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Sacha Liling : faire des eurodéputés « des bêtes médiatiques »

Nombre de candidats aux élections européennes ne veulent rien laisser au hasard – et certainement pas la manière dont ils s’expriment. Or tous ne sont pas de grands orateurs nés. Heureusement, l’éloquence s’apprend, et le consultant média Sacha Liling se fait une joie de prêter main forte aux femmes et aux hommes politiques qui réclament son soutien.

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Sacha Liling : faire des eurodéputés « des bêtes médiatiques »

« Keep it short and simple [Faites court et simple]. » Voilà le conseil que Sacha Liling, consultant média au Parlement européen, prodigue le plus souvent aux candidats aux élections européennes qui font appel à lui pour tenter de se roder médiatiquement. Il en a même fait sa marque de fabrique : sur sa carte de visite, un rossignol aux ailes bleues piquées d’étoiles entonne cette même rengaine.

Sacha Liling aussi est un drôle d’oiseau, lui-même en convient. Celui qui, au Parlement européen, a su se rendre indispensable auprès de 70 eurodéputés sourit :

« C’est vrai que je cultive un brin de folie, mais c’est pour ça que l’on m’apprécie ! Je ne me prends pas complètement au sérieux, mais quand même assez pour que l’on sache que si l’on décide de travailler avec moi, les résultats, c’est certain, seront là. »

Sacha Liling, ici à Strasbourg, s’est imposé comme une figure-phare du Parlement européen. (Photo Carlos Gaston/EP)

Tout au long de la législature qui s’achève, Sacha Liling les a aidés à préparer leurs interventions en plénière, à soigner leur verbe, à maîtriser leur voix (le volume, l’intonation, l’articulation, la vitesse, l’inflexion…), mais aussi à exceller dans la « communication non-verbale ». L’attitude, les gestes, l’expression, la posture, l’expression du visage… et le style, auquel Sacha Liling prête une attention toute particulière car il le répète : « On apparaît, et ensuite seulement, on parle ».

Du sur-mesure

Max Anderson, eurodéputé suédois depuis 2014 qui souhaite briguer un nouveau mandat, fait depuis longtemps confiance à Sacha Liling. Au moins une fois par semaine, il retrouve son mentor pour travailler l’éloquence de l’homme politique.

Le député-candidat Max Anderson compte largement sur Sacha Liling pour l’aider à retrouver son siège dans l’hémicycle après les élections. (Photo Fred Marvaux/EP)

Le coach, ancien journaliste, a pris ses quartiers dans les studios du Parlement européen, à Strasbourg (où les députés passent une semaine par mois) comme à Bruxelles, où il prodigue des conseils personnalisés. Il se targue d’un taux de réussite « de 99% », et explique « ne pas faire du prêt-à-porter, mais du sur-mesure », avec une méthode spécialement conçue pour les acteurs qui évoluent dans la  « bulle européenne ». Début avril par exemple, Max Anderson a donc répété avec Sacha Liling sa minute d’invective à l’attention du Premier ministre suédois :

Sacha Liling conseille Max Anderson (vidéo Céline Shoen / Rue89 Strasbourg)

Du contenu de l’intervention au ton du député jusqu’à sa posture, le duo passe chaque élément au crible, pour que rien ne soit laissé au hasard. L’idée ? Que tout soit sous contrôle, jusqu’au mouvement des mains du Suédois quand il prend la parole :

Le non-verbal est central dans la compréhension du message (vidéo Céline Schoen / Rue89 Strasbourg)

Pour Max Anderson, aucun doute : il y a un « avant » et un « après » sa rencontre avec Sacha Liling : 

« Moi qui ai étudié la rhétorique, je pensais ne pas être trop mauvais en la matière… Mais Sacha me permet vraiment de donner le meilleur moi-même, il me fait évoluer, jour après jour. Avec lui, je me sens en confiance et je sais que je progresse. »

Mi avril, les deux hommes ont aussi peaufiné la dernière intervention de Max Anderson en plénière. S’il est réélu fin mai, d’autres suivront, mais le député-candidat tenait à assurer ses arrières et à prendre la parole pendant une dernière session forte en émotions. Alors il a demandé à Sacha Liling de l’aide pour préparer sa minute de prise de parole : 

Comment être le plus percutant possible en une minute… (vidéo Céline Schoen / Rue89 Strasbourg)

Avec son look toujours soigné, son habile mélange d’humour et de gravité, son air, parfois, de ne pas y toucher alors qu’il énonce à ses élèves leurs quatre vérités, Sacha Liling a réussi à s’imposer comme un personnage central au sein du Parlement européen.

