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Stocamine : le Conseil constitutionnel censure (encore) un tour de passe-passe du gouvernement

Le Conseil constitutionnel a censuré un amendement concernant Stocamine dans la loi de finances 2024. Ce n’est pas la première fois que le gouvernement use de stratagèmes inconstitutionnels pour enterrer définitivement les 42 000 tonnes sous la plus grande nappe phréatique d’Europe occidentale.

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Stocamine : le Conseil constitutionnel censure (encore) un tour de passe-passe du gouvernement
De nombreuses organisations écologistes s’opposent au confinement des déchets toxiques de Stocamine par un sarcophage de béton sous la nappe phréatique.

Saisi par plusieurs députés concernant la loi de finances 2024, le Conseil constitutionnel a rendu sa décision le jeudi 28 décembre. Les Sages ont donné raison au député insoumis de la deuxième circonscription du Bas-Rhin, Emmanuel Fernandes (LFI), qui avait signalé l’article 208 du texte de loi.

L’article concerne le site d’enfouissement de déchets toxiques de Stocamine, situé sous la nappe phréatique rhénane. Il énonçait que « l’État s’assurera de l’extraction des déchets du site de Stocamine […] lorsque deux conditions seront remplies : que des techniques de robotisation rigoureusement éprouvées, au regard de la sécurité des travailleurs et de la protection de l’environnement, seront disponibles, et dès lors qu’il [sera] mis en évidence un impact lié à la remontée de l’eau saumurée sur le stockage des déchets. »

Pas à « sa place dans une loi de finances »

Le député Emmanuel Fernandes dénonçait un article « parfaitement inutile« , qui ne contient dans son énoncé aucun crédit alloué. Il estimait qu’il s’agissait d’un « cavalier budgétaire« , puisqu’il ne s’agit « ni d’une disposition affectant les dépenses financières de l’année 2024, ni d’une garantie financière. »

Le jugement est partagé par les Sages du Conseil. Dans leur décision, ils estiment que « les dispositions contestées ne concernent ni les ressources, ni les charges, ni la trésorerie, ni les emprunts, ni la dette, ni les garanties de l’État, ni la comptabilité publique », qu’elles n’ont « pas pour objet de répartir des dotations aux collectivités territoriales ou d’approuver des conventions financières » et « ne portent pas sur le transfert de données fiscales, lorsque celui-ci permet de limiter les charges ou d’accroître les ressources de l’État« . De fait, le Conseil constitutionnel conclut que les dispositions de l’article 208 « ne trouvent pas leur place dans une loi de finances. »

Le second cavalier législatif sur Stocamine

Ce n’est pas la première fois que le gouvernement tente (en vain) de régler le dossier Stocamine en utilisant un cavalier législatif à travers une loi de finances. En novembre 2021 déjà, le Conseil constitutionnel avait censuré un paragraphe d’un article de la loi de finances 2022 dédié à Stocamine. Il s’agissait alors pour l’État de garantir des ressources financières à la Société des mines et potasses d’Alsace (MDPA) jusqu’en 2030. L’amendement était taillé sur mesure pour répondre à une décision de la Cour administrative d’appel qui avait interdit le confinement total et illimité des déchets toxiques à Wittelsheim. Parmi les arguments des juges administratifs : des garanties financières insuffisantes (voir notre article) pour un enfouissement définitif.

Deux ans plus tard, le gouvernement persiste avec le même stratagème. En novembre 2023, le tribunal administratif de Strasbourg a suspendu en urgence un nouvel arrêté préfectoral pour l’enfouissement définitif des déchets. Le juge administratif estimait notamment que « les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins. »

« Une grossière manipulation » selon le député Fernandes

Le tribunal s’exprimera définitivement sur le fond du recours d’Alsace Nature au courant du premier semestre 2024. C’est justement en anticipant cette décision sur le fond que le gouvernement a tenté de répondre au juge administratif par un amendement qui promettait le déstockage des déchets en cas de pollution avérée de la nappe phréatique. Comme le résume le député insoumis Emmanuel Fernandes :

« L’objectif assumé du gouvernement est de tenter d’afficher sa prise en compte des « générations futures » pour tenter de manipuler deux juridictions administratives : le Conseil d’Etat dans le pourvoi en cassation contre la suspension de l’enfouissement définitif des déchets toxiques de StocaMine et le tribunal administratif de Strasbourg dans le recours en annulation en cours d’instruction. Cette manœuvre, en plus d’être un cavalier budgétaire, puisqu’il ne s’agit ni d’une disposition affectant directement les dépenses budgétaires de l’année 2024 ni une garantie financière, contrevient au principe de séparation des pouvoirs garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Dans cette grossière manipulation, le gouvernement méconnaît de surcroît, en introduisant cet article, plusieurs dispositions constitutionnelles sur la préservation de l’environnement et la responsabilité des pollueurs. Emmanuel Fernandes estimait que l’ajout de l’article à la loi de finances était une « grossière manipulation », servant à l’État pour influer la justice administrative dans deux dossiers en cours d’instruction : un pourvoi en cassation auprès du Conseil d’État contre la suspension de l’enfouissement définitif des déchets toxiques, et le recours en annulation auprès du tribunal administratif de Strasbourg. La censure de l’article par le Conseil constitutionnel empêche désormais l’État de s’en prévaloir. »


#Stocamine

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