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Municipales : le féminisme, une « grande cause » bien maltraitée pendant la campagne

« Grande cause du quinquennat » pour Emmanuel Macron, l’égalité femmes-hommes est surtout la grande oubliée de la campagne pour les élections municipales à Strasbourg.

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Municipales : le féminisme, une « grande cause » bien maltraitée pendant la campagne

C’est un paragraphe dédié dans le programme du premier tour d’Alain Fontanel (LREM), un dans celui du second tour de Jeanne Barseghian (EELV), et… une proposition, pour la lutte contre la précarité menstruelle, dans celui de Catherine Trautmann (PS). Les questions d’égalité de genre et de féminisme donnent un sentiment de « service minimum » dans la campagne des élections municipales, selon Ursula Le Menn, porte-parole de la branche strasbourgeoise d’Osez Le Féminisme ! :

« Après des mouvements comme #MeToo, tous les politiques ont été contraints de s’emparer de la lutte contre le sexisme. Se positionner contre les violences faites aux femmes, ça paraît évident aujourd’hui. Mais on craint que ça ne reste qu’une posture. »

Des ambitions en 2014 mais…

Dans la politique strasbourgeoise, les mots du féminisme ont infusé depuis longtemps. En 2014, quelques mois avant la promulgation d’une loi obligeant les collectivités territoriales à œuvrer en ce sens, Roland Ries promettait déjà de « faire de l’égalité femmes-hommes une égalité réelle ». Et se félicitait de la création, à l’occasion de sa victoire en 2008, d’une délégation d’adjoint aux droits des femmes et à l’égalité de genre.

Oui, mais voilà : entre-temps, la personne chargée de cette mission a démissionné en 2016. Mine Günbay, qui a depuis co-écrit « Le féminisme pour les null.e.s » (First, 2019), avait alors dénoncé son éloignement progressif « d’un certain nombre d’espaces de décisions et d’échanges », et affirmé que l’égalité était vue par la mairie comme « une variable d’ajustement au moment des élections ». Au téléphone, celle qui soutient aujourd’hui Jeanne Barseghian souligne qu’Alain Fontanel « séchait » les colloques contre les violences faites aux femmes, que sa délégation organisait chaque année. « Sa présence en tant que premier adjoint était évidemment attendue », ajoute-t-elle.

La démission de Mine Günbay, un mauvais souvenir

Pour les féministes impliquées dans la politique locale, cet épisode est resté dans les esprits. Elise Marsicano, sociologue à l’Université de Strasbourg et spécialiste des discriminations, témoigne ainsi :

« Je venais d’arriver à Strasbourg et la démission de Mine Günbay m’a rendue pessimiste face à la rhétorique égalitaire dont avait usé l’équipe municipale pendant sa campagne. Parmi les associations et les universitaires avec lesquels j’échangeais alors – dont SOS Homophobie et La Nouvelle Lune -, il y avait beaucoup de désillusion et de colère. »

Aujourd’hui, les attentes de cette chercheuse portent notamment sur la formation des personnels de l’Eurométropole aux questions d’égalité, l’analyse des budgets municipaux par le prisme de l’égalité de genre, et sur la construction d’un foyer dédié aux femmes victimes de violences conjugales. Des revendications qu’elle a pu faire entendre au cours des ateliers de programme de la liste « Strasbourg écologiste et citoyenne », auxquels elle a participé l’hiver dernier.

Quant à Françoise Bey, qui a succédé à Mine Günbay aux droits des femmes, elle a choisi de soutenir Catherine Trautmann :

« Depuis que j’ai repris le poste en 2016, j’ai, moi aussi, été confrontée au manque de sensibilisation de certains collègues sur les questions féministes. On a du mal à faire bouger la maison, mais je suis convaincue que cela peut changer. C’est pourquoi j’ai proposé à Catherine Trautmann un programme de formation des élus contre le sexisme – et j’espère qu’il verra le jour, que je conserve mon poste ou non. »

« On peut déjà se réjouir d’avoir deux femmes têtes de listes au second tour »

Pour Chloé Bourguignon, responsable syndicale à l’Unsa-Grand Est militante féministe, « on peut déjà se réjouir d’avoir deux femmes têtes de listes au second tour ». L’écriture inclusive du programme de Jeanne Barseghian la touche : « c’est un truc tout bête, mais ça m’aide à me sentir mieux représentée. La forme est importante. » Pour elle :

« Les propositions de la candidate EELV sont précises et chiffrées : triplement du budget alloué à la mission pour l’égalité et les droits des femmes, 50 places d’hébergement supplémentaires pour les femmes victimes de violences… Ça me rassure, parce que je me dis que c’est réfléchi. »

Au premier tour, Alain Fontanel proposait lui aussi « une augmentation des capacités d’accueil d’urgence des femmes victimes de violences et de leurs enfants », mais sans la quantifier. Son programme pour le second tour prévoit d’afficher l’engagement de son équipe, via une charte d’exemplarité, de refuser de participer à des débats ou manifestations publiques si aucune femme n’est invitée à intervenir, la signature de la charte du mouvement du Nid contre le système prostitutionnel et l’intégration dans le brevet de citoyenneté des cours de sensibilisation au consentement.

(Photo Visual Hunt / cc)

Déceptions de la société civile concernée

Plusieurs organismes strasbourgeois ont sondé les prétendants à la mairie sur leurs engagements en faveur de l’égalité. Ainsi l’association Wo’men Entrepreneurs a tenté de mobiliser les têtes de listes en mars, comme le rappelle sa présidente, Najat El Khallouqi Bensaci :

« Beaucoup d’élus voient encore le féminisme comme une série de solutions curatives à des déséquilibres dans la société. Ils cantonnent le féminisme à un portefeuille mais aucun n’envisage cette thématique comme transversale. »

Najat El Khallouqi Bensaci voyait pourtant dans cette campagne un rendez-vous pour faire progresser l’équité de genre :

« Après les mouvements #metoo et #balancetonporc, c’était le moment de porter politiquement des propositions fortes. On n’en a pas décelé, tout juste Jeanne Barseghian propose un “gender budgeting” (questionner les budgets par le prisme du genre, ndlr). Même Catherine Trautmann nous a déçus, elle qui a pourtant si souvent souffert du sexisme et de la misogynie. Elle aurait pu, après les affaires de la MDAS et de Mathieu Cahn, en profiter pour proposer une nouvelle manière de faire de la politique… »

La Station, centre de ressource LGBT de Strasbourg, a également soumis un questionnaire aux candidats. Tous ont affirmé la nécessité de mieux agir contre le sexisme mais quand on rentre dans le détail, c’est plus compliqué.

Une soixantaine d’associations, dont la Ligue des droits de l’homme, Greenpeace ou encore Alternatiba sont à l’origine d’un « Pacte pour la transition » présenté aux têtes de listes. Celui-ci leur proposait de s’engager, entre autres, pour « l’accès et l’aménagement d’un espace public non discriminant, assurant l’usage de tous et toutes, y compris des personnes les plus vulnérables » et de détailler leur degré de volonté politique en ce sens. Tandis que Catherine Trautmann et Jeanne Barseghian cochaient le niveau le plus élevé, Alain Fontanel ne s’engageait qu’à hauteur d’une case sur trois.


#élections municipales 2020

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