Faire d’eux des bêtes médiatiques

Et tout naturellement, à l’approche du scrutin qui se tiendra du 23 au 26 mai, les eurodéputés qui désirent continuer à travailler à Bruxelles et à Strasbourg pour cinq années supplémentaires troquent les répétitions d’intervention en plénière pour des exercices directement en lien avec la campagne, qu’ils réclament régulièrement à Sacha Liling. 

Il s’agit d’abord de repérer les éléments forts dans un programme pour que les candidats puissent se les approprier et les déclamer avec aisance. Pour parfaire l’exercice, le coach cherche à donner de l’assurance à son client. La confiance leur permet d’apparaître sous leur meilleur jour pendant la campagne et les aide à soigner leur répartie – une compétence particulièrement utile, pendant les débats notamment.

Sacha Liling en a conscience, il est devenu une soutien indispensable pour bon nombre de candidats :

« Je reste disponible tout le temps. Et il n’est pas rare qu’un candidat m’appelle à 6 heures du matin juste avant une interview, s’il est invité à la radio par exemple. Mon job, c’est aussi de décrocher mon téléphone à ce moment-là pour une petite piqûre de rappel, pour le booster ou de le rassurer, selon ce dont il a besoin à cet instant précis. »

Dans son antre, au Parlement européen à Strasbourg, Sacha Liling a une vue d’exception sur l’hémicycle. (Photo Carlos Gaston/EP)

Il ne le cache pas : parfois, il a « besoin d’air ». Une longue promenade dans la campagne belge avec son chien ou une pause lecture (il a un faible pour les biographies) lui font le plus grand bien. Car Sacha Liling, qui travaille avec des candidats de tous bords politiques, aux expériences et aux parcours variés, flirte souvent avec le surmenage. Malgré tout, il reste disponible pour ses clients, et s’ils sont nombreux à lui faire confiance, c’est, pense-t-il, car il connait très bien les rouages du Parlement européen – et des institutions en général, puisqu’il a également travaillé en tant que producteur à la Commission européenne. Son franc-parler plaît aussi à bon nombre d’hommes et de femmes politiques. Et Sacha Liling de l’admettre : 

« Je n’ai pas ma langue dans la poche, mais pour faire mon métier, c’est un pré-requis. Je ne vais pas dire à un politicien “wahou, vous êtes super !”, alors que sa prestation est médiocre. Ce serait contre-productif, et moi, je ne suis là pour lécher les bottes de personne. Je suis là pour faire d’eux des bêtes médiatiques. »

On ne s’adresse pas aux Danois comme aux Espagnols…

Autre atout de ce Français né en 1963 à Reims, qui a aussi « coaché » Josep Borrell Fontelles, ex-président du Parlement européen de 2004 à 2007 ? Il parle 12 langues. Le féru de voyages  (Sacha Liling passe rarement ses week-ends à Bruxelles) insiste : au-delà de l’aspect linguistique per se, cela lui permet surtout d’appréhender et de comprendre 12 cultures différentes, aux codes divers et variés. Le polyglotte détaille : 

« Quand un candidat aux européennes doit s’adresser à la presse danoise, ce n’est pas la même chose qu’avec un journaliste espagnol, par exemple. Il y a des différences culturelles à prendre en compte auxquelles je rends attentif mes clients, pour leur permettre de naviguer correctement entre les médias. »

Et même quand il ne maîtrise pas l’une ou l’autre langue (il travaille par exemple avec un candidat letton, mais ne parle pas sa langue), il réclame à ses élèves de s’exprimer dans leur langue naturelle. Cela ne l’empêche pas de repérer – et de corriger – les tics de langage, les problèmes dans l’expression, l’attitude, en bref, de voir s’ils appliquent bel et bien sa méthode. Ainsi, en portant une attention quasi-excessive aux détails, Sacha Liling parvient à « façonner » les candidats pour qu’ils réussissent à tirer leur épingle du jeu. Dans le cas de Max Anderson, le professionnel l’admet sans ciller :

