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« Kalakuta Republik », quand la danse devient politique, en hommage à Fela Kuti

Dans le cadre de la 4e édition du festival Extradanse, Serge Aimé Coulibaly présentera sa dernière création Kalakuta Republik. Un spectacle hommage au musicien et activiste politique nigérian Fela Kuti, en théâtre et danse, le tout sur fond d’afrobeat. L’artiste et sa compagnie s’empareront de la scène de Pôle-Sud les mardi 17 et mercredi 18 avril, deux dates à ne pas manquer.

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« Kalakuta Republik », quand la danse devient politique, en hommage à Fela Kuti

À Pôle-Sud, le festival Extradanse a ouvert sa quatrième édition ce jeudi 5 avril. Pendant deux semaines, il sera le théâtre de réflexions et de discussions sur le monde actuel, abordant des thématiques telles que l’exil, le vivre-ensemble ou encore le viol et son héritage. Une très belle programmation dans laquelle figure la dernière création de l’artiste burkinabé Serge Aimé Coulibaly et de sa compagnie la Faso Danse Théâtre.

 Sur scène, sept interprètes (Adonis Nebié, Daisy Philipps, Sayouba Sigué, Serge Aimé Coulibaly, Ahmed Soura, Ida Faho et Antonia Naouele) et un percussionniste DJ (Yvan Talbot) rendent hommage à l’une des figures majeures de l’Afrique occidentale du XXe siècle:  Fela Kuti. Connu pour avoir créé le style musical de l’afrobeat – mélange de funk, de jazz et de musiques traditionnelles yoruba – au début des années 1970, le polyinstrumentiste l’est également pour son engagement politique et son antimilitarisme. L’afrobeat deviendra d’ailleurs la bande-son de son combat contre la corruption et la dictature alors en place au Nigéria.

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La musique de Fela Kuti a été jusqu’alors présente dans tous les spectacles de Serge Aimé. Cette création s’inspire fortement de cette figure, comme le titre le laisse entendre. Il ne s’agit pas toutefois de faire un biopic, mais de reprendre ce qu’il symbolise encore aujourd’hui en tant qu’emblème contestataire pour rendre un hommage à son militantisme et à l’art engagé.

Des messages projetés sur des écrans rappellent ceux qui tapissent les murs du Shrine (Photo: Doune Photo).

La République de Kalakuta

À l’origine de ce spectacle, les événements politiques qui ont eu lieu en 2014 au Burkina Faso, lorsque le peuple s’est opposé au chef de l’Etat, Blaise Comparé, qui régnait depuis 27 ans sur le pays. Le chorégraphe a lié cet évènement à la musique contestataire de Fela Kuti en cherchant à comprendre ce qui l’a amené à devenir un artiste engagé, critique vis à vis du pouvoir en place et de l’armée. Il explique :

« C’était un homme courageux et jusqu’au-boutiste. Ce trait de caractère a inspiré cette création qui expérimente une danse directe, violente, qui ne s’arrête jamais. Ce que je cherche à voir ici, c’est un danseur qui capte mon attention, me donne l’impression de parler avec son corps, sans jamais s’arrêter, car c’est de ce mouvement sans fin que naissent le réciter l’engagement chorégraphique de la pièce. »

D’où le nom de la pièce. En effet, la République de Kalakuta c’est le nom que Fela Kuti avait donné à sa résidence située dans la banlieue de Lagos, en référence à Calcutta : la première cellule de prison où il avait été enfermé. Il y accueillait ses proches, des musiciens, et y avait un studio d’enregistrement. À son retour des Etats-Unis dans les années 1979, il l’avait déclarée République indépendante vis-à-vis du gouvernement nigérian et en avait fait une utopie très engagée.

« You always need a poet »

La pièce se construit en deux parties. La première repose sur des musiques originales de Fela Kuti. Peu de décors sur scène. En noir et blanc, les interprètes dansent sans s’arrêter. Le désir, l’urgence même de danser l’emportent, et les six danseurs suivent Serge Aimé Coulibaly qui fait figure de chef d’orchestre. Cette partie représente le monde d’aujourd’hui avec toute la violence et l’indifférence qu’il renferme.

La seconde partie passe du noir et blanc à la couleur, clin d’oeil à l’évolution cinématographique et télévisuelle. Changement de coloration musicale également, puisque la bande son est une création d’Yan Talbot à partir de la musique de Fela Kuti; une ambiance plus populaire mais aussi plus violente. Après une première partie dansée, celle-ci repose davantage sur le chant et le théâtre. La fête est finie et la peur s’installe : nous sommes transportés dans un lieu de décadence, où se révèlent la laideur et la brutalité du monde.

La première partie du spectacle, en noir et blanc (Photo: Julie Garcia).

La danse pour affronter le monde

La scénographie s’inspire surtout du Shrine; le temple où Fela priait avec ses spectateurs et faisait aussi office de boite de nuit où il donnait ses concerts. C’est un lieu où cohabitent espérance et laideur du monde, donc tout à fait propice à l’éveil des consciences politiques.

Ses murs étaient couverts d’images, d’articles, de slogans… Les textes projetés sur scène s’en inspirent, ils empruntent d’ailleurs leur typographie à ces messages. Serge Aimé Coulibaly précise :

« Les textes projetés sur scène sont une combinaison de phrases qui auraient pu être dites par Fela, ou par le philosophe slovène Slavoj Zizek. Ce ne sont pas des vérités, mais des idées qui dérangent. Ces idées n’apaisent pas, elles provoquent, invitent à la réflexion. »

Son ambition est de susciter une réflexion sur les préoccupations d’aujourd’hui, sur l’histoire de l’Afrique et son portrait actuel. Aussi le chorégraphe souhaite retrouver dans la danse un aspect social et politique en embarquant le spectateur dans une fête qui l’amènera à remettre en question sa vision du monde. Pour lui, chaque soir la politique se joue sur le plateau.

Son engagement dépasse ses chorégraphies. Il souhaite amener son continent d’origine à accroitre son implication dans ses productions et à se réapproprier la danse contemporaine. Il a par ailleurs créé un centre de recherche et de production des arts de la scène, « Ankara », à Bobo-Dioulasso, d’où il est originaire.

Les danseurs s’animent sur fond d’Afrobeat (Photo: Doune Photo).

Avec Kalakuta Republik, Serge Aimé Coulibaly signe une de ses créations les plus accomplies et, parmi elles, la plus saluée. Présentée au festival ON d’Avignon en juillet, elle avait alors connu un vif succès qui ne s’est pas démenti depuis.


#Festival Extradanse

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