Luka a 15 ans. Depuis le 5 mai 2025, il est abrité par le personnel et des parents d’élèves de l’école élémentaire Léonard de Vinci à l’Elsau. L’adolescent dort dans une salle de classe avec ses parents, ses petits frères et son grand-père. La famille a fui la Géorgie deux ans plus tôt pour des raisons politiques. D’après les mots du père, lui et le grand-père sont activement recherchés par le gouvernement de leur pays d’origine. Depuis 2023, la famille alterne entre des hébergements d’urgence et des nuits dans une voiture.
Chaque soir, une pièce de l’établissement est donc transformée en dortoir. Et chaque matin à 7h, la famille doit avoir rangé ses matelas et ses affaires pour que la salle accueille les élèves. « On a à peine le temps de dormir. C’est très fatigant, se lever tôt, aller à l’école, puis faire les entrainements de lutte le soir, mais il faut que je le fasse », confie Luka.

Entrainement intensif
Un soir de mai, la famille se retrouve à la sortie de l’école comme chaque jour. Tous ensemble, ils se dirigent vers un parc de jeux en extérieur. Sec et musclé, Luka semble timide, il reste silencieux. Élève de troisième, il a suivi des cours toute la journée. Il se prépare maintenant à filer au club de lutte Olympia à Schiltigheim, comme il le fait tous les soirs avec ses parents et ses deux frères, eux aussi inscrits. « Je ne loupe jamais un entrainement », assure l’adolescent.
Alors que sa séance débute à 19h30, il arrive souvent dès 18h pour s’entraîner avec les plus jeunes. Luka commence par s’exercer avec Maté, son petit frère de 12 ans. Quand le deuxième de la fratrie fait une pause, Luka enchaîne les pompes, sans se laisser une minute de répit. « Il ne s’économise jamais », observe son entraîneur, Cédric Buffolder.

Après plus d’une heure d’entraînement qu’il s’impose en plus, il démarre son propre cours, fait de combats où il ressort vainqueur la plupart du temps. Même en compétition, la majorité de ses combats se terminent par un score sans appel : 8-0, ce qui provoque une victoire directe. En Géorgie déjà, la lutte était une passion familiale. Luka a pratiqué ce sport « depuis [qu’il sait se] tenir debout », d’abord avec ses parents, puis rapidement en club. Son père était également lutteur et ses frères s’y mettent désormais.
Contacté par le ministère des sports
À son arrivée en France, Luka a intégré le club de Schiltigheim où son talent a ébloui les entraineurs. Il est même devenu champion de France en 2024, et s’est classé troisième au niveau mondial dans sa catégorie de poids et d’âge. Il se souvient encore avoir cherché lui même un nouveau club avant de demander à ses parents s’il pouvait aller voir.
Son potentiel est tel qu’il a été contacté par le ministère des Sports pour rejoindre le pôle espoirs de la Fédération Française de Lutte & Disciplines Associées (FFLDA). Pourtant, il n’est plus autorisé à participer aux compétitions en 2025. La réglementation interdit aux mineurs étrangers de concourir après leurs 15 ans, s’ils ne justifient pas d’une inscription plus de trois ans dans un même club. Luka, qui avait pu se présenter jusqu’à ses 14 ans, ne comprend pas cette exclusion. « Il a été très frustré, mais il s’est accroché. Il ne se plaint pas. Il s’entraîne comme un acharné, compétition ou pas », confirme son entraîneur, qui espère que les logiques administratives ne freineront pas sa progression trop longtemps.
Trouver sa place en France, au-delà du sport
« On n’a pas le temps de sortir ou de jouer, on trouve à peine le temps de dormir », témoigne Luka. Sans ordinateur ou télévision, il a peu d’occupations. Il regarde des vidéos sur son téléphone, des combats de catch sur YouTube.

Le jeune homme s’est fait des amis au collège. Mais il ne leur parle pas de sa situation, seuls ses professeurs sont au courant. Luka préfère des discussions plus légères sur le sport, surtout le football, le basket, et bien sûr la lutte. En dehors de l’école, il ne voit pas ses camarades. Il reste essentiellement avec sa famille.
« Ce sont des gens qui ne veulent jamais déranger. Ils te répondent si tu viens vers eux, mais sinon ils se font tout petits », témoigne Nicolas Poulin, enseignant et membre du collectif Elsau solidaire, qui les a mis à l’abri dans l’école : « Un jour, je leur ai proposé un croissant. Ils ont refusé. Je ne saurai jamais si c’était par pudeur, par peur de déranger, ou parce qu’ils n’en voulaient vraiment pas. »
La famille a fait une demande de statut de réfugié politique, mais cette dernière a été refusée. « Notre avocat ne faisait pas bien son travail. Il ne signait rien, il n’a pas attesté nos preuves devant le tribunal », relate Luka. Elsau solidaire et la famille travaillent maintenant pour obtenir un passeport de talent sportif pour le jeune lutteur.
« On craignait le gouvernement »
Luka rêve de représenter la France dans des compétitions internationales un jour. Si son destin administratif reste incertain, son avenir dans la lutte semble déjà tracé. En attendant, il continue de se battre tous les jours, dans la vie comme sur le tapis. « Si on devient citoyens français, je remercierai tout le monde et je le dirai à toute mon école », lance t-il. « Positif, positif », répète le sportif, comme un mantra.

Même si le quotidien est précaire en France, Luka affirme que sa vie est moins difficile qu’en Géorgie : « Pendant cinq ans, on vivait dans la peur. On ne dormait pas, on craignait le gouvernement, on craignait tout le monde, même nos voisins. » Il raconte le départ sans regret, mais non sans inquiétude : « Je n’étais pas triste, mais j’étais craintif. On ne savait pas comment allait se passer le trajet, on ne pouvait même pas le voir sur Internet, on n’avait pas de réseau. »
Luka aimerait évidemment que lui et sa famille aient une solution d’hébergement pérenne. « Comme ça je serais encore plus concentré sur la lutte, pour devenir champion », explique t-il. À l’instar de centaines d’autres Géorgiens à Strasbourg, il se heurte au durcissement de la politique d’accueil des migrants voulue par le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau (Les Républicains). Pour mettre fin à ces situations d’errance, des associations comme La Cimade demandent au contraire la régularisation des sans-papiers présents en France. Les partis de gauche défendent, à minima, un assouplissement des règles d’obtention de titres de séjour.
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