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Quand il a fallu transformer la Laiterie dans les années 1990

Archives vivantes – La Laiterie, c’est une salle de concert bien connue à Strasbourg et au-delà. Tellement, qu’on en oublierait presque l’activité qui lui a donné son nom. Les discussions pour la transformation dans les années 1990 ont connu plusieurs revirements. Deuxième et dernier volet de cette mini-série.

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Le premier volet de cette mini-série revenait sur l’histoire de plus de 60 ans de collecte, de pasteurisation et de distribution de lait aux portes du centre-ville. La vie de l’usine de « la laiterie centrale de Strasbourg » marqué notamment par une unique – et aussi éphémère que réussie – grève de en 1974, que la direction voulait contourner.

L’objectif initial : un « bordel organisé »

À partir de 1979, le site proche de la gare passe plus de 10 ans à l’abandon (vidéo 1), parfois squatté. Avec l’élection de Catherine Trautmann (PS) en 1989, la nouvelle majorité à gauche souhaite donner une ambition culturelle à cette friche au cœur d’un quartier populaire. Le jeune l’architecte strasbourgeois Georges Heintz est sélectionné. Le concepteur des Docks de la presqu’île Malraux à Strasbourg, bâtiment multi-primé, garde un souvenir contrarié de cette transformation. Son ambition était un de créer un lieu foisonnant, où plusieurs types d’artistes se côtoyaient :

« En visitant des studios à Paris et en rencontrant des groupes, je m’étais rendu compte que dans ces endroits, il y avait des artistes, mais aussi des babacools, des jeunes en déshérence, qui fuguaient et donc une grosse demande sociale. À Strasbourg, il n’y avait pas de lieu comme ça et 150 groupes cherchaient un endroit où répéter. Il fallait autre chose que juste un lieu d’enregistrement avec un accueil. Une réponse technique ne suffisait pas. Mon idée, c’était une ruche, un bordel organisé avec tous types d’art. Catherine Trautmann était bottée à fond. Mais les échanges étaient parfois difficiles avec les services de la Ville qui avaient une autre culture et voulaient un espace très organisé. »

« L’époque exigeait de la mixité »

Dans la vaste salle centrale (130 mètres de long), l’architecte imaginait des alvéoles ouvertes, délimitées par les piliers modulables. Cette flexibilité offrait aux occupants la possibilité de se croiser. L’objectif : permettre de « s’adapter à des projets réversibles, malléables, évolutifs ». Et cela sur plusieurs niveaux. Pour l’architecte, c’était aussi une tendance dans les années 90 :

« C’était l’époque des transformations de la friche Belle de Mai à Marseille ou des anciennes usines Lu à Nantes (le Lieu unique). Ce que l’époque exigeait, c’était de la mixité. Cela parait ancien aujourd’hui, mais c’était le tout début des clips à la télévision, du rap, à une époque où les Bi-bop faisaient office de téléphone portable. Partout en France, il y avait une frénésie pour ces nouveaux lieux. On entrait dans une époque créative. »

La « ruche » tuée par les impératifs

Mais l’idée de la ruche fut rattrapée par d’autres impératifs :

« Toutes les démolitions étaient faites. Mais à ce moment là, il a fallu trouver des espaces pour le Conservatoire, qui partageait ses locaux avec le TNS qui s’agrandissait. On a à nouveau cloisonné les murs pour que le conservatoire déménage à la Laiterie. »

En 2006, le Conservatoire investit ses nouveaux (et actuels) locaux place de l’Étoile. La friche Laiterie est alors créée (vidéo 3). C’est un lieu dédié à la création culturelle, ouvert à diverses compagnies. L’association éponyme, qui gérait aussi le hall des Chars, est ensuite partie lorsque ce bâtiment est devenu l’Espace K début 2016. Les bâtiments sont aujourd’hui répartis entre plusieurs structures, certains étant directement administrés par la municipalité.

L’histoire de la peinture

Autre idée avortée : mettre une peinture photo-luminescente sur les murs. Georges Heintz se souvient d’une anecdote :

« Catherine Trautmann vient dans mon bureau. Je l’emmène dans un cagibi de 2m² où la maquette était sous bâche. Le garde du corps est suspicieux, mais Catherine Trautmann lui dit que c’est bon. J’éteins la lumière et enlève la bâche d’un coup. Surprise, Catherine Trautmann pousse un petit cri et le garde du corps débarque. Et les deux disent que c’est super. Le projet est présenté, mais une tribune d’un universitaire strasbourgeois, le mari de l’adjointe écologiste Andrée Buchmann, explique que cette peinture est cancérigène et cela a mis fin à l’idée. »

On peut voir cette peinture depuis l’autoroute à hauteur de Mundolsheim, où elle recouvre les grandes lettres sur la façade de l’entreprise Sagos.

