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Fuir l’Iran et atterrir à la pâtisserie Christian

Mehrdad Fakhavar a obtenu la nationalité française il y a quelques mois. La fin d’un combat d’une décennie, lui qui a quitté l’Iran en 2008 à seulement 21 ans. Dix années de lutte mais aussi de rencontres qui ont changé sa vie. À l’image de ce refuge trouvé à Strasbourg, à la pâtisserie Christian.

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Fuir l’Iran et atterrir à la pâtisserie Christian

Dans le salon feutré de la pâtisserie Christian, Mehrdad dit bonjour à tout le monde. Il est habitué des lieux, lui qui y a travaillé comme apprenti chocolatier lorsqu’il est arrivé à Strasbourg il y a trois ans. Ici, on l’appelle « Dad ». Un surnom sur lequel ironise Mehrdad :

« Dad c’est plus court et en français, ça sonne mieux que mon vrai prénom. »

« Mes parents ne pouvaient pas m’acheter la liberté. »

Alors va pour Dad. Boire un café, simplement avec des amis, sans craindre de représailles à cause d’idées divergentes. Le Strasbourgeois d’adoption savoure ces moments de liberté. Car c’est bien cette liberté qu’il espérait trouver en venant en France :

« En Iran, mes parents avaient de l’argent mais ils ne pouvaient pas m’acheter la liberté. Alors quand j’ai eu 14 ans, je me suis dit qu’un jour je serai libre. J’étais à part dans ma famille. Je ne crois pas en Dieu mais, dans un pays comme l’Iran, je devais faire semblant en permanence. Jusqu’à ce que je n’en puisse plus et que je décide de partir quand j’avais 21 ans. »

C’est tout de suite vers la France que ses rêves se sont tournés :

« Un jour dans un taxi en Iran, j’ai entendu une chanson en français qui passait à la radio. Je me suis dit qu’un pays avec une si belle langue devait être forcément accueillant. Depuis, j’ai tout fait pour venir en France, comme si c’était la femme de ma vie. »

Début 2008, Dad se lance donc dans un périple de près d’un an pour arriver en France.

Mehrdad Fakhavar est arrivé à Strasbourg après un périple de sept ans. (Photo Maxime Nauche / Rue89 Strasbourg / CC)

Parti avec 600 dollars et un âne

En quittant son pays, les amis de Dad ne donnaient pas cher de sa peau :

« Ils me disaient que c’était impossible, qu’il fallait beaucoup plus d’argent. Mais je n’avais pas plus que 600 dollars. »

Le jeune homme a réussi à passer la frontière Iran-Turquie clandestinement à dos d’âne. Un fidèle destrier qu’il a dû laisser pour prendre le bus. Quand les risques de contrôle de police étaient trop forts, Dad faisait la route à pied.

Il a mis deux mois pour arriver à Istanbul. Là-bas, Dad a rencontré quatre Afghans dans la même situation que lui. Ils ont mis en commun le peu d’argent qu’il leur restait pour s’acheter un bateau gonflable, des rames et payer un passeur :

« On a trouvé quelqu’un qui nous a conduits d’Istanbul jusqu’à la mer Égée qui sépare la Turquie et la Grèce. Il a pris l’argent, nous a laissé sur une plage et il est parti. La mer était très agitée mais on n’avait pas le choix. On a ramé pendant des heures. J’avais tellement soif que j’ai bu l’eau de la mer. Les vagues s’écrasaient sur nous. On devait en permanence vider le bateau. »

C’est finalement la police grecque qui les a stoppés. Dad s’est alors retrouvé dans un centre de rétention pour demandeurs d’asile en Grèce, dans une ville dont il a oublié le nom :

« Ils m’ont gardé un mois comme en prison. Au moins j’étais nourri. Mais ça pouvait vite dégénérer avec la police parce que tout le monde était à cran. On ne comprenait rien, on ne savait pas ce qu’il se passait. Ils m’ont libéré au bout de quatre semaines sans que je ne sache pourquoi. »

En sortant du centre de rétention, Dad a vendu son téléphone portable pour s’acheter un billet de train à destination d’Athènes.

