À l’appel des syndicats CGT et SNEPAP-FSU, près d’une quarantaine de travailleurs des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) de la région Grand Est ont manifesté, mardi 17 juin, devant le tribunal judiciaire de Strasbourg. N’ayant pas le droit de grève, ils ont posé un congé pour défendre leur mission de réinsertion contre les déclarations du ministre de la Justice Gérald Darmanin qui traduisent, à leurs yeux, une « dérive punitive ».
Supprimer les activités ludiques
En février, le Garde des Sceaux faisait part de son ambition de supprimer les activités ludiques en milieu carcéral. Il demandait au directeur de l’administration pénitentiaire de limiter les activités consacrées « au soutien scolaire, à l’activité autour du travail et à l’activité sportive ». Interrogée au sujet de ces prises de parole, la secrétaire de la CGT Insertion Probation Meurthe-et-Moselle, Aurore Zunino, affirme qu’elles remettent en cause ses « valeurs professionnelles et les fondamentaux » de son métier.
Les SPIP sont des services publics ayant pour mission de favoriser la réinsertion des personnes majeures placées sous main de justice, incarcérées ou non. Ils doivent assurer le suivi des mesures judiciaires de probation en milieu ouvert (peine alternative à la prison) et prévenir les effets désocialisants de l’incarcération en milieu fermé. Ils sont composés d’agents issus de plusieurs professions : administratifs, personnels de surveillance, psychologues, assistants et assistantes de service social, conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation.

La culture, une clé de réinsertion
Alors qu’un rassemblement se forme sur la place Gisèle Halimi, Aurore Zunino ajoute que les propos du ministre de la Justice menacent les actions culturelles qui sont à la base du travail des SPIP, car elles participent à préparer la sortie des personnes incarcérées, souvent en rupture sociale. Elles leur permettent de se retrouver autour de projets communs, de découvrir la culture et ainsi d’alimenter une certaine ouverture d’esprit.
Interrogée au sujet de l’importance des activités culturelles dans le processus de réinsertion, la représentante CGT Insertion et Probation de Colmar, Sabrina Alexander, se souvient d’un jeune homme qu’elle suivait dans le cadre d’un contrôle judiciaire. À l’occasion d’une sortie au théâtre en 2024, il s’est bien entendu avec la responsable des relations publiques qui lui a proposé d’intégrer une troupe à la Comédie de Colmar. Elle constate, un an après, qu’accepter cette offre lui a permis de rencontrer des personnes différentes, de se « sentir utile » et de reprendre confiance en lui. Il se produira vendredi 20 juin avec la troupe dans le cadre du projet « Encrages ».

L’inefficacité des mesures punitives
Le ministre de la Justice Gérald Darmanin a aussi, depuis son arrivée, fait part de son ambition de durcir les peines des personnes condamnées : « Au lieu d’être très dur avec des gens qui sont multirécidivistes, et les envoyer en prison quand on les connaît une fois, 10 fois, 15 fois, il faut être très dur au premier fait. » Or, selon la représentante CGT Insertion et Probation de Colmar, Sabrina Alexander, « ce n’est pas la peine en tant que telle qui va faire qu’une personne va changer ». Le travail d’accompagnement fourni par les SPIP consiste en effet à faire comprendre la peine aux personnes condamnées, à leur donner les moyens de les régler, explique-t-elle.
Cette déclaration sur les peines s’inscrit dans la foulée de la proposition d’une série de mesures d’ordre punitif : mise en place de peines minimales, suppression du sursis et de l’aménagement de peine obligatoire, mise en place d’une peine unique de probation, expérimentation de peines de prison ultra-courtes…
Face à ces propositions, Flore Dionisio, élue nationale CGT Insertion Probation rappelle que l’administration pénitentiaire repose sur un double objectif inscrit dans la loi : « garde et réinsertion ». Elle estime que, dans les propos de son ministre, l’aspect sécuritaire néglige cette réinsertion. Flore Dionisio y entend une vision punitive de l’institution carcérale qui rend impossible tout travail de réinsertion.
Par ailleurs, les mesures proposées sont jugées obsolètes par les manifestants. Ils citent le cas des peines plancher qui ont déjà été supprimées par le passé, suite au constat de leur inefficacité. La secrétaire générale du Syndicat SNEPAP-FSU Estelle Carraud s’oppose ainsi aux déclarations de Gérald Darmanin qui affirmait au sujet des jeunes délinquants que « la répression est aussi une forme d’éducation » :
« Il va a contrario de tout ce que dit la recherche internationale en termes de prévention de la récidive, qui explique bien qu’il faut que le niveau de contrôle et l’aspect punitif d’une peine ne soient pas prédominants. C’est vraiment l’accompagnement au changement qui va permettre d’éviter qu’une personne recommette un acte délictuel. Si au contraire, on met trop de contrôle sur une personne, on crée de la récidive.«

L’emploi et le logement, facteurs de protection pour la réinsertion
En avril, Gérald Darmanin évoquait une possible contribution des détenus à leurs frais d’incarcération, le fonctionnement des prisons coûtant « dix millions d’euros par jour, quasiment quatre milliards d’euros par an ». L’Observatoire international des prisons (OIP) rappelait alors dans un communiqué que la moitié des personnes détenues sont sans emploi et 8% sans domicile avant leur entrée en détention.
Aurore Zunino explique par ailleurs que l’emploi et le logement sont des facteurs de protection qui réduisent la probabilité de récidive et qu’ils font partie de leur terrain d’action : « Quand les personnes n’arrivent pas à trouver de logement il y a un risque d’errance, de vol. » Dans le contexte de restrictions budgétaires, les formations au code de la route proposée par les SPIP ont été supprimées. Cela s’est également traduit par une réduction des capacités d’hébergement du Centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) et du Service intégré d’accueil et d’orientation (SIAO).
Et la justice semble être du côté des manifestants. En mai, le Conseil d’État a estimé qu’il était irrégulier d’interdire les activités ludiques en prison, comme demandé dans une circulaire par le ministre de la Justice. La plus haute juridiction administrative affirme qu’il n’est pas possible d’interdire des activités conformes au code pénitentiaire, simplement parce qu’elles auraient un caractère “ludique”. Malgré cette décision jugée « salutaire », les SPIP sont conscients qu’au pénal, les parquets font des réquisitions en fonction des consignes du ministère et que ce virage politique risque de réduire leurs moyens d’action.



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