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Agriculture : dans le Bas-Rhin, deux mesures pour l’environnement supprimées en 2022 et 2023

Face aux conséquences de la guerre en Ukraine, la Commission européenne permet, depuis mars 2022, de cultiver des surfaces censées être en jachère, donc non exploitées. La préfecture du Bas-Rhin autorise par ailleurs les agriculteurs à laisser les sols nus cet automne.

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Agriculture : dans le Bas-Rhin, deux mesures pour l’environnement supprimées en 2022 et 2023

Pour compenser la baisse d’exportations de céréales liée à la guerre en Ukraine, la Commission européenne a autorisé les agriculteurs européens à déroger à une règle environnementale. Depuis mars 2022 et jusqu’en 2024, les exploitants ont le droit de cultiver et d’utiliser des produits chimiques sur leurs jachères, les terres censées être en repos entre deux périodes de culture. Malgré cela, ils continueront à bénéficier des aides écologiques de l’Europe.

En Alsace, les jachères représentent environ 1 à 1,5% des terres arables, selon Yohann Lecoustey, directeur de la FDSEA 67 (syndicat agricole majoritaire). Le ministère de l’Agriculture, contacté par Rue89 Strasbourg, estime qu’en Alsace les jachères s’étendent sur 5 600 hectares en septembre 2022, soit l’équivalent de la surface de 7 700 terrains de foot.

Pas d’augmentation des surfaces cultivées en 2022

La préfecture n’a pas répondu à Rue89 Strasbourg sur l’évolution des surfaces en jachère et sur l’utilisation réelle de ces terres sur la saison passée. Selon Yohann Lecoustey, elles n’ont pas été très utilisées dans le Bas-Rhin : « Cela a peut-être été fait chez certains agriculteurs, mais c’était marginal. »

Ces dérogations n’ont pas eu pour effet d’augmenter la surface des terres cultivées en Europe. Elles ont même globalement baissé, de l’ordre de -1,3% en 2022, par rapport à la moyenne des cinq dernières années. En Alsace, ce sont surtout les céréales qui ont perdu des surfaces de culture, de l’ordre de -2% en 2022 d’après le ministère de l’Agriculture.

Des surfaces d’intérêt écologique

En parallèle, les productions de céréales ont baissé à cause de la sécheresse. En Alsace, les rendements de maïs ont diminué entre -7,2% et -16,2% en 2022 par rapport à 2021 selon les productions. Seul le maïs grain irrigué (destiné généralement à l’alimentation animale) a connu des rendements en hausse de 2,1%.

Pour Paul Fritsch, président de la Coordination rurale (un autre syndicat agricole), les jachères sont de toute façon peu cultivables (comme elles ont été trop exploitées, ndlr) : « Le maïs a mal poussé sur ces terres, qui, en général, sont mises en jachère parce que leurs rendements sont mauvais. »

Serge Dumont, hydroécologue à l’ENGEES, souligne l’importance écologique des jachères :

« Elles sont extrêmement importantes car elles permettent au sol de se reconstituer. Les terres exploitées sont en mauvais état, car elles manquent de matières organiques, qui stockent l’eau et empêchent les coulées de boue. Les jachères, ce sont des prairies qui accueillent plantes et insectes, elles sont des réservoirs de biodiversité. »

Le sol d’un champ de maïs est nu à cause des pesticides déversés. Plus ces surfaces sont grandes plus les populations d’insectes sont menacées. Photo : Thibault Vetter / Rue89 Strasbourg / cc

Pas de couvert obligatoire pour les sols cet hiver

Pour protéger l’eau et les sols, la directive européenne sur les nitrates oblige aussi les agriculteurs à planter de l’herbe, entre deux cultures, pour qu’il y ait un couvert végétal en automne. Celui-ci est obligatoire dans quasiment toute l’Alsace parce qu’il permet de retenir les nitrates des sols (les plantes se nourrissent en partie des nitrates pour leur photosynthèse), et ainsi de préserver l’eau des nappes. Sauf que depuis le 28 septembre, les agriculteurs du département bénéficient d’une dérogation accordée par la préfecture du Bas-Rhin, à la demande de la FDSEA. Yann Lecoustey, de la FDSEA, revient sur cette revendication :

« Vu les conditions climatiques extrêmes de cet été, où rien ne poussait, notre demande était de permettre aux agriculteurs de pouvoir ne pas semer entre deux cultures, surtout que cela risque de ne pas pousser. »

Pourtant, la pluie est revenue en Alsace après un été sec. Paul Fritsch, de la coordination rurale, considère que cette mesure est inutile :

« Ils disent que ça prend du temps, que ça coûte et que cela n’améliore pas grand chose. Moi j’ai toujours considéré que planter en automne, c’est très bénéfique car ensuite, les terres sont en meilleur état. »

Les surfaces agricoles occupent une grande partie de la plaine d’Alsace. Photo : Abdesslam Mirdass / Hans Lucas pour Rue89 Strasbourg

Des conséquences pour l’eau difficiles à mesurer

En juin, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) mettait en garde sur ces mesures visant à assouplir les normes environnementales, « au détriment de la durabilité du modèle agricole ». L’hydroécologue Serge Dumont rappelle la situation déjà catastrophique des eaux d’Alsace :

« C’est dramatique, si on ne plante rien, on va accentuer la pollution de la nappe car les produits chimiques seront moins absorbés. 30% des Alsaciens boivent de l’eau avec des normes de pesticides dépassées en métazachlore (Lire notre enquête de cet été, ndlr). C’est un problème d’une part si l’on augmente les surfaces traitées, et d’autre part si on retient moins les nutriments comme l’azote et le phosphore, de même que les centaines de molécules et métabolites. »

Pour Jean-Bernard Lozier, de la Confédération paysanne, les conséquences réelles de ces dérogations restent à mesurer :

« Cela dépend un peu de la météo cet hiver : s’il n’est pas très humide, il n’y aura pas de lame drainante qui emmène les pesticides dans les nappes. Cela ne peut qu’être pire à mon avis, mais pas forcément catastrophique. Souvent, les couverts végétaux sont détruits assez tôt, le 15 novembre, et ne remplissent donc de toute façon pas pleinement leur rôle. Mais quand on a la volonté de semer les couverts végétaux, on peut, agronomiquement c’est intéressant. »


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