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Masquant les discordes politiques, 5 000 Strasbourgeois ont marché contre l’antisémitisme

Plus de 5 000 personnes ont défilé « contre l’antisémitisme » et « pour la République » dimanche 12 novembre à Strasbourg, au sein d’une manifestation hétéroclite mais calme, aux enjeux en millefeuille.

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Masquant les discordes politiques, 5 000 Strasbourgeois ont marché contre l’antisémitisme

Onze heures, place de l’Université. Plusieurs centaines de Strasbourgeois et Strasbourgeoises se sont rassemblées à l’appel de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme du Bas-Rhin (Licra 67) pour une marche « contre l’antisémitisme » et « pour la République ». Dans d’autres villes de France le même jour, des marches similaires ont été organisées à la demande des présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, Yaël Braun-Pivet et Gérard Larcher.

« Je ne m’attendais pas à ce que ça prenne une telle ampleur »

Fabielle Angel, Licra du Bas-Rhin

Parmi les manifestants, plusieurs députés La France insoumise (LFI) ont choisi de battre le pavé à Strasbourg plutôt qu’ailleurs, après que la présidente de la Licra du Bas-Rhin, Fabielle Angel, ait annoncé ne pas inviter le Rassemblement national à défiler à Strasbourg. « Je ne m’attendais pas à ce que ça prenne une telle ampleur médiatique », confesse-t-elle avant le début de la marche.

« J’ai clarifié mon propos depuis : la Licra n’invite pas le RN à manifester mais en réalité, on n’invite aucun parti politique. Historiquement, nous n’avons jamais défilé à leurs côtés car nous ne portons pas les mêmes valeurs. Aujourd’hui, nous voulons défendre l’universalisme : ce ne sont pas que les juifs qui sont attaqués mais toute la nation. »

AvatarFabielle Angel, Présidente de la Licra 67

Seuls les drapeaux français sont autorisés et aucune bannière politique n’a été tolérée. La présence politique pourtant est bien marquée par les écharpes tricolores des élus municipaux, de la Collectivité européenne d’Alsace, de la Région Grand Est ou de l’Assemblée Nationale, portées par des élus du Parti communiste au Rassemblement national, en passant par Europe Ecologie – Les Verts (EE-LV) et LFI.

Dans le cortège, Francis, 70 ans, aurait aimé que la manifestation rassemble au-delà :

« Cette manifestation est un symbole de la République et ne devrait pas devenir une bataille politique. Si on va commémorer la rafle du Vélodrome d’Hiver, on doit aussi être capable de venir marcher contre l’antisémitisme qui existe aujourd’hui. Ça n’a aucun sens de se souvenir des morts sans se mobiliser pour les vivants. »

Manif antisémitisme 12 novembre 2023
Face à 5 000 manifestants, Michel Deneken, président de l’Université de Strasbourg, a rappelé que l’éducation participe à lutter contre l’antisémitisme et a ainsi justifié le parcours de la marche, reliant le palais universitaire à la place de la République.Photo : Camille Balzinger / Rue89 Strasbourg / cc

Des députés insoumis en nombre

Après le discours du président de l’Université de Strasbourg, Michel Deneken, et une Marseillaise entonnée à l’unisson, la marche de 600 mètres reliant le palais universitaire à la place de la République démarre. Un peu à la traîne, François Ruffin, Alexis Corbière, Clémentine Autain, Rachel Garrido et Emmanuel Fernandes, tous députés Insoumis répondent aux nombreuses sollicitations des journalistes sur leur présence à Strasbourg plutôt qu’à Paris.

« Nous sommes là car nous savons la peur face à la montée de l’antisémitisme. À Strasbourg, la Licra a été très claire sur son souhait de ne pas inviter le Rassemblement national, c’est pour cela que je suis à Strasbourg. »

AvatarFrançois Ruffin, député LFI de la Somme

« Strasbourg a une des communautés juives les plus grandes de France, ce n’est pas étonnant que ce soit ici que la marche rassemble le plus », estime Clémentine Autain, qui est venue pour exprimer sa « solidarité » et son « empathie ».

Récemment nommé ambassadeur auprès du Conseil de l’Europe, Pap Ndiaye présent également estime que « la manifestation strasbourgeoise échappe aux controverses politiques » : « Ce que l’on voit à Strasbourg est encourageant, la lutte contre l’antisémitisme doit rassembler ».

Manif antisémitisme 12 novembre 2023
Emmanuel Fernandes et Clémentine Autain ont fait partie des députés LFI présents à la marche contre l’antisémitisme de dimanche 12 novembre 2023.Photo : Camille Balzinger / Rue89 Strasbourg / cc

Un peu plus loin, Jacqueline et Marie-Paule marchent bras-dessus, bras-dessous. Les septuagénaires sont satisfaites car la manifestation est « calme ». « Je suis là pour l’entente entre les peuples, en-dehors de la religion », détaille Jacqueline. Les deux amies ne voient pas le côté politique de la mobilisation et ne savent pas trop qui a dit quoi. « C’est comme si tous les partis voulaient se faire bien voir dans cette histoire », résume simplement Jacqueline.

