Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Des passionnés de lithographie veulent redonner vie à l’imprimerie Geistel à Cronenbourg

À l’ouest de Strasbourg, l’ancienne imprimerie Geistel est restée figée dans les années cinquante. Pierres lithographiques, presses centenaires et vieilles étiquettes témoignent d’un riche passé que l’association Litho Geistel veut rouvrir au public.

Diaporama

Cet article est en accès libre. Pour soutenir Rue89 Strasbourg, abonnez-vous.

Des passionnés de lithographie veulent redonner vie à l’imprimerie Geistel à Cronenbourg
L’association prévoit d’en faire une imprimerie-musée, des ateliers de lithographie et une salle d’exposition.

Portail noir, jardin en friche et façade abîmée par le temps, la maison située au 48 rue du Gazon semble abandonnée. Elle dénote dans ce quartier résidentiel à la frontière entre les quartiers de Cronenbourg et Koenigshoffen à Strasbourg. Pourtant, à l’intérieur, des trésors d’une autre époque s’y cachent : ceux de l’imprimerie Geistel fermée en 1952.

Eugénie Geistel, l’unique héritière de l’entreprise, est décédée en mars 2023. Elle a légué ses biens au Fonds de dotation Geistel qui s’est constitué en association deux ans plus tard. Ses bénévoles, passionnés de lithographie, veulent redonner vie à ce patrimoine industriel et artistique en ouvrant l’imprimerie au public. « Ici, tout est authentique, on entre dans la peau de ceux qui y travaillaient il y a soixante-dix ans », commence Alain Hurstel, président de l’association Litho Geistel. Il poursuit : « J’appelle cette maison un tiers-lieu, pas seulement parce que le mot est à la mode, mais parce qu’on veut en faire une imprimerie-musée et un lieu d’expression pour les artistes lithographes. »

Le lithographe dessine la cathédrale à l’envers pour qu’elle soit à l’endroit après impression.Photo : Pascal Bastien / Rue89 Strasbourg

Une imprimerie figée dans le temps

C’est derrière la porte d’entrée en bois, sur laquelle un écriteau « Bureau » est toujours accroché, que les clients venaient passer commande. Ouverte en 1910, l’imprimerie Geistel était spécialisée dans les étiquettes et les affiches publicitaires. Une photo de Joseph Geistel et de sa femme décore le mur tandis qu’un portrait de leur fille Eugénie trône sur le bureau. Retour dans les années 1930, à l’âge d’or de l’imprimerie. Alain Hurstel s’engouffre dans le bureau du dessinateur où, sur une table en bois repose un bloc de pierre :

« Le lithographe était le publicitaire de l’époque. Il dessinait les commandes des clients sur des pierres calcaires. Ces artistes ont un esprit qui fonctionne à l’envers parce qu’ils doivent dessiner le reflet d’une image qui, après impression, sera à l’endroit. »

La lithographie est une technique d’impression, inventée en 1796, qui permet de reproduire un tracé réalisé sur une pierre calcaire. L’artiste trace son dessin à la graisse puis y verse tour à tour de l’eau et de l’encre. Le jeu entre le gras et l’eau fait apparaître le motif prêt à être imprimé. Dans les années 1950, cette technique est concurrencée par l’invention de l’offset qui remplace la pierre calcaire par une plaque souple en aluminium et permet de produire plus rapidement. Si la lithographie d’impression a quasiment disparu, elle a continué d’exister dans sa dimension artistique.

Les rouages de l’impression

Quelques marches plus loin, la salle d’impression donne accès à cinq presses imposantes. Contre les murs, des étagères regorgent de blocs de pierre rangés à la manière de livres dans une bibliothèque. Le travail d’inventaire entamé par les bénévoles de l’association Litho Geistel révèle les trésors cachés de l’entreprise. Fasciné, Alain Hurstel partage ses trouvailles :

« Nous avons recensé 1 700 pierres qui sont toutes numérotées en fonction du numéro de dossier des clients de l’époque. On a trouvé des étiquettes pour les bières Pills ou pour le confiseur Becco qui était un gros client. On a aussi des exemplaires de la fameuse carte postale de l’horloge astronomique de la cathédrale de Strasbourg. Ça nous donne une bonne idée de la vie économique des années 1930-1950. »

L’imprimerie compte 1 700 pierres lithographiques numérotées selon le dossier du client. Photo : Pascal Bastien / Rue89 Strasbourg

Les presses se mettent en mouvement. D’un côté, des rouleaux répartissent l’encre, de l’autre, une plaque humidifie la pierre. La feuille de papier vierge ressort noircie. En moyenne, 37 étiquettes sortent par page. Une commande de 500 000 exemplaires exigeait près de 13 000 passages. Florencia Escalante, vice-présidente de l’association mime et détaille le travail des anciennes salariées :

« Les ouvrières de l’impression étaient souvent des femmes. La margeuse plaçait le papier; la receveuse récupérait la feuille imprimée. Il ne fallait pas s’endormir, la cadence était soutenue. »

Redonner vie au lieu

« Les habitants du quartier étaient convaincus que la maison serait détruite et remplacée par un immeuble », se rappelle Alain Hurstel. Dans une rue de pavillons résidentiels, une tour aurait fait tâche. Le voisinage est donc rassuré de savoir le bâtiment entre les mains de l’association Litho Geistel. « Eugénie a fait un cadeau au quartier Cronenbourg. À nous d’en faire un lieu vivant, culturel et artistique, au service du quartier », poursuit le président.

Au-delà de transformer les lieux en imprimerie-musée, les bénévoles veulent donner de la visibilité aux lithographes artistes et proposer des ateliers aux établissements scolaires. À terme, ils souhaiteraient ouvrir une salle d’exposition. Mais ce projet suppose d’importants travaux pour mettre aux normes d’accueil du public une maison figée en 1952. Chauffage, isolation, électricité, toiture… Tout est à refaire.

L’association Litho Geistel compte une quarantaine d’adhérents dont une dizaine de bénévoles actifs. Photo : Pascal Bastien / Rue89 Strasbourg

Un permis de construire a bien été validé en août 2025 mais il reste à l’association à réunir 350 000€ pour engager les travaux et ouvrir au public. Un appel aux dons a été lancé sous la forme d’une cagnotte en ligne et des mécénats sont recherchés. Alain Hurstel raconte les actions déjà menées pour financer le projet :

« Aux Journées du patrimoine, on a récolté 650€ de dons en une journée et en vendant les objets de l’appartement d’Eugénie, on a obtenu 11 400€ au marché aux puces. Mais il nous manque encore beaucoup d’argent… Une fois qu’on aura réuni la somme, il faut prévoir deux ans de travaux avant l’inauguration. Il faut savoir être patient. »

La porte en bois se referme sur le patrimoine d’une époque révolue. De retour dans la rue, la bulle temporelle éclate.


#histoire

Activez les notifications pour être alerté des nouveaux articles publiés en lien avec ce sujet.

Voir tous les articles
Partager
Plus d'options