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Michael Kellner, stratège de la campagne des Verts allemands

Il ne travaille pas pour un candidat en particulier, mais dans l’intérêt de tous ceux sur la liste des Verts en Allemagne : leur directeur de campagne Michael Kellner doit faire en sorte que d’ici au 26 mai, tout aille « comme sur des roulettes ». Et puisque les Européens semblent prendre conscience de l’urgence climatique, Michael Kellner pense avoir toutes les chances de son côté pour y parvenir. Mais les européennes restent un scrutin en vue duquel il est difficile de mobiliser les troupes.

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Michael Kellner, stratège de la campagne des Verts allemands

« Plakatschlacht ». En Allemagne, cette expression désigne la bataille (« Schlacht ») des affiches (« Plakate »), celle à laquelle se livrent les partis politiques en amont d’une élection. En la matière, Michael Kellner, directeur de campagne du parti écologiste Bundnis 90/Die Grünen (Alliance 90/Les Verts), est un fin stratège. De la recherche des slogans à la répartition des posters dans toute l’Allemagne en passant par la sélection de l’imprimeur, le Berlinois a pensé à tout.

Car outre-Rhin, la campagne des élections européennes se joue aussi et surtout dans les rues, où fleurissent en nombre les pancartes politiques. Même s’il est aussi réglementé, leur affichage n’est pas limité aux abords des écoles et des mairies, comme cela est le cas en France.

Depuis le début de la campagne, la vie de Michael Kellner va à cent à l’heure. (Photo Guillaume Krempp / Rue89 Strasbourg / cc)

Michael Kellner a déjà été activement impliqué dans l’organisation de deux campagnes : les européennes de 2014 et les élections fédérales allemandes de 2017. Il n’hésite jamais à pousser la « Plakatschlacht » toujours un peu plus loin, en répondant directement aux attaques du parti d’extrême-droite Alternative für Deutschland (AfD).

Sur celles-ci, on peut lire : « Grün ärgern? Blau wählen! », ce qui pourrait se traduire par « Pour fâcher les Verts ? Voter bleu ! » – le bleu étant la couleur de l’AfD – en sachant qu’en allemand, « sich grün und blau ärgern » est un équivalent d’ « être rouge de colère ».

Ni une, ni deux, Michael Kellner a donc élaboré quelques réponses bien senties au parti d’extrême droite, comme « Braun bekommen » (« Récolter les Bruns » – les « Bruns » désignant les Nazis) ou « Wer blau wählt, wacht mit Kater auf » (« Qui vote bleu se réveille avec la gueule de bois », sachant qu’en allemand, « blau sein » veut dire « être bourré »), qu’il a imprimées sur de grands cartons avant de les accrocher sous les affiches de l’AfD. Sans oublier d’inviter tous les sympathisants des Verts à en faire de même.

Avec une certaine dose de sarcasme, l’éminence verte Michael Kellner répond aux pancartes du parti d’extrême Alternative für Deutschland (AfD). (Gruene.de)

À 42 ans, Michael Kellner, également secrétaire général des Verts allemands depuis 2013, joue un rôle central dans la campagne. C’est simple : il en est le cerveau. Il a établi la stratégie des Verts jusqu’au scrutin du 26 mai et réfléchi aux manières les plus adéquates de « parler » aux électeurs, en gardant toujours un seul et unique objectif à l’esprit : permettre au plus grand nombre de candidats écologistes allemands de rejoindre les rangs du Parlement européen.

Dernier coup de cravache

Or Michael Kellner le sait bien : aux européennes, les électeurs – du moins ceux qui se rendent aux urnes (48,1% des citoyens allemands en 2014) – se décident au tout dernier moment. Alors, dans cette ultime phase de la campagne, Michael Kellner met les bouchées doubles :

« Je suis exténué, c’est clair, mais je ne veux pas y penser. L’enjeu est trop important. Je prends sur moi et je carbure, il n’y a pas d’autre solution. Pendant les tous derniers jours avant le vote, nous allons changer tous nos spots télé et toutes nos affiches, donc je donne un dernier coup de cravache pour que tout soit prêt à temps. »

Sans surprise, il porte une attention toute particulière aux deux têtes de liste du parti, Ska Keller et Sven Giegold. Respectivement experts des questions migratoires et de l’économie, ce tandem compte déjà deux mandats au Parlement européen. La première est également tête de liste, aux côtés du Néerlandais Bas Eickhout, du Parti vert européen (qui regroupe 32 partis écologistes européens).