L'ancien bâtiment se distinguait par sa couleur bleu (diapositive remise)
L’ancien bâtiment se distinguait par sa couleur bleu (diapositive remise)

Des parkings et des bureaux pour une « skyline »

Le long de l’autoroute, un grand hangar est « pété en une demi-journée » pour faire place à l’actuel parking du Ban-de-la-Roche. Pour le stationnement, Georges Heintz avait justement une idée. Face au talus de l’A35, l’architecte souhaitait construire des parkings sur quelques niveaux, surmontés de plusieurs grandes « tours sculptées » de bureaux. « Un super emplacement près du centre, et directement accessible par l’autoroute », se souvient aujourd’hui à regret l’architecte.

Les tours auraient permis de couper le son des véhicules, de financer la construction du parking et de faire émerger « un début de skyline strasbourgeoise ». L’idée : les places qui se remplissent le matin et se vident le soir au rythme des allées et venues des salariés. Ainsi, ils libèrent les emplacements pour les riverains et les spectateurs des salles de spectacles le soir. En 2019, le stationnement difficile dans le quartier, en particulier les soirs de concert et de représentations, est toujours un sujet de mécontentement dans ce quartier populaire.

La Laiterie, la salle rock

En 1991, Georges Heintz remporte aussi l’autre concours, celui de la salle rock. La livraison est demandée pour 1994. Cette fois, il puise son inspiration d’Amsterdam, où il travaille sur d’autres projets :

« C’était l’ambiance post-punk, il s’ouvrait des endroits géniaux pour concerts, où l’on pouvait fumer, boire, manger, écouter de la musique, se faire tatouer. Cela drainait du monde. Le but était de créer une scène alternative à Strasbourg. »

Parmi les défis à relever, l’architecte des bâtiment de France avait demandé de garder le toit pointu sur la maison rue de Hohwald. Côté rue de Ban de la Roche, les fenêtre qu’on l’on aperçoit de l’extérieur ont leur histoire :

« À ce moment là, on imaginait un bar à l’étage avec vue sur l’autoroute qui n’avait pas encore son mur antibruit. Ainsi, le soir on voyait et les voitures qui défilent à toute allure dans les deux sens, avec les lumières des phares qui éclairaient la Laiterie. « 

L’architecte a dû faire preuve d’imagination avec un budget limité, mais sans rogner sur la technique. « Le bloc noir, c’est un coffrage brut. Ce n’est pas ce qu’il y a de plus beau mais c’était le moins cher et il est d’origine ». Autre fierté, « la pluie d’étoile » sur le plafond, avec 3 000 douilles de chantier, mais qui n’existe plus

À l’intérieur, le pont suspendu est fait pour que les visiteurs voient les artistes passer des loges à la scène (ce qui rappelle la conception du nouveau Maillon) depuis la « rue intérieure », avant ou après les concerts.

La demande de sièges

La conception du lieu fut moins contrariée que celles des bâtiments en face. Mais l’architecte a dû jongler avec plusieurs demandes :

« Les élus voulaient des sièges assis. Un truc de vieux alors que c’était une salle rock ! Cela a fait des mois de débat. Les techniciens voulaient aussi une seule régie centrale pour les deux salles, derrière une vitre. Ils’étaient opposés à ce que deux concerts soient joués en simultané. J’avais prédit que les artistes et leurs équipes y entreposeraient leurs vestes. Et dès le premier concert, c’était devenu un vestiaire géant. »

Le groupe strasbourgeois Kat Onoma joue pour l’inauguration de la salle, le 27 octobre 1994 (vidéo 2). « Je flippais à mort », se rappelle l’architecte, qui se demandait si le public allait suivre. Avec le recul, l’usage de la salle correspond aux visions de l’architecte :

« Quand je vois ce qu’ont fait Thierry Danet et son association avec l’Osophère c’est exactement ce à quoi on avait pensé. Artefact a marqué l’identité du lieu. Vingt cinq ans plus tard, La Laiterie est l’une des salles avec le plus de dates en France, notamment grâce à son acoustique excellente. »

Retour de l’Osophère et rénovation du quartier

Après quelques éditions à la Coop au Port-du-Rhin, le festival des nuits électroniques de l’Ososphère réinvestira plusieurs rues du quartier Laiterie entre le 13 et le 22 septembre, comme dans les années 2000. Le secteur devrait connaitre une nouvelle transformation notable au début des années 2020 avec la rénovation de quelques artères. En particulier, la partie ouest de la rue du Hohwald, entre la salle de concert et l’ex-usine, doit devenir piétonne et aménagée de manière conviviale.


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