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L’assureur Groupama Grand Est condamné pour avoir licencié un lanceur d’alerte

Le 17 mars, la cour d’appel de Colmar a condamné l’assureur pour avoir licencié sans motif recevable l’un de ses employés. Le lanceur d’alerte avait signalé un risque d’explosion à la Coopérative agricole céréalière d’Ottmarsheim.

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La Cour d'appel de Colmar (Photo Wikimedia Commons / cc)

Étienne (le prénom a été modifié) avait été embauché en 2015 en tant qu’ »inspecteur vérificateur risques industriels » par la Caisse régionale d’assurances mutuelles agricoles du Grand Est, plus connue sous le nom de Groupama Grand Est. Son travail : se déplacer sur les sites des clients de l’assureur, principalement des exploitations agricoles et industrielles, pour y vérifier deux choses. D’abord, les règles de solvabilité du contrat : est-ce que Groupama peut continuer d’assurer le client si une catastrophe survenait ? Il devait ensuite s’assurer que tous les risques étaient bien anticipés par le client. Si non, Étienne était censé donner des conseils afin d’éviter ces risques.

La Cour d'appel de Colmar (Photo Wikimedia Commons / cc)
La cour d’appel de Colmar a condamné Groupama Grand Est pour licenciement abusif d’un de ses salariés en décembre 2018, et lui a reconnu le statut de lanceur d’alerte. Photo : Wikimedia Commons / cc

Un inspecteur qui alerte à trois reprises son employeur

En juillet 2017, l’inspecteur de risques industriels découvre qu’une entreprise de travaux agricoles située en Côte-d’Or en est à son troisième incendie, dont deux en un an. Des incendies qui sont survenus malgré des préconisations répétées de l’assureur à l’exploitation en question. Étienne émet des doutes sur les circonstances de l’incident et signale ses soupçons à son employeur. Mais Groupama Grand Est ne fait rien.

Toujours en juillet 2017, Étienne visite le site de la CAC (Coopérative agricole céréalière) d’Ottmarsheim, près de Mulhouse. Au cours de cette inspection, selon les mots de la cour d’appel de Colmar, « il aurait identifié onze infractions à la réglementation en matière d’incendie, d’explosion et de protection des salariés ainsi qu’un risque d’incendie majeur dans ce site de stockage d’engrais situé à 800 mètres de la commune d’Ottmarsheim, à 200 mètres d’une usine chimique et à 13 kilomètres de la centrale nucléaire de Fessenheim. »

De retour de cette visite, Étienne établit un plan de recommandations que Groupama Grand Est refuse de transmettre à la CAC d’Ottmarsheim. Il alerte par la suite son supérieur, à deux reprises, de ces risques d’explosion non pris en compte par l’assureur.

Ignoré par Groupama Grand Est, Étienne se tourne vers les institutions, puis les médias

Devant le silence et l’inaction de son employeur, Étienne décide d’abord d’écrire à l’Association anti-corruption (AAC) en janvier 2018 pour dénoncer des faits de fraude fiscale et d’abus de bien social dans l’affaire de l’exploitation agricole aux trois incendies en Côte d’Or. Selon un document que Rue89 Strasbourg a pu consulter, Groupama Grand Est aurait continué d’assurer cette société, malgré les alertes.

Quelques mois plus tard, voyant que ses alertes ne sont pas prises au sérieux concernant la CAC d’Ottmarsheim, Étienne décide de contacter l’Autorité de sûreté nucléaire car il craint une réaction en chaîne si une explosion survient à la CAC. Il signale aussi la situation à la Dreal (Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement) et au Service de défense, de sûreté et d’intelligence économique.

Pendant l’été 2018, il alerte également les médias : l’Alsace, les DNA, ainsi que nos confrères de Reporterre, qui vont réaliser une enquête édifiante sur le risque explosif existant à la CAC d’Ottmarsheim, publiée le 18 septembre 2018. Il revendique alors son statut de lanceur d’alerte, tel que prévu par la loi du 8 décembre 2016 :

« Un lanceur d’alerte est une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, (…) ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance. »

Article 6 de la loi du 8-9 décembre 2016.
La Coopérative agricole d’Ottmarsheim longe le Grand Canal du Rhin. Le site est classé et soumis à autorisation. Jusqu’à 3 600 tonnes d’ammonitrates 27% peuvent y être stockées. L’engrais arrive par péniche (document remis par la CAC lors de notre enquête sur le site en 2021).

Six semaines plus tard, licencié pour faute lourde

Le 9 novembre 2018, soit un mois et demi après la parution de l’enquête mettant en cause Groupama Grand Est et la CAC d’Ottmarsheim, Étienne est convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, avec mise à pied à titre conservatoire.

Enfin, le 10 décembre 2018, comme l’indique l’arrêt de la cour d’appel de Colmar :

« Groupama Grand Est notifie à (Étienne) son licenciement pour faute lourde. L’employeur motive le licenciement en expliquant que le salarié a abusé sciemment du statut et des prérogatives de lanceur d’alerte en instrumentalisant des informations confidentielles auxquelles il avait eu accès dans l’exercice de ses fonctions dans l’intention de nuire à l’entreprise et à ses représentants. »

Selon l’employeur d’Étienne, le salarié aurait agi de la sorte car « il n’avait pas bénéficié d’une augmentation salariale pour l’année 2018 du fait de l’insuffisance de ses performances individuelles et d’importants manquements dans ses postures professionnelles envers ses collègues de travail et les assurés en 2016 et 2017. »

Une décision contestée devant les prud’hommes de Schiltigheim par Étienne, qui a vu sa demande déboutée en juillet 2021. Mais l’inspecteur en risques industriels a fait appel. C’est cette deuxième décision, rendue par la cour d’appel de Colmar le 17 mars 2023, qui donne raison à l’ancien salarié, comme le révèle nos confrères de l’Informé.

Le statut de lanceur d’alerte reconnu mais pas pour le signalement sur la CAC

Les conditions pour obtenir le statut de lanceur d’alerte sont complexes. Selon les juges de Colmar, le signalement d’Étienne portant sur les possibles conséquences d’une explosion d’engrais stockés sur le site de la CAC relève bien « d’une menace ou d’un préjudice grave pour l’intérêt général », mais – et là est la nuance – comme « ce risque ne concerne pas son employeur mais un client de son employeur », le salarié ne peut bénéficier des dispositions de l’article.

En revanche, Étienne a obtenu le statut de lanceur d’alerte sur le volet bourguignon de l’affaire, car il dénonçait des faits pouvant être qualifiés de « fraude fiscale et abus de bien social » de la part de son employeur. Il bénéficie donc d’une protection à ce titre.

Conclusion finale des juges : le licenciement est nul. Et le statut de lanceur d’alerte est bien reconnu à Étienne. Groupama Grand Est a été condamnée à lui verser 18 638 euros de dommages et intérêts pour son licenciement.

Contacté, l’assureur refuse de commenter l’affaire et informe se pourvoir en cassation. De son côté, Étienne n’a pas souhaité non plus répondre à nos questions.


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