D’ailleurs, elles n’ont pas fait attention aux élus présents :

« Après la deuxième guerre mondiale, le monde s’est élevé pour dire “plus jamais ça”. Mois je suis là pour affirmer mon soutien contre les actes antisémites. Et c’est tout. »

Marie-Paule, septuagénaire strasbourgeoise

Une récupération politique qui divise

Camouflée sous une écharpe épaisse, Rita marche seule au milieu de petits groupes. Elle a fait 30 kilomètres pour se déplacer jusqu’à Strasbourg, malgré une voix enrouée, un rhume qui perdure et aucune velléité militante. Mais cette fois-ci, ne pas se mobiliser aurait été inimaginable :

« Que des Français aient peur de sortir de chez eux en raison de leur religion m’indigne. Je trouve ça épouvantable. Je suis outrée par toutes les confusions qui sont faites, mais je suis aussi outrée que tous les partis politiques ne soient pas capables de s’unir contre l’antisémitisme. »

Arrivés sur la place de la République, Lionel et Abraham saluent des connaissances tout en estimant le nombre de personnes encore présentes. En tant que « juifs de France », ils se disent satisfaits de n’avoir vu que des drapeaux français :

« On ne défile pas pour Israël mais contre le racisme. Qu’on soit pour ou contre la politique israélienne, ça n’a rien à voir avec l’antisémitisme, il y a beaucoup d’amalgames. Ce matin, je ne me suis pas levé contre le Hamas mais bien contre les tags de croix gammées ou ceux qui appellent à tuer les juifs. Tout ça se passe en 2023, à Strasbourg, et j’ai l’impression que la société tolère ces actes et les banalise. »

Lionel, 35 ans

Pour eux, le rôle des politiques est crucial mais consiste uniquement à les protéger. Abraham attend des positionnements forts du gouvernement et des responsables élus :

« Quand je vois la division entre les partis, ça me fait peur. En tant que citoyen, mon champ d’action pour lutter contre l’antisémitisme est limité : je peux partager des choses sur les réseaux sociaux mais c’est tout. J’aimerais que lorsqu’on raye ma voiture à cause des kippas qui sont sur la banquette arrière, ça soit sévèrement puni. »

Abraham, 34 ans
Manif antisémitisme 12 novembre 2023
Sous les nombreuses caméras et cerné de micros, François Ruffin a développé son choix de manifester à Strasbourg plutôt qu’à Paris.Photo : Camille Balzinger / Rue89 Strasbourg / cc

« Il faut agir avant que la haine touche tout le monde »

Yves, 77 ans

Une fois le cortège arrivé place de la République, de petits groupes se forment puis commencent à se disperser. Au milieu des pelouses encore vertes, peu après midi, plusieurs manifestants prennent à parti Alexis Corbière qui range son écharpe tricolore. Parmi eux, Ventura, qui considère que Jean-Luc Mélenchon est antisémite et que les députés LFI, quels qu’ils soient, ne sont pas les bienvenus dans la mobilisation.

Avec sa casquette enfoncée jusqu’aux sourcils, Yves, 77 ans, est dubitatif. « Peut-être qu’au fond, Alexis Corbière est contre l’antisémitisme », lâche-t-il. Le retraité ne comprend pas que LFI n’ait pas voulu défiler aux côtés du RN. « Ils l’ont déjà fait pour les retraites, alors pourquoi pas cette-fois », questionne-t-il.

« Tout le monde devrait être raccord pour dénoncer l’antisémitisme, ça devrait faire consensus. Car pour le moment, ce ne sont que les juifs qui sont concernés. Il faut agir avant que la haine touche tout le monde, mais c’est peut-être trop tard. »

Yves, 77 ans, retraité strasbourgeois

Quant au RN, « peut-être qu’ils ont changé d’avis, tout le monde n’est pas Jean-Marie Le Pen », estime-t-il. Le fondateur du Front national, désormais Rassemblement national, a notamment été condamné pour « antisémitisme insidieux » en 1986, puis pour « contestation de crimes contre l’humanité » en 2018 – suite à des propos qualifiant les chambres à gaz de « détail de l’Histoire ».

Manif antisémitisme 12 novembre 2023
À l’issue de la manifestation, plusieurs personnes ont alpagué Alexis Corbière, député LFI, lui demandant pourquoi il faisait encore partie de la formation politique de Jean-Luc Mélenchon.Photo : Camille Balzinger / Rue89 Strasbourg / cc

Une communauté juive tentée par le vote RN

Plusieurs manifestants de confession juive croisés dimanche 12 novembre ne voient pas de problème avec la nouvelle génération d’élus du Rassemblement national. C’est le cas d’Emmanuel, 38 ans :

« Dans ma communauté, on se sent abandonné par la gauche française. Alors que certaines idées du Rassemblement national nous font penser qu’ils veulent plutôt nous protéger. Bien sûr qu’il y a une méfiance envers ce parti, on sait très bien d’où il vient. Je ne sais pas si on peut en changer l’ADN en si peu de temps, mais les élus sont d’une génération qui n’est pas celle de Jean-Marie Le Pen et le judaïsme n’est plus la bête à abattre. »

Emmanuel, 38 ans

Il cite Serge Klasfeld, historien et avocat, qui a dans une interview au Parisien applaudi la venue du RN aux marches de dimanche. Une interview aussi citée par Angèle, 74 ans, qui se veut précautionneuse dans les mots qu’elle utilise pour qualifier la présence du parti d’extrême droite. « Tout ce qui nous rapproche est bon à prendre », estime-t-elle.

Du haut de ses 24 ans, Axelle fait partie des plus jeunes manifestants et trouve naturel que le RN marche contre l’antisémitisme : « Je pense que ça concerne tout le monde, et je suis triste de voir qu’Emmanuel Macron n’est même pas sorti dans la rue ». Pour elle non plus, pas d’incohérence entre la présence du RN et le fond des revendications soulevées par la manifestation.


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