
Installation de sapins place de l'Homme-de-Fer et place Gutenberg en 1965 / Histoire du sapin de Noël en Alsace (1966) / Les sapins au Marché de Noël place Broglie (1968) (Vidéos INA)
Archives vivantes – L’Alsace a-t-elle inventé la tradition du sapin de Noël ? Entre historiens, la bataille fait rage pour savoir quelle ville, quelle bourgade de l’espace rhénan a été la première à installer un sapin. Et pour l’instant, c’est… Strasbourg qui tient la corde avec une mention de l’Oeuvre Notre-Dame de 1492. Il s’agissait alors d’accueillir la nouvelle année…
Mais d’où vient cette tradition si ancrée du sapin de Noël ? Selon plusieurs sources, le premier sapin de Noël aurait été érigé à Sélestat en 1521, ce qui ferait de cette ville d’Alsace le berceau de cette tradition maintenant largement respectée un peu partout. Sauf que des recherches récentes, menées par Georges Bischoff ont montré que l’Oeuvre Notre-Dame a commandé 9 sapins pour les 9 paroisses de Strasbourg « pour accueillir la nouvelle année » en… 1492 ! Et pan, Sélestat !
Archives vivantes
Une rubrique proposée en partenariat avec l’INA Grand Est
Médiateur culturel au Musée alsacien de Strasbourg, Adrien Fernique précise les conditions de cette découverte :
« Gérard Leser et Georges Bischoff ont travaillé sur les traditions de Noël dans l’espace rhénan. Il a d’abord été question de branchages de sapins dès le XIIIe siècle. Puis en 1521 à Sélestat, la ville a voulu « garder des arbres pour la Saint-Thomas (le 21 décembre, ndlr) » en dépensant 4 schillings. Mais dans un ouvrage de 2006, il est vraiment fait mention de sapins cette fois, achetés 2 florins, dans un livre de comptes de l’an 1492 de l’Oeuvre de Notre-Dame. C’est à ce jour la première mention de l’installation de sapins à cette période de l’année. »
Une tradition de l’espace rhénan
Dans les vidéos de l’Institut national de l’audiovisuel (INA) ci-dessus, la mention de Sélestat est bien reprise pour situer dans l’Histoire l’origine de cette tradition. Elle est de toutes façons issue de l’espace rhénan, comme l’explique Adrien Fernique :
« La mention de 1492 était passée inaperçue mais maintenant que les historiens savent qu’ils peuvent chercher des sapins dans les livres de comptes, il n’est pas exclu que la date de la première édification d’un sapin pour la période de Noël change à nouveau. Les mentions de sapins se multiplient dans tout l’espace rhénan à partir du XVIe siècle, en Alsace à Ammerschwihr, Kaysersberg et de l’autre côté du Rhin à Fribourg. En 1576, on a la preuve qu’un linteau en pierre d’une porte à Turckheim est décoré par un sapin gravé, avec des bretzels comme décoration. »

Installation d’un grand sapin place de l’Homme de Fer à Strasbourg. Une tradition qui remonte à… 1492 ! (capture écran INA)
Pourquoi un sapin à Noël ? Il s’agissait en fait d’une tradition populaire et profane, afin de célébrer la victoire du renouveau au moment le plus sombre de l’hiver. « C’est pourquoi l’Oeuvre Notre-Dame parle d’accueillir la nouvelle année », précise Adrien Fernique :
« Au XVIe siècle, l’arbre était disposé dans les lieux publics, parcs ou corporations par exemple. Ce n’est qu’au XVIIIe siècle qui va faire son entrée dans les foyers. Il sera d’abord suspendu au plafond parce qu’alors, on décorait les sapins avec des denrées comestibles, des petites pommes rouges, des oblats (osties non consacrées)… Il s’agissait d’éviter les rongeurs. Ces sapins suspendus sont assez bien documentés par des témoignages et même des illustrations, comme un dessin de Benjamin Zix de 1816. »
Mais ce n’est qu’à partir de 1850 qu’on voit les sapins de Noël véritablement s’installer dans les maisons, de plein pied. Quant aux boules de Noël, il y a une controverse sur la première fabrique à l’avoir proposée :
« Goetzenbruck près de Meisenthal prétend être le berceau de la boule de Noël en verre mais en fait, il semble bien que des boules en verre aient préexisté en Thuringe. »
Repris par les Américains dans l’imagerie populaire de Noël
Ensuite, la tradition du sapin de Noël se raccroche à l’histoire des migrations des peuples germanophones. Il y a eu une première vague vers la France en 1870, après la défaire de la France face à la Prusse, les Alsaciens qui le désirent peuvent rester Français, à condition de partir. Ce que de nombreux Alsaciens font vers Nancy et Paris, en emportant leurs traditions de petits sapins de Noël avec eux.
Et c’est la caisse de résonance américaine qui donnera aux traditions de Noël l’écho que l’on connaît aujourd’hui, comme l’explique Adrien Fernique :
« La tradition du sapin traversera l’Atlantique avec les migrants allemands vers les États-Unis, avec Santa Claus et toute l’imagerie du Noël américain que l’on connaît aujourd’hui, sa récupération par Coca-Cola, etc. Ces éléments sont revenus en Europe par l’influence américaine, ce qui explique que dans bien des endroits, y compris au Sundgau par exemple, il n’y avait pas cette tradition des sapins de Noël avant 1950. »
Quant à la solidité des sapins érigés sur les places, les archives restent muettes sur cette délicate question.
Il est fort probable qu'en fait, le "premier sapin sapin de noël" aie vu le jour dans un bled au fin fond des Vosges ou de Franche-Comté ou d'une autre région d'Europe. Dans tous les cas, on s'en fout un peu.
À part bien bien sûr les cornichons qui s'auto-attribuent des titres pompeux comme celui de la "capitale de noël" "capitale du bretzel" ou autre foutaise du genre.
L'essentiel est ailleurs.
Après 1521 (première mention à Sélestat), 6 autres mentions ont été trouvées dans les livres de comptes de la ville, dont celle de Balthazar BECK, témoin de premier plan puisqu'il était l'échanson de la ville, et qui, le premier, a évoqué une décoration. Voici le texte :
« Comment on dresse les mais (sapins) – De même le soir de Noël les gardes forestiers apportent les mais. La nuit les messagers, les courriers et les sergents aident l'échanson à le dresser et à le décorer avec des pommes et des hosties. Ce que l'échanson dépense pour l'achat de pommes et autres, on le lui rembourse à la douane. Le cuisinier lui donnera une bouteille de vin, six livres de pain et des lumières. Jusqu'au début de la messe, ils se rendent aux domiciles des membres du Magistrat munis de lampes à poix et de torches et ils les accompagnent pour l'aller et le retour de la messe. »
Un sapin, dressé et décoré, restera dans la salle de la Herrenstübe jusqu'à la fête de l'Épiphanie où est consommée une galette contenant une fève servant à désigner le roi de la fête. Après cela les enfants des magistrats, des conseillers de la ville et des employés sont convoqués pour secouer les arbres de Noël et les dépouiller de leurs décorations et gourmandises.
C'est le premier texte où la décoration du sapin est ainsi évoquée.