Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Baptiste Rey, expert de l’observatoire des eaux souterraines d’Alsace : « Le contrôle sanitaire n’est pas à jour sur les métabolites »

Reconnaissance tardive de leur toxicité, interdiction relative, stockage dans les sols… Baptiste Rey, hydrogéologue au sein de l’observatoire des eaux souterraines d’Alsace, revient sur les enjeux liées aux métabolites de pesticides présents dans l’eau potable.

Cet article est en accès libre. Pour soutenir Rue89 Strasbourg, abonnez-vous.

Baptiste Rey, expert de l’observatoire des eaux souterraines d’Alsace : « Le contrôle sanitaire n’est pas à jour sur les métabolites »

En théorie, l’Agence nationale de sécurité sanitaire (l’Anses) applique le principe de précaution en fixant un seuil réglementaire minimal pour les résidus de pesticides – aussi appelés métabolites – présents dans l’eau potable. Pour maintenir la distribution d’eau, l’Agence de santé est désormais contrainte de le faire sauter et d’appliquer de nouveaux seuils.

Ainsi, en 2022, lorsque l’Alsace était exposée à une concentration trop élevée des métabolites du S-métolachlore, l’Agence décide de rehausser les seuils réglementaires pour faire disparaître le problème. Rebelote un an plus tard : par un arrêté préfectoral du 7 août 2023 concernant des communes de l’ouest de Strasbourg, c’est au tour des seuils concernant les résidus de chloridazone d’être revu à la hausse. Selon l’Agence européenne des produits chimiques, ces herbicides sont tous deux suspectés d’être cancérogènes.

Dans une étude publiée en 2016, l’Observatoire de la nappe phréatique d’Alsace (Aprona) révèle l’ampleur des concentrations de ces métabolites. Entretien avec Baptiste Rey, hydrogéologue en charge de ces questions à l’Aprona.

Rue89 Strasbourg : L’année dernière, les seuils des métabolites du S-métolachlore ont été rehaussés. Cette année, il s’agit des métabolites du chloridazone… Peut-on s’attendre à une amplification de ces dérogations dans les prochaines années ?

Baptiste Rey : L’augmentation de ces dérogations se fera en fonction de l’avancée des connaissances en la matière, de la mise à jour des métabolites que l’on surveille et de leurs classifications (s’ils peuvent ou non engendrer un risque sanitaire pour le consommateur NDLR). Comme les listes du contrôle sanitaire de l’Anses évoluent et ont plutôt tendance à s’allonger, la difficulté d’atteindre une eau conforme augmente de fait.

Si on prend l’exemple du chlorothalonil, des études suisses ont mis en lumière une forte présence de ces métabolites dans les eaux souterraines. On s’en est ensuite préoccupés en France. Le contrôle sanitaire n’est pas à jour sur les métabolites qui poseront problème à l’avenir.

En quoi le contrôle sanitaire n’est pas à jour sur ces métabolites ?

Avant, on ne cherchait pas ces métabolites et on ne savait donc pas qu’ils étaient présents. Et puis, entre la prise de conscience de la contamination, la commande des études jusqu’à leurs analyses et enfin, l’application de mesures correctives, il y a toujours un certain temps de réaction. Sachant que les laboratoires doivent avoir les bons outils pour les analyser, eux aussi ont besoin de temps pour développer des méthodes afin de rechercher ces métabolites de manière fiable. Tout ça est très long. Il faut bien avoir en tête que la prise en compte des métabolites est un phénomène nouveau. On ne s’intéresse à ces substances que depuis quelques années.

On en sait très peu sur la réelle toxicité des pesticides, dont proviennent les métabolites. On sait encore moins de chose en ce qui concerne les métabolites d’ailleurs. Peut-on malgré tout établir une toxicité similaire ?

Justement, c’est exactement ce qui est étudié ! Lorsqu’un métabolite garde un niveau d’activité proche que celui de sa substance d’origine, soit lorsque la molécule chimique conserve les mêmes propriétés ou des propriétés comparables, c’est ce qui va en faire un métabolite pertinent (et donc engendrer un risque sanitaire pour le consommateur NDLR). Lorsque l’Anses manque de connaissances pour évaluer son potentiel toxique, elle le classe également comme pertinent.

Baptiste Rey, hydrogéologue à l’Aprona. Photo : Document remis

Comment se fait-il que l’on retrouve toujours des traces de pesticides déjà interdits d’usage ?

Sur certains secteurs, le sol peut avoir un rôle d’éponge où les métabolites sont stockés pendant un temps avant d’être écoulés. On le voit par exemple pour l’atrazine, la championne de la persistance. Encore aujourd’hui, on en retrouve dans les échantillons que l’on teste, 20 ans après son interdiction. Ça veut bien dire qu’il y a eu ce stock dans les sols et dans la nappe phréatique. Les prélèvements réalisés en Allemagne, qui avait interdit ce pesticide avant nous, révèlent seulement depuis peu des concentrations moins importantes. Mais le processus reste très lent.

