De l’intelligence artificielle dans les bureaux des juges. Pendant trois mois en 2019 et en 2021, les magistrats de deux pôles civils du tribunal judiciaire de Strasbourg ont participé à une expérimentation. Pour les aider à trancher certains litiges, ils pouvaient utiliser un outil d’intelligence artificielle.
Menées par le sociologue Christian Licoppe, les deux expérimentations ont soulevé des débats déontologiques et relatifs à la place du juge, à son rôle et à ses valeurs. Dans un article paru en septembre, le chercheur de l’institut des études et de la recherche sur le droit et la justice observe que l’utilisation de l’intelligence artificielle s’est finalement résumée à exploiter une grande base de données judiciaires, « combinant moteur de recherches et traitements statistiques ». Et ce, dans le but de « faire remonter à l’attention des juges des « cas similaires » [qui] équipent, aident et transforment la décision judiciaire ». Le chercheur note par ailleurs que les juges ont peu de temps pour apprendre à se servir d’un nouvel outil étant donné « la pression à produire des décisions et à gérer le flux des affaires qui pèse sur eux ».
Thierry Ghera a accepté de revenir pour Rue89 Strasbourg sur cette expérimentation et sa mise en place alors qu’il était président du tribunal judiciaire de Strasbourg. Entré dans la magistrature en 1988, Thierry Ghera est un habitué des innovations technologiques et spécialiste des enjeux qu’elles soulèvent. Contrairement au sociologue, il ne pense pas que l’utilisation de l’intelligence artificielle transforme la décision judiciaire. Il a par exemple participé à la création de la première messagerie en ligne utilisée par les juges et avocats au début des années 2000. Thierry Ghera est depuis janvier président de chambre à la Cour d’appel de Colmar.
Rue89 Strasbourg : quel était le but de l’expérimentation menée au tribunal judiciaire de Strasbourg ?
Thierry Ghera : D’un côté, nous voulions voir si un outil de l’intelligence artificielle était compatible avec les cinq principes de la charte éthique européenne, adoptée en 2018 (voir encadré). Et de l’autre, si cet outil était utile pour le justiciable et les juges, ou dans quelle mesure il pouvait l’être. Notre travail de juges consiste à trancher des litiges, à interpréter le droit et à l’appliquer selon une méthode appelée syllogisme judiciaire : appliquer le droit à des faits précis. Et à l’inverse des États-Unis ou de l’Angleterre, nous n’avons pas le fonctionnement du précédent, qui prend les autres décisions de juges comme une source de droit.
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