Un premier coup de pouce du destin

Une fois dans la capitale grecque, Dad n’avait nulle part où aller. Mais il faut croire qu’une bonne étoile veillait sur lui :

« En marchant dans les rues, complètement par hasard, j’ai croisé un ami de mon quartier qui avait fui l’Iran environ cinq ans avant moi. Il avait fait sa vie à Athènes et il m’a hébergé pendant plus de trois mois. »

Une situation confortable mais pas durable. Surtout que le but ultime de Dad, c’était toujours la France. Sans qu’il ne puisse l’expliquer. Ce pays et sa langue qu’il trouvait si douce l’attiraient toujours autant. Il lui fallait environ 2 500 euros pour voir l’hexagone mais il n’avait plus rien. Tant pis, il ferait sans argent :

« Je devais prendre un bateau entre la Grèce et le port de Bari au sud de l’Italie. Beaucoup de bus touristiques montaient à bord des bateaux. Donc j’essayais de m’accrocher sous un de ces bus pour pouvoir aussi embarquer. C’était ultra-dangereux. Le bitume était à quelques centimètres de mon dos quand le bus roulait. »

Cette stratégie a échoué un nombre incalculable de fois. À chaque tentative, Dad devait fuir sa cachette au moment de monter dans le bateau parce que la police grecque fouillait les bus avec des chiens. Mais ça a fini par marcher au bout de trois mois :

« C’est une sorte de loto de la vie. Tu essayes peut-être dix fois et un jour, ça fonctionne. »

L’Italie comme un tremplin vers la France

Dad a mis deux mois pour remonter toute l’Italie jusqu’à Milan. Il voyageait clandestinement en bus et en train. Obligé de descendre souvent pour éviter les contrôleurs et la police :

« Mais j’ai été impressionné par la solidarité des gens en Italie. Pour avoir un repas ou un toit pour dormir. »

C’est justement grâce à un élan d’humanité que Dad a réussi à passer la frontière française. Une rencontre au détour d’une rue de la banlieue de Milan. Un vieil homme lavait sa voiture dans son garage :

« J’ai été vers lui avec les quelques mots d’italien que j’avais appris. Je lui ai raconté mon histoire. Il a accepté de me conduire à une gare à l’extérieur de Milan où je risquais moins d’être contrôlé. Il m’a payé le billet de train pour que j’aille jusqu’au prochain arrêt. »

En montant dans son wagon, Dad se fige en lisant sur les écrans que le train est à destination de Paris :

« Mon rêve était au bout de ces rails. Mais le billet qu’on m’avait acheté ne me permettait pas d’aller jusqu’en France. Et plus je restais dans le train, plus j’avais de chance de me faire contrôler. »

Dad n’a pas résisté à la tentation de rester dans le train. Forcément, les contrôleurs ont fini par arriver :

« Ils m’ont vu mais ils m’ont laissé passer. Ils m’ont fait un énorme cadeau. C’était incroyable. Il y avait une sorte d’énergie positive, une lumière qui se dégageait de cet instant. »

Puis ce fut Paris, en cette fin d’année 2008. Un rêve qui devenait réalité. Une réalité que Dad allait devoir affronter.

Un an de galère à Paris

Cela faisait déjà presque un an que Dad était parti d’Iran. Il est arrivé à Paris en plein hiver avec son sac de couchage. Neuf mois à dormir dehors, sans jamais disposer de logement d’urgence :

« J’étais gelé, je tremblais de tout mon corps. Mes chaussures étaient trouées. Je me suis dit que certaines personnes avaient oublié le sens du mot fraternité. »

Pour passer le temps et se réchauffer, Dad est allé tous les jours à la bibliothèque François Mitterrand. C’est là qu’il a commencé à apprendre le français, en autodidacte. La bibliothèque comme un refuge mais qui lui renvoyait une certaine violence :

« Je voyais tous ces étudiants bien habillés avec leurs smartphones. Ils ne m’adressaient pas la parole et moi j’étais seul. J’avais voyagé neuf mois pour venir dans ce pays et m’intégrer. J’avais traversé tellement d’épreuves. Je voulais juste qu’on s’ouvre à moi, qu’on me prenne dans les bras ! »

Entre Albert Camus et Jacques Brel qu’il aime souvent citer, Dad continue d’apprendre le français seul avec les grands noms de la littérature et de la musique francophone. Alors qu’il fréquente la bibliothèque depuis neuf mois, un étudiant lui adresse enfin la parole. Il s’appelle Esteban et vient du Mexique :

« Il m’a proposé un café en me disant qu’il me voyait souvent ici. Il m’a demandé d’où je venais. Je lui ai raconté mon histoire après quoi il m’a proposé de venir habiter chez lui. »

Le taekwondo comme une renaissance

Esteban avait un petit appartement dans une cité universitaire à Gentilly, dans la banlieue sud de Paris. Dad y a vécu deux mois :

