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Instagram, Discord, TikTok… Le coronavirus pousse la Maison des ados à investir les réseaux sociaux

Le confinement a pu être vécu comme une épreuve par certains adolescents. Les professionnels de la Maison des ados à Strasbourg testent de nouvelles méthodes pour les contacter.

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Instagram, Discord, TikTok… Le coronavirus pousse la Maison des ados à investir les réseaux sociaux

Allen (tous les prénoms des adolescents ont été modifiés), 20 ans, n’a pas supporté de vivre reclus avec sa famille. Habitant Brumath, il a squatté chez des potes dès le début du confinement. Puis les parents des amis lui ont demandé de partir. Le jeune homme a disparu quelques jours. Il a trouvé du travail et il est parti dans une autre région.

Sara, 14 ans, est une élève studieuse mais elle ne répond plus à ses profs. La Strasbourgeoise n’a pas rendu un devoir depuis deux semaines. Louise, de Strasbourg également, 15 ans, a quitté la maison une fois le confinement fini. Un départ de trois jours et trois nuits. De retour, elle n’a pas voulu dire où elle était allée.

Ces témoignages épars recueillis au cours de cette période de propagation du virus et de confinement, interrogent : les adolescents ont-ils été particulièrement atteints par cette crise sans précédent ?

Un atelier masques et photographie organisé à la Maison des ados (Photo Projet Memento P-mod photographies / doc remis)

À la Maison des ados (MDA), près de l’Hôpital civil, des masques blancs en coton sont accrochés au lierre qui grimpe au mur de la cour. « Vener », « Bulle », « Incertitude », « Furax », mais aussi « Re Naissance » ou « Liberté ». Ces mots sont ceux de jeunes de retour dans la structure depuis le déconfinement. Lors d’un atelier, les animateurs leur ont proposé d’inscrire des messages sur le tissu qui les protège et cache une partie de leur visage.

« Les ados ont enfin eu le droit de se confiner »

Le docteur Vincent Berthou travaille au sein de la structure qui accueille des jeunes de 11 à 25 ans. Le psychiatre tempère l’impression d’une période particulièrement éprouvante pour les adolescents :

« Au début, on a pu craindre des effets psychotraumatisants, c’est vrai pour certains : il y a eu une recrudescence d’angoisses liées à la contagiosité par exemple. Mais sinon c’est une période qui a été plutôt bien vécue il me semble. Peut-être que les ados qui se « confinent » facilement habituellement ont plus su s’adapter que d’autres tranches d’âge ? Ils ont enfin eu le droit de se mettre dans leur espace à eux et dans leur espace numérique. »

Mais ce constat ne doit pas masquer une situation très contrastée selon le praticien :

« La période a renforcé des difficultés préexistantes, de même que pour les inégalités sociales ou numériques en général. Ceux qui vont bien ont trouvé des ressources plus facilement, pas les autres… »

Un atelier masques et photographie organisé à la Maison des ados. (Photo Projet Mémento © P-mod photographies / doc remis)

Pour ceux qui évoluent dans un environnement familial compliqué ou violent, l’enfermement et l’assignation à domicile ont décuplé les difficultés. La période du confinement a déjoué pas mal d’attentes et les professionnels ont dû s’adapter, commente le psychiatre.

« On a pu se dire que pour ceux atteints de phobie scolaire la période allait être positive, mais en fait ce n’est pas si simple. Quand autour d’eux le monde s’arrête et que le temps est suspendu, cela peut renforcer le repli sur soi. On a été chercher certains, mais il y en a qu’on a totalement perdu de vue, comme cette jeune fille que l’on arrivait plus à joindre. Au bout de deux mois on a réalisé qu’elle était enceinte, alors que son premier enfant est déjà placé. »

« Nous devons aller chercher les ados »

Si la Maison des ados a fermé ses portes et cessé d’accueillir physiquement pendant le confinement, téléphone et visio-conférence ont pris le relais. Alexandre Feltz, médecin généraliste, adjoint au maire de Strasbourg et président de la structure, souligne que ces nouvelles pratiques ont permis de garder le lien :

