
Carole, infirmière en service néonatalogie du CHU de Hautepierre : « La maltraitance est devenue presque banale »
Le service néonatalogie du Centre hospitalier universitaire de Hautepierre a rejoint l’appel à la grève du mardi 10 mai. Carole, infirmière au sein de ce service, témoigne de ses conditions de travail dégradées et de l’impact sur la prise en charge des patients.
Mardi 10 mai, Carole fait partie de la douzaine de soignants du service de néonatalogie du Centre hospitalier universitaire (CHU) de Hautepierre à avoir répondu à l’appel à la grève nationale d’une intersyndicale CGT – FO – CFDT. L’infirmière aux trente années de carrière avait à cœur de dénoncer les mauvaises conditions de travail qui rythment son quotidien. « Cela fait des années que l’hôpital va mal. Mais depuis septembre, la situation est devenue critique dans mon unité. »
Le service de néonatalogie est composé de trois unités : la médecine néonatale, la réanimation néonatale et les soins intensifs néonataux. Ce sont dans les deux dernières que le manque de personnel se fait le plus ressentir, surtout dans l’unité de réanimation néonatale. Les infirmières des soins intensifs sont ainsi régulièrement appelés à prêter main forte au service de réanimation… sans avoir la formation adéquate. « Un matin, j’ai vu mon nom sur le tableau m’indiquant d’aller travailler en réa. Je n’avais pas été prévenue. On nous a dit d’aller dépanner dans cette unité sans nous proposer la moindre formation » témoigne Carole.
Un problème de sous-effectif
Le pass sanitaire a eu un impact sur ce manque d’effectif. Carole évoque « deux à trois personnes en moins par service. » Cependant, il faut relativiser l’effet de la pandémie : « Le Covid a servi de bonne excuse pour tout. Les difficultés sont beaucoup plus anciennes », poursuit l’infirmière. L’infirmière explique que les personnels en arrêt maladie ne trouvent plus de remplaçant.
Les soignants se retrouvent alors à exercer dans des conditions de travail déplorables : « On n’est plus autorisé à prendre nos vacances ni à récupérer nos heures supplémentaires. Je travaille de 6h30 à 14h non-stop, même ma pause de vingt minutes, je n’y ai plus droit », soupire l’infirmière. De cette situation découle de la fatigue, du stress mais aussi des burn-out au sein du service. « Tout ça, c’est du jamais-vu en trente ans de carrière. »
Une maltraitance institutionnelle presque banale
« Ces conditions de travail épouvantables rendent presque banale une forme de maltraitance institutionnelle. Parfois, je n’ai même pas le temps de prendre un bébé dans les bras pour lui donner le biberon », décrit l’infirmière avant de poursuivre : « C’est déjà arrivé que l’on ne puisse pas s’occuper d’un nouveau-né qui vomissait sur sa mère. »

D’après Carole, le service de néonatalogie manque tout d’abord de personnel, avec un manque tout particulier d’infirmiers et de puériculteurs. Les soignants souffrent donc de conditions de travail dégradées, qui écœurent le personnel en formation. Dégoutés, les jeunes soignants ne restent pas au sein du service. L’infirmière regrette enfin la communication souvent difficile avec ses encadrants : « Le fossé entre ce que l’on vit sur le terrain et les encadrants est devenu infranchissable. On ne parle plus la même langue, ils sont passés dans une logique de rentabilité et de finance. »
Une prime qui déprime
La grève du mardi 10 mai concernait également la mise en place de la prime d’exercice en soins critiques issue d’un décret de janvier 2022. Il s’agit d’une gratification de 100 euros nets par mois pour les infirmiers en soins généraux et pour les cadres de santé.
À travers cette prime, le gouvernement souhaite reconnaître la difficulté de ces professions. Pour rappel, les services dits de soins critiques « prennent en charge les patients qui présentent une défaillance grave d’une ou plusieurs fonctions vitales ou qui risquent de développer des complications sévères », comme l’explique l’Agence nationale de la performance sanitaire et médico-sociale. Environ 30 000 personnes en France sont concernées par ce décret. Le ministère de la Santé estime son coût annuel à 54 millions d’euros.
Les soignants et les syndicats critiquent cette prime pour son aspect inégalitaire. « À l’hôpital, les gens travaillent en équipe pluridisciplinaire. Donc donner une prime uniquement aux infirmiers dans les services de soins critiques exclut tous les autres », souligne Pierre Wach, secrétaire général de la CGT des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg (HUS). Parmi ces corps de métiers oubliés, on retrouve les aides-soignants, les infirmiers spécialisés, les psychologues ainsi que les administratifs.