« Quand je l’ai rencontré, Max était une caricature de Vert, pas très à l’aise et mal fagoté ! Aujourd’hui, il s’exprime mieux, son style colle avec sa personne, et donc son message est plus audible. Pour des eurodéputés élus ou qui veulent l’être, c’est déjà un pas important de reconnaître que dans leur expression, il peut y avoir un déficit. De la même manière que parfois, on a besoin d’un bon thérapeute ou d’un plombier pour réparer son évier, ils peuvent venir me voir. Cela relève de l’humilité et de l’intelligence. »

Sacha Liling a su construire une vraie relation de confiance avec le député-candidat suédois Max Anderson. (Photo Carlos Gaston/EP)

Après chaque entraînement, Sacha Liling remplit une fiche d’évaluation, qui revient sur la prestation de son élève. « Suis-je resté sur le mode conversationnel ? », « ai-je informé? », « ai-je été compréhensible et complet ? », « ai-je diverti ? », « ai-je été concis ? » : voilà autant de questions auxquelles il s’efforce de répondre après chaque rendez-vous, pour suivre au mieux la progression de ses apprenants. Et en bas de page, cette question centrale : « Ai-je mérité d’être cité ? » Car en campagne, voir ses messages repris par la presse est un objectif prioritaire des candidats, qui ont besoin de se faire connaître. Pendant une réunion publique (l’exercice est moins ardu) ou un débat télévisé, ils doivent également briller. Et là encore, ils peuvent compter sur Sacha Liling pour leur donner les bons outils : 

« Prenons l’exemple d’un débat télévisé avant les européennes. Le candidat ne sait jamais quand le journaliste va l’interrompre ou quand son opposant va intervenir. Il a donc tout intérêt à affuter ses arguments et à avoir préparé un stock de métaphores et d’exemples. Il n’a que les premières quinze secondes de son intervention pour accrocher son auditoire. Mon job, dans un premier temps, c’est de travailler les messages du candidat et de faire en sorte qu’il les maîtrise au mieux. »

Rhétorique de fachos

Qui plus est, selon le coach, les eurodéputés candidats à leur réélection peuvent réutiliser tout ce qu’il ont appris en vue de leurs interventions en plénière pendant la campagne, puisque la « construction du message intentionnel est exactement la même » pendant un débat électoral : 

« Quand un journaliste pose une question à un candidat, ce dernier ne doit jamais éluder. Il doit toujours répondre. Mais dès que possible, il doit se raccrocher à la structure logique qu’il connaît et faire passer son message. Quelque soit le thème, il s’agit d’abord de donner les faits. Puis de sensibiliser son audience, souvent grâce à un exemple bien trouvé. Puis vient la phase de la responsabilisation (« moi, candidat, je propose de… ») et de l’appel à l’action. Les dictateurs, les fachos, eux, passent directement des faits à l’appel à l’action, du style : « Les immigrés, c’est pas bien, il faut les jeter à la mer. » J’exagère, mais à peine. »

Sacha Liling sait mieux que personne comment construire un message audible. (Photo Carlos Gaston/EP)

Pour Sacha Liling, né d’une mère française et d’un père hongrois, qui se définit comme un « tutti frutti », un « agglomérat de plein de choses », « l’Europe, c’est le seul chemin pour avancer ». Il n’a eu qu’un seul client qui défendait des idées d’extrême-droite, mais l’expérience n’a pas duré.  Et Sacha Liling d’en convenir : 

« Les populistes ont généralement un discours très aiguisé, ce ne sont pas de mauvais tribuns. Mais leurs discours ne reposent que sur la peur. Et par les temps qui courent, c’est facile de faire peur. Même s’ils multiplient les raccourcis, il faut reconnaître leur talent d’orateurs puisqu’ils marquent des points. Puissent-ils seulement ne pas remporter la bataille le 26 mai… » 


#élections européennes 2019

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