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« 1993 » au TNS : où est passée l’Europe ?

Un an après « 2666 », Julien Gosselin présente à Strasbourg « 1993 », un texte écrit par Aurélien Bellanger et interprété par le groupe 43 de l’école du Théâtre nationale de Strasbourg. Dans l’Europe post-chute du mur de Berlin, cette mise en scène vient interroger les idéaux européens sur fond de rave party. Un voyage dans le temps à faire jusqu’au 10 avril, au TNS.

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« 1993 » au TNS : où est passée l’Europe ?

1993, le titre du dernier spectacle de Julien Gosselin renvoie à une année : celle des derniers travaux avant l’ouverture du tunnel sous la Manche. Ce « plus grand projet du siècle » selon les termes de Margaret Thatcher, et porté par l’ancienne Première ministre anglaise et François Mitterrand, alors président de la République, visait à arrimer la Grande-Bretagne à une Europe de plus en plus unie.

Mais 1993, c’est aussi (et peut-être surtout) un lieu : Calais. Cette ville autrefois symbole de la modernisation de l’Europe évoque aujourd’hui avec sa « jungle » les camps de réfugiés, et les limites de l’idéal européen.

Interroger nos idéaux européens sur fond de rave party (Photos Julien Gosselin).

L’Europe de 1993, un modèle de démocratie libérale

Il est donc question de faire résonner passé et présent. Des évènements historiques tels que la chute du mur de Berlin, le Traité de Maastricht et la modernisation de l’UE – avec notamment l’ouverture du tunnel sous la Manche et de celui du Cern (immense accélérateur de particules) – tendaient alors dans le sens du politologue américain Francis Fukuyama. Ce dernier avait publié à l’été 1989 dans la revue The National Interest un article intitulé « The End of History ? » dans lequel il posait la démocratie libérale comme terme idéologique. C’est d’ailleurs par un extrait de ce texte, projeté au dessus de la scène, que s’ouvre le spectacle :

« Il se peut bien que ce à quoi nous assistons ce ne soit pas seulement la fin de la Guerre Froide ou d’une phase particulière de l’après guerre mais la fin de l’Histoire en elle-même, le point final de l’évolution idéologique de l’humanité et l’universalisation de la démocratie libérale occidentale comme forme finale de gouvernement humain. Cela ne veut pas dire qu’il ne se produira plus d’évènements dignes de remplir les pages de revues des relations internationales, car la victoire du libéralisme s’est d’abord produite dans le domaine des idées et des consciences et elle est encore incomplète dans le monde réel. Mais il existe de puissantes raisons qui font penser que c’est cet idéal qui gouvernera le monde à longue échéance. »

L’Europe des années 90 passait alors pour un symbole de libéralisation complète et de pacification, mais qu’en est-il aujourd’hui?

« Il y aura toujours un niveau élevé, voire croissant de violence ethnique et nationaliste »

Julien Gosselin voulait poser cette question à travers la génération née dans années 90, souhaitant dans un premier temps recueillir avec Aurélien Bellanger des témoignages de skinheads, migrants, politiques, etc. afin de donner une voix à cette génération. Son texte prend davantage la forme d’un traité politique sur la critique et la remise en cause d’un idéal européen. Il est parsemé d’extraits du discours de réception du Prix Nobel de la Paix – accordé à l’UE en 2012 – et d’autres bribes de la pensée de Fukuyama: « il y aura toujours un niveau élevé, voire croissant de violence ethnique et nationaliste ». Un constat qui laisse un goût amer à une époque de recrudescence des mouvements identitaires.

La deuxième partie du spectacle se déroule dans un appartement en Europe (Photo: Julien Gosselin).

Le spectacle se construit en deux parties sur fond d’Eurodance. La première comprend une scénographie en forme de vortex stroboscopique rappelant les tunnels évoqués plus haut, où les acteurs scandent le texte écrit par Aurélien Bellanger. S’y oppose une seconde partie plus incarnée qui se déroule dans un appartement, quelque part en Europe. Au cours d’une fête, se croisent différentes nationalités européennes.

Le travail sur le corps passe par un double mouvement entre la scène et l’écran qui projette des images captées sur scène à la caméra. Mais cette célébration de la mixité européenne laisse place à la violence et au nationalisme. Ainsi différents symboles repris par les mouvances d’extrême droite apparaissent: une statue de Jeanne d’Arc trône dans l’appartement, un des jeunes porte au torse le tatouage de la croix celtique, reprise par des groupes comme le GUD. A l’idéal d’une Europe ouverte, évoquée dans la première partie, répond une seconde dans laquelle on constate le repli sur soi de la génération Erasmus.

Soirée Erasmus sur fond de nationalisme (Photo: Julien Gosselin).

Si la thèse de Fukuyama a déjà été largement remise en question, la vision d’une Europe ouverte et pacifiste l’est aujourd’hui plus que jamais, comme l’actualité strasbourgeoise le confirme. Sans se vouloir idéologique, 1993 décrit un malaise bien présent dans l’Europe d’aujourd’hui. A ne pas manquer.


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