Si les autorités sanitaires se réservent une marge aussi considérable entre le seuil réglementaire et le seuil à ne pas dépasser, ne serait-ce pas en définitive pour s’assurer de ne jamais avoir à couper l’eau courante ?

Ce n’est pas impossible, en effet… Une molécule est interdite puis est remplacée par une autre avant que l’on ne se rende compte qu’elle pose les mêmes problèmes. L’histoire se répète finalement. Avec des réglementations de plus en plus strictes dans l’Union européenne (pour l’autorisation de mise sur le marché d’un pesticide NDLR), un effort est fait pour réduire la persistance des pesticides dans nos sols. Mais à côté de ça, leurs molécules se dégradent plus vite en métabolites, donc je ne sais pas si c’est mieux. C’est pour ça qu’on en retrouve de plus en plus et qu’on est à l’ère des métabolites. En fait, le produit ne peut pas ne pas se dégrader, on le retrouve forcément en sous-composés. Comme on dit, rien ne se perd, tout se transforme.

En prenant l’exemple du S-métolachlore, les consignes d’utilisation recommandait de ne pas utiliser ce pesticide dans des secteurs où l’on se sert de la nappe phréatique pour produire de l’eau potable. Mais dans les faits il était impossible de respecter cette recommandation. À partir du moment où l’on met des substances chimiques dans l’environnement, dans les eaux profondes ou superficielles, elles nous échappent.

La solution la plus utilisée aujourd’hui est de diluer l’eau avec une eau non-contaminée afin de rentrer dans les seuils réglementaires. Peut-on s’attendre à une contamination généralisée d’ici les prochaines années ?

On a longtemps pensé que les couches profondes de la nappe phréatique étaient un sanctuaire. C’est d’ailleurs pour ça que les forages utilisés pour produire de l’eau potable sont généralement assez profonds, où l’eau est moins contaminée. Au fil du temps, une diffusion de ces métabolites s’établit quand même. Il y a un voyage à l’horizontale de ces substances mais aussi à la verticale. Qui plus est, pomper en profondeur crée une aspiration et modifie l’écoulement local de la nappe, siphonnant en quelques sortes ces composés chimiques, à l’origine retrouvés en surface.

Avec l’Aprona, nous avons réalisé des campagnes de mesure en profondeur. Certes, il y a une gradation de la contamination : plus on est en surface, plus c’est contaminé. Mais on a aussi relevé qu’il y avait des métabolites qui commençaient à être présents dans les zones plus souterraines. Si l’interconnexion (permettant la dilution NDLR) utilise des eaux de forage profond – qui à l’origine étaient préservées mais ne le sont plus aujourd’hui – fatalement, on risque de réduire la disponibilité qualitative de nos ressources en eau potable.

Comment peut-on protéger la nappe phréatique de ces contaminations ?

Il faut comprendre que l’Aprona n’est pas une structure qui est à même de se positionner sur des solutions. Notre rôle est d’observer pour sensibiliser et soumettre derrière aux autorités compétentes les problèmes que nous identifions dans la nappe phréatique. Après, c’est du bon sens et c’est loin d’être un secret : restreindre les usages et interdire les molécules responsables de la production de ces métabolites demeurent les solutions les plus efficaces.

Et puis derrière, il ne faut pas que la substitution d’un pesticide interdit engendre la même problématique. L’atrazine a été remplacé par l’acétochlore, qui a ensuite été remplacé par le S-métolachlore… On baigne dans ce cercle vicieux depuis des années, et on voit bien que la substitution ne résout rien. La solution serait de ne pas utiliser des substances problématiques à proximité des systèmes aquifères vulnérables, soit favorables à la pénétration d’intrants du type pesticides ou de leurs métabolites. Idéalement, il faudrait raisonner en fonction de ça.

L’Aprona est en train de réaliser une nouvelle étude, d’autres métabolites sont ils pris en compte ?

Oui, nous allons prendre en compte d’autres métabolites en plus des 24 testées pour l’étude de 2016. Par exemple, nous avons rajouté le chlorothalonil qui a été largement retrouvé dans les eaux souterraines suisses.

Nous comptons également faire de l’analyse non ciblée, ce qui permettrait de détecter davantage de molécules au sein d’un même échantillon. Une analyse ciblée restreint le nombre de molécules identifiables dans un même échantillon, alors que cette méthode permet de détecter nettement plus de molécules. Ça nous donnera une idée du chantier qui est derrière et une perspective sur la réalité de la contamination de nos ressources en eau.

Pour l’instant, nous ne voyons peut-être que la partie émergée de l’iceberg. On ne trouve que ce que l’on cherche finalement.


#aprona

Activez les notifications pour être alerté des nouveaux articles publiés en lien avec ce sujet.

Voir tous les articles
Plus d'options