« D’une soixantaine de rendez vous physiques, nous avons pu en maintenir une trentaine environ. L’accueil a repris le 18 mai. Ce que l’on craint, ce sont ces personnes qui ont presque “trop” respecté le confinement et ne sont pas sorties du tout. La base de la relation est présentielle, nous devons aller les chercher. »

Un atelier masques et photographie organisé à la Maison des ados (Photo Projet Mémento
© P-mod photographies / doc remis)

Les activités collectives constitue une part importante de l’activité de la structure. Son budget annuel d’1,2 millions € est principalement versé par l’agence régionale de santé. Mais ces animations de groupe ne reprendront qu’en septembre. Avec le déconfinement, d’autres enjeux surgissent avec la fin prématurée de l’année scolaire et universitaire. Delphine Rideau, directrice de la MDA et assistante sociale, les identifie :

« Que va-t-il se passer ? Certains qui pensaient être prêts pour leurs examens ont échoué à cause de l’admission sur dossier et ont l’impression d’avoir perdu la main. Le risque c’est aussi d’avoir des ados qui ont du mal ressortir de chez eux. La tension est courante à cet âge entre le fait de vouloir quitter le nid et de finalement s’y trouver bien. »

Les dégâts de l’infantilisation

La période de transition, un déconfinement incomplet et des interdits qui subsistent (contre les rassemblements de plus de dix personnes par exemple) pourraient s’avérer problématiques selon le Dr Vincent Berthou :

« L’infantilisation : interdire plutôt que de faire confiance, a été très présente pendant cette crise. Or, à l’adolescence, on n’aime pas être pris pour un enfant. Il y a un besoin d’autorité mais pas d’autoritarisme à cet âge là. Cela n’aide pas à grandir ni à être adulte. Le match qui a réuni 400 personnes ? Il faut entendre ce que cela signifie, l’enjeu de l’adolescence est de conquérir sa liberté. »

Des mots expriment le vécu du confinement par les ados (Photo Projet Mémento © P-mod photographies / doc remis)

Sur les réseaux sociaux, des ambassadeurs à la rescousse

Delphine Rideau estime que la multiplication des canaux numériques a pu aider certains ados hésitants à se déplacer. Dès le début du confinement mi-mars, l’équipe de la MDA Strasbourg a mis sur pied un projet innovant : de jeunes ambassadeurs présents sur les réseaux sociaux les plus fréquentés par les adolescents : Instagram, Snapchat, Tik Tok et Discord. Recrutés parmi des étudiants en psychologie ou en travail social, cette escouade de 25 profils a été très active durant toute la période de confinement. Parmi eux, Keziah, 23 ans en master de psycho, estime qu’environ 100 jeunes qui ne faisaient pas partie du public de la MDA ont pu être touchés :

« Le confinement était une situation nouvelle, c’était très intéressant pour nous de savoir quel effet cela a pu avoir sur les ados et les jeunes. Pendant toute cette période, on a pu être au plus près de ceux en difficultés, on a été le premier maillon de la chaîne. »

Un atelier masques et photographie organisé à la Maison des ados (Photo Projet Mémento © P-mod photographies / doc remis)

Les ados étaient ensuite orientés vers les professionnels de la MDA. Si les ambassadeurs ont bénéficié d’une formation, ils ont aussi apporté leur connaissance des codes et des usages de ces réseaux, parfois mal maîtrisés par les praticiens plus âgés, comme le raconte Manon, 21 ans, étudiante en deuxième année d’éducateur spécialisé :

« Au départ on sentait les ados réticents à échanger avec nous. Peut-être aussi parce que que nous ne sommes pas en photo mais représentés par des avatars, mais petit à petit on a su créer un lien en organisant des jeux et des ateliers d’écriture. J’ai senti que cela avait fait beaucoup de bien à ceux qui nous contactaient. »

Les ambassadeurs ont attiré l’attention de la Fondation de France qui a appuyé financièrement le projet à hauteur de 13 500€. La MDA envisage de prolonger leur mandat et l’expérience, inédite, pourrait être étendue à d’autres structures sur tout le territoire.


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