Lundi 9 décembre sur le stand d’Alsace Syrie, place Kléber juste à côté du grand sapin du Marché de Noël de Strasbourg, Nazih Kussaibi vend des pâtisseries arabes et propose du thé à la menthe au bénéfice de l’association qu’il préside depuis plus de dix ans, Alsace Syrie. Mais lundi, son sourire à moustache légendaire est plus marqué qu’à l’accoutumée. Il a vécu la veille un événement qu’il attendait depuis plus de quarante ans : la fin de la dictature de la dynastie Assad en Syrie.
Rue89 Strasbourg : Des forces rebelles ont pris le contrôle des principales villes syriennes en quelques jours. Quel est votre sentiment après la fuite de Bachar al-Assad en Russie, avez-vous été surpris ?
Nazih Kussaibi : J’ai été surpris, comme tout le monde. Quand l’offensive des rebelles a débuté, je ne pensais pas que l’armée du régime s’effondrerait aussi vite. J’ai suivi chaque minute la progression des rebelles, en m’informant à partir des éléments publiés sur les réseaux sociaux, les médias et ce que me transmettaient ma famille et mes amis sur place. Particulièrement, je voulais savoir quand les rebelles arriveraient à Homs où habite ma famille. Ils y sont arrivés dimanche presqu’en même temps qu’à Damas !
« Il n’y a presque pas eu de combats, c’est inespéré ! »
Nazih Kussaibi
C’est extraordinaire ! Et surtout, il n’y a presque pas eu de combats, c’est inespéré. Je suis si heureux. La Syrie a tellement souffert de ce régime : un million de tués et de disparus, des centaines de milliers de prisonniers, douze millions d’exilés soit la moitié de la population…
Les rebelles sont présentés comme menés par des djihadistes. Craignez-vous l’établissement d’une dictature religieuse ?
Il y a un dicton en Syrie : « À choisir entre Assad et le diable, nous choisissons le diable. » C’est vrai que le Hayat Tahrir Al-Cham (HTC, qui a dirigé les rebelles, NDLR) a eu un engagement djihadiste mais ses discours ont changé. Je veux y croire. Je suis plein d’espoir. Des assurances ont été données aux minorités religieuses et ethniques. Par exemple, un cardinal catholique a été nommé préfet d’Alep par les rebelles pour la période de transition, c’est un très bon signal. Al-Joulani (le fondateur du HTC, NDLR), je ne l’aime pas beaucoup mais il a demandé qu’il n’y ait pas d’actes de vengeance sur les Alaouites (l’ethnie sur laquelle s’appuyait le clan Assad, NDLR), il faut le croire.
Quels sont vos espoirs pour les jours à venir ?
La Syrie est une mosaïque de peuples, personne ne peut gouverner seul. J’espère qu’un nouveau régime va se mettre en place sans heurt. J’espère que les membres de l’ancien régime qui ont du sang sur les mains seront jugés, soit par la Cour pénale internationale, soit en Syrie, et à commencer par le premier d’entre eux, c’est à dire Bachar Al-Assad.
Et puis surtout j’espère pouvoir me rendre très vite à Homs. Mon frère est gravement malade et je ne l’ai pas vu depuis 2011. Puisque j’ai manifesté contre le régime, j’aurais été arrêté si j’y étais retourné. Cela fait plus de dix ans que je n’ai pas vu ma famille.
Pour la suite, je vais évidemment être très attentif à l’installation du nouveau gouvernement et s’il y a de nouvelles atteintes aux droits de l’Homme, s’il y a de nouvelles persécutions, eh bien je reprendrai les manifestations…
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