CGT : « Il faut arrêter de payer les soignants à coup de primes »
Cette prime est d’autant plus controversée qu’elle pousse les infirmiers qui l’acceptent à perdre 13 points sur leur « nouvelle bonification indiciaire » (NBI), ce qui représente un manque à gagner d’environ 61 euros par mois. La NBI est un complément de rémunération concernant certains emplois dans la fonction publique. La CGT des HUS demande que ces 13 points NBI puissent être cumulés avec le versement de la prime en soins critiques. Le syndicaliste regrette aussi un manque de communication avec la direction. En effet, cette dernière a supprimé une prime dite de « réanimation-Soins Intensifs » et « intéressement-Soins Intesifs » en janvier 2022 sans concertation avec le personnel. Enfin, Pierre Wach revendique le fait « d’arrêter de payer les soignants à coup de primes car elles ne sont pas prises en compte lors du calcul des retraites. »
L'exercice de la médecine associée au travail formidable de la plupart des soignants demande beaucoup d'abnégation, une sensibilité et une attention aiguisées, d'être en permanence à l'affût des évolutions et des marqueurs sociaux tels que la pauvreté, l'analphabétisme, l'isolement social, les handicaps psychiques, les toxicomanes, les SDF, les mères célibataires et les dévastations occasionnées par les conflits de toutes sortes, dans lesquels notre pays est parfois directement impliqué.
Il s'agit aussi de se mettre à la portée des plus fragiles, en appliquant les tarifs opposables du secteur 1 et en proposant le tiers payant à chaque fois que l'usager est en dessous du minimum social, ou incapable d'avancer le montant de la consultation.
Il s'agit de le traiter en égal et de profiter de son expertise sans l'infantiliser.
Le médecin ( et les soignants) doit aussi sortir du discours technique et des classifications qui peuvent éloigner le patient de la possibilité d'une rencontre, ou l'enfermer dans une case d'où il aurait du mal à s'extraire.
Le médecin s'engage de plus en plus dans un travail de collaboration et de collégialité qui associe les pharmaciens, les infirmiers, les psychologues, les travailleurs sociaux, les intervenants scolaires, les éducateurs et les avocats (dans le respect du secret professionnel).
La santé n'est plus le silence des organes que l'on pouvait exiger à une époque, c'est le respect d'un équilibre écologique qui tient compte des dimensions physique, psychologique, sociale, professionnelle, historique, politique et anthropologique, qui caractérisent et surdéterminent chacun d'entre nous.
Le médecin ne peut plus exercer toute sa vie, de manière insulaire, comme si son cabinet était le centre du monde.
La médecine ne s'apprend pas qu'à la faculté mais sur le terrain de l'accompagnement, au quotidien des défis et des épreuves qui rattrapent les patients.
Elle passe par la reconnaissance par les pouvoirs publics de l'octroi de plus de moyens humains, qui s'avèrent, dans le quotidien, plus thérapeutiques que les moyens techniques, notamment informatiques ou de vidéosurveillance.
La médecine ne pourra jamais se passer de l'humain, sauf à risquer de nous replonger, collectivement, dans la quête de l'homme idéal, que l'extrême droite, notamment, appelle toujours de ses voeux, avec le risque mortifère d'exclure tous ceux qui, parmi nous, ne lui correspondraient plus ou joueraient la fonction de bouc-émissaire, dans une période sociale et politique de plus en plus tourmentée qui tend à séparer les Hommes et les communautés plutôt que de tenter de les rassembler.
Les bons soins portés aux plus fragiles, le plus tôt possible, sans carence, constituent un paradigme de notre capacité d'accueil ou de nos postures de rejet.
D ailleurs quand est il des suites en interne de la mort récente d une personne aux urgences ?
Silence assourdissant des "responsables" (plutôt irresponsables à mon avis)
Nous ne pouvons plus nous permettre de dépenser autant d'argent en services publics gratuits car il est important de réduire les charges et les impôts pour être compétitifs au niveau européen et internationalement.
Il y a des gens qui ne veulent pas le comprendre.
Ce que vous affichez n'est rien qu'une opinion politique.
Je pense au contraire, comme d'autres, qu'il y a des sphères, des espaces, où la rentabilité et la finance n'ont pas leur place. Où cela peut (doit ?) même être le rôle de l'Etat d'assurer et d'assumer un déséquilibre financier.
Et la santé en fait partie.
Mon commentaire était ironique.
L'état des services publics, l'hôpital en l’occurrence, et la souffrance qui en résulte ne sont pas un fait naturel mais le résultat de politiques délibérées justifiées par un discours idéologique largement relayé par le système médiatique dominant.
Juxtaposer ce discours et la misère réelle est à mon sens assez parlant.
Après, on peut être d'accord sur le constat, mais qu'elle action pour renverser cette logique? Quel processus concret pourrait aboutir à un changement de cap? A chacun•e de répondre à ces questions.
Au moment de voter entre-autre.
Vive les impôts!
cdlt
MW