« C’était le début de ma nouvelle vie. J’ai pu me reconstruire grâce à Esteban. Je dormais bien, je me sentais de mieux en mieux. »

Pendant cette période, Dad a commencé à faire du sport. Il a intégré un club de taekwondo à Paris :

« Je parlais à tout le monde sans barrière avec le peu de français que je connaissais. On m’a très bien intégré, les gens étaient sensibles à mon parcours. Je retrouvais enfin une vie sociale. »

Mehrdad Fakhavar a trouvé de l’aide au sein d’un club de taekwondo. (doc remis)

Au sein du club, une solidarité s’est développée autour de Dad. Chacun de se relayait pour l’accueillir à tour de rôle chez lui. La situation est restée telle quelle pendant plusieurs années. Le dossier de Dad n’avançait pas beaucoup à la préfecture. Puis lors d’un stage d’entrainement de taekwondo en Haute-Savoie, Dad s’est fait un très bon ami sur place qui lui a proposé de l’héberger quelques semaines. Finalement il est resté deux ans.

« Ce monsieur avait une femme et des enfants. Je suis devenu un membre de la famille. Je ne prenais pas beaucoup de place et je m’occupais de leurs petits. Ils m’ont dit que je pouvais rester autant que je voulais. »

Des salles taekwondo à la chocolaterie Christian

Après plusieurs années à vivre de la solidarité des uns et des autres, Dad s’est dit qu’il était temps de faire quelque chose de sa vie même s’il était toujours sans papiers. Son rêve, c’était de devenir chocolatier. Avec l’aide de ses amis en Haute-Savoie, il a cherché une formation. Pas facile de trouver un patron qui accepte de prendre un migrant iranien sous son aile. Mais ça n’a pas dérangé Christophe Meyer, chocolatier de la pâtisserie Christian à Strasbourg :

« J’aime bien les parcours atypiques. Je ne regrette pas du tout de lui avoir fait confiance. Il est arrivé avec sa joie de vivre, son état d’esprit ultra positif. Il m’a impressionné par sa connaissance de la culture française, des vins, etc. »

Mehrdad a travaillé deux ans aux côtés du chocolatier Christophe Meyer (doc remis)

Pendant ces deux années passées aux côtés de Christophe Meyer, Dad a développé une relation presque père-fils avec celui qu’il appelle d’ailleurs « papa ». Ça n’a pas été du goût de tout le monde à la pâtisserie Christian, en témoigne Christophe Meyer :

« Certains voyaient de l’irrespect dans la manière qu’il avait de se comporter avec moi. Mais au contraire, il était très respectueux, il était juste très spontané. D’autres craignaient qu’il ait trop d’emprise sur moi. Ça me faisait doucement rire. Vu les réactions de certains, je me dis qu’il y a des étrangers qui méritent plus d’être français que certains Français. »

Malgré l’investissement personnel dans sa formation, Dad n’a pas décroché son CAP de chocolatier.

Mehrdad Fakhavar a fait un apprentissage en chocolaterie à la pâtisserie Christian. (Photo Maxime Nauche / Rue89 Strasbourg / cc)

« Il deviendra coach de vie »

La partie théorique de son CAP était inatteignable, en raison de la barrière de la langue. Mais la partie pratique péchait également se souvient Christophe Meyer :

« On fait un métier très méthodique, minutieux et ça ne lui convenait pas. C’est quelqu’un qui a besoin de parler, de rencontrer des gens, de bouger. Il ne pouvait pas rester des heures dans une cuisine… »

Alors Dad s’est retourné vers le taekwondo et vers une formation de coach sportif. Un diplôme qu’il recevra au mois de juillet. Pour le plus grand bonheur de son ancien patron Christophe Meyer :

« Il a bien su rebondir après la chocolaterie, il s’est accroché à ce projet. Il sera plus qu’un coach sportif, il deviendra coach de vie. Avec son parcours, il a beaucoup à apporter à tout le monde. »

Quand on demande à Dad où est-ce qu’il se voit travailler une fois son diplôme en poche, l’intéressé se donne du temps :

« Je découvrirais bien le Canada avant de commencer à travailler. J’ai mis un peu d’argent de côté en travaillant chez Christian et en faisant les vendanges. »

Juste voyager librement sans devoir se cacher, sans avoir la boule au ventre à chaque frontière. A 31 ans, Dad va pouvoir enfin goûter à ce privilège après dix années de survie.

Mehrdad Fakhavar est devenu français il y a quelques mois. (doc remis)

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