Calme et sur de lui, Michael Kellner gère la campagne des Verts d’une main de maître. (Photo Guillaume Krempp / Rue89 Strasbourg / cc)

Pendant les dernières heures de campagne, Ska Keller et Sven Giegold sillonneront l’Allemagne, s’arrêtant dans chacune des 16 régions (les Länder) pour tenter de convaincre les derniers indécis. Là encore, l’idée vient de Michael Kellner. Et Sven Giegold de témoigner :

« Michael Kellner, c’est la tête pensante de cette campagne, une personne stratégique pour qui j’ai beaucoup de respect. Son rôle n’est pas simple, notamment parce que s’il y a des tensions politiques au sein même du parti, c’est à lui de trouver comment les résorber. »

Pour le député-candidat Sven Giegold, Michael Kellner est la « tête pensante » de la campagne. (Photo Emilie Gomez / EP / cc)

Pour Jens Althoff, directeur du bureau de Paris de la Fondation Heinrich-Böll (une fondation politique allemande proche du parti Bundnis 90/Die Grünen), le parti bénéficie d’une dynamique :

« Bien sûr, du fait de sa position stratégique, Michael Kellner endosse de lourdes responsabilités. Mais il a la chance d’avoir d’opérer dans un contexte généralement favorables pour les Verts : d’une part, beaucoup d’Allemands prennent clairement conscience de l’urgence climatique et d’autre part, nombreux sont ceux qui veulent faire barrage aux populistes. Tous ceux-là sont susceptibles de voter pour les Verts. »

Le Berlinois Michael Kellner a une double casquette : secrétaire général des Verts allemands et directeur de campagne. (Photo Guillaume Krempp / Rue89 Strasbourg / cc)

Et Michael Kellner de l’admettre : 

« On peut mener la meilleure campagne de la Terre, si les planètes ne sont pas alignées, on aura beau faire, les résultats ne suivront pas. Alors, cette fois, c’est vrai, on est assez chanceux dans cette campagne, et c’est aussi pour ça qu’on y croit ! »

Et mieux vaut y croire, tant le poste de directeur de campagne est contraignant : Michael Kellner a deux enfants, mais voilà plus d’un mois qu’il n’a pas eu l’impression d’être réellement « là pour eux ». Il raconte avec émotion qu’il y a quelques jours, l’un de ses fils lui a demandé si la semaine suivante, il serait plus disponible. À contre-cœur, son père a dû admettre que non…

Quelques fois, il cherche ses enfants (ils ont 8 et 10 ans) à l’école, et ces petites parenthèses lui procurent « un bonheur incommensurable ». Pourtant, arrivé à la maison, il n’est pas rare que Michael Kellner rouvre son ordinateur portable. Car une campagne électorale, c’est aussi une foultitude d’e-mails à traiter, de réunions à caler, d’événements à organiser et de factures à payer.

Pendant la campagne, Michael Kellner regrette de ne pas pouvoir passer plus de temps en famille. (Photo Guillaume Krempp / Rue89 Strasbourg / cc).

Autour du dimanche de Pâques, le 21 avril, il a quand même pu profiter de sa famille pendant quelques jours, en Autriche, pour, explique-t-il encore, « se ressourcer ». Car la période précédant le week-end pascal a été, il le raconte en se tenant la tête entre les mains, des plus ardues. Il a fallu identifier les thématiques prioritaires (œuvrer pour une Europe « écologique », « démocratique » et « sociale »), boucler le programme (197 pages), penser à la logistique et veiller à ce que les adhérents trouvent leur place dans la campagne (la barre des 80 000 membres a été franchie début mai), en les motivant par exemple à faire du porte-à-porte.

Il a aussi fallu choisir le slogan global de la campagne (« Kommt, wir bauen das neue Europa », soit « Viens, nous construisons la nouvelle Europe ») et en inventer d’autres, à décliner en six affiches thématiques. Exemple en photos

Les idées derrière les affiches

Mais dans le monde des Verts, tout n’est pas rose pour autant. En Allemagne comme ailleurs, les écologistes regardent avec anxiété les autres formations politiques marcher sur leur platebandes, bien conscients que la lutte contre le changement climatique n’est plus leur pré carré.

En effet, les partis de gauche, de droite comme du centre ont intégré à leurs programmes des mesures en vue de développer les énergies renouvelables, de sortir du charbon, de parvenir à la neutralité carbone en 2050 ou d’instaurer une taxe sur le kérosène pour les vols en Europe. Mais Michael Kellner refuse de se laisser impressionner : 

« Voir le climat devenir le thème central de cette campagne n’est pas une mauvaise nouvelle en soi. Car à la différence d’un enjeu comme la gestion des flux migratoires, par exemple, où personne n’avait réellement d’expérience, d’idées ou de solutions à apporter, en ce qui concerne le climat, les électeurs savent bien qui sont, depuis toujours, les experts en la matière… Ce sont les Verts ! »

En 2014-2019, la délégation allemande au sein du groupe des Verts / Alliance libre européenne (ALE) au Parlement européen a compté 13 membres. Leur but est de gagner six, sept, voire huit sièges supplémentaires. Et pour atteindre cet objectif, à en croire Michael Kellner, pour l’heure, tous les voyants sont… au vert.


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