de la grenouille rassemble toutes les générations et profils. Des couples qui pourraient participer à Danse avec les stars, d’autres plus maladroits mais qui s’amusent tout autant.

Une fille voilée virevolte au milieu des danseurs son portable à la main tandis que son voile blanc ondule en cadence. Sa sœur, Jouweira, est candidate. Cette jeune fille de Mulhouse a 21 ans a déjà brigué la couronne de miss Alsace. Et a remporté cette année le titre de deuxième dauphine de Miss Cerise à Pfastatt. L’étudiante en lettres modernes aime les livres et l’écriture : elle a déjà écrit trois romans pour ados, dont un a été publié, mais elle aime aussi beaucoup ces concours :

« J’aime beaucoup le défilé et la prise de parole en public. Et j’apprécie aussi de rencontrer des gens, j’ai fait de belles rencontres dans le public, on a bien rigolé. »

Celle qui se projette déjà dans l’élection de miss pays de Thann en septembre loue l’accueil. Sa sœur qui porte le voile l’accompagne souvent dans les fêtes rurales, raconte la Mulhousienne issue d’une famille d’origine algérienne : « On ne sent pas de décalage. Faut pas s’arrêter au cliché des villages alsaciens fermés. L’Alsace est multiculturelle. » 

Jouweira, candidate à miss Grenouille 2022 et deuxième dauphine de miss Cerise 2022 Photo : Abdesslam Mirdass / Rue89 Strasbourg

Un petit garçon casquette, lunettes, et maillot de l’équipe de France passe en trombe, en lui lançant au passage un furtif mais décidé : « Vous êtes très belle », qui illumine le visage de Jouweira. Mais c’est insuffisant pour remporter la couronne. C’est la miss numéro 7, Rachelle Pasquier, qui est sacrée miss Grenouille 2022.

Rachelle Pasquier a remporté le titre de miss Grenouille Photo : Abdesslam Mirdass / Rue89 Strasbourg

Générations fascht

La deuxième dauphine, est la copine d’un des garçons de Herrlissheim, qui l’a emmené tout à l’heure sur la piste de danse. Il est désormais avec sa bande de potes et semble plus à l’aise ici. Les ados ont été des réjouissances depuis le vendredi soir. Ils sont tous dans des lycées différents et profitent du week-end festif pour se retrouver comme Oscar, 16 ans, le résume :

« Passer un bon moment avec de la bonne musique, des bons amis et un verre à la main… Là on va trouver un coin à l’ombre et se poser, on est sorti jusqu’à une heure du matin hier. Et on s’est levés il y a pas très longtemps. »

Pour l’instant ils sont encore à la Lisbeth. Théo, mécanicien agricole, est le seul à avoir 18 ans. Il dit être un habitué des fêtes du secteur durant l’été. Il se projette déjà plus loin, en octobre et à Münich, pour l’OktoberFest, les autres le regardent avec envie, alors : « je vais bientôt avoir mon permis, je vous emmènerai. »

Mais les plus anciens du village ne se font pas prier pour venir. Astrid et Alfred, 74 et 79 ans, sont là depuis 11h30, originaires de Strasbourg, cela fait 44 ans qu’ils vivent à Herrlisheim. Leurs enfants ont grandi, quitté le village, ils les voient souvent. Pour le couple de retraités, la fête est un passage obligé de l’été. Astride plaisante :

« On vient surtout pour l’élection de la miss et les repas. Ça m’évite de cuisiner ! La tourte à la grenouille c’est excellent mais quand il faut décortiquer tout cela ! Et puis on est à la retraite, on vit aussi à l’extérieur du village, on se sent un peu seuls : ce genre de rendez vous c’est une bonne occasion de se croiser. »

Fréquentation record

Laurent Tschaen, un des organisateurs qui a animé notamment le concours de miss, souffle près de la buvette. Il sourit à la question du bilan et se réjouit qu’il n’y ait aucun débordement. Fin mai des heurts à la fête du cochon d’Ungersheim ont forcé les organisateurs à annuler la dernière soirée.

« C’est énorme cette année, ça a été presque ingérable, on a dû limiter les entrées. On a une fréquentation record, 30 à 40% en plus par rapport aux autres éditions. Il faut dire qu’il fait beau temps, les gens ont encore plus besoin de sortir et de faire la fête. Et même si ils ont dû faire la queue à la buvette – on avait l’impression d’être à Europapark parfois – ils râlaient pas, ils étaient contents d’être là, de se retrouver pour faire la fête. »

Chacha et glace à l’italienne

Retour sur la piste de danse car les valses sont lancées.  « C’était un dimanche qu’il faisait chaud à Herrlisheim / mais comment l’oublier ? / C’était un soir de fête / une jolie guinguette/ tout le monde dansait », le chanteur reformule un célèbre tube de Franck Mickael, la star des thés dansants. Un couple se propulse sur la piste, d’une élégance extrême. Elle, robe noire ajustée, lui, lunettes de soleil, chemise noire et pantalon blanc. Au rythme et à la fluidité des pas, on reconnaît les habitués. À la fête de la grenouille, David qui ne fait pas ses 70 ans, est déjà venu et il a voulu emmener Muriel, 61 ans, sa femme. Ce qui l’intéresse, c’est la danse, toutes les danses, ils dansent environ 30 heures chaque semaine : chacha, valse, salsa, etc…

« J’aime bien l’ambiance ici. Et aussi les glaces à l’italienne, j’adore ça. Mais alors pas question de manger les grenouilles, les pauvres bêtes. Je suis déjà énervé quand les cigognes les chassent dans mon jardin… Bon, on vous laisse : on file dans un autre village pour continuer à danser ! »

Le groupe  D’Hartwälder s’est lancé il y a dix ans. L’été c’est la tournée des fêtes de village, ils alternent   oumpapa germanique et variétés en ciblant plus particulièrement les danseurs, qui se recrutent plutôt chez les anciens. Marco, le batteur estime que ce genre de fêtes estivales font partie du patrimoine et qu’il faut les préserver : 

« Autrefois, il y avait les kilbes (foires) dans les villages, tout le monde sortait, mais aujourd’hui ça n’intéresse plus. Les fêtes comme celle de la grenouille permettent de retrouver cette convivialité. On a un public qui nous suit, plutôt chez les plus âgés, ça se comprend, car il y a peu d’animations pour eux, et à la télé, disons le clairement, ils se font chier. C’est ce qu’on veut avec notre musique : les faire sortir. Et grâce à ces fêtes, c’est possible. »


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