Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

À Obernai, un plan vélo incohérent dans une ville pensée pour la voiture

La municipalité d’Obernai a investi huit millions d’euros dans un plan vélo lancé en 2020. Tardif, cet investissement montre déjà ses limites dans une commune qui continue d’être pensée avant tout pour les automobilistes.

Diaporamas

Cet article est en accès libre. Pour soutenir Rue89 Strasbourg, abonnez-vous.

À Obernai, un plan vélo incohérent dans une ville pensée pour la voiture

Au centre-ville d’Obernai, les cyclistes sont rares sur les pavés de la vieille ville. Les piétons doivent se faire tout petits pour franchir certains trottoirs étroits. Ce lundi 10 octobre, en début d’après-midi, une dame âgée avance d’un pas mal assuré avec sa canne, presque collée au mur. Ici, la voiture accapare l’espace. Environ 4 400 véhicules circulent chaque jour dans le centre-ville. L’automobile prend aussi de la place en stationnant, au bord de la voie, sur des parkings, parfois à côté d’un vieux carrousel, au milieu de restaurants et autres commerces. Autant dire qu’en termes de politique vélo, Obernai part de loin.

Un plan vélo, 4 km de pistes pour 8,8 millions d’euros

Pour observer les premiers effets du plan vélo voté par la municipalité d’Obernai en 2020, il faut se diriger vers la sortie de la ville. Joint par téléphone, le maire Bernard Fischer, ne tarit pas d’éloges à l’égard du projet municipal de quatre kilomètres de pistes cyclables à 8,8 millions d’euros. D’ici 2024, la commune sera ainsi dotée de plus de huit kilomètres de pistes cyclables en site propre.

Aux manettes de la commune de 12 000 habitants depuis 2001, l’ancien membre du parti Les Républicains (LR), aujourd’hui divers droite, se félicite tout d’abord des chantiers en cours au niveau des routes départementales D422 et D426. Des pistes cyclables séparées de la voie automobile et du trottoir sont en cours de construction.

Pourtant, en 2017, les deux départementales avaient connu des travaux et la loi Laure du 30 décembre 1996 imposait déjà l’installation de bandes cyclables pour toute route en chantier ou en création. « Il y a eu une accentuation de la prise de conscience ces dernières années. Nous n’aurions pas été prêts en 2017 », justifie le maire.

Les axes d’entrée privilégiés, des rues oubliées

Tout en reconnaissant l’effort financier et l’utilité de ces pistes cyclables, Patrick Viry, président de l’association Vélobernai, pose la question du coût de ces infrastructures :

« Des pistes cyclables très chères sont construites sur des axes qui n’étaient pas prioritaires. Sur la D426, la piste s’arrête au bout d’Obernai. Si on continue tout droit on arrive à l’échangeur autoroutier. Avec les départementales en deux fois deux voies, il aurait suffit d’installer des séparateurs pour avoir des pistes presque gratuites. Ça aurait permis d’investir pour des infrastructures à d’autres endroits. »

Située à cinq minutes à bicyclette du cœur de la ville, la rue des Bonne-Gens ainsi que la rue de la Victoire sont toutes deux exclues du plan vélo. « C’est l’axe principal Est-Ouest de la ville, sans possibilité d’évitement, avec un trafic intense », décrit un document de l’association Vélobernai, une analyse de 40 pages du plan vélo de la commune. Sur place, ces deux rues n’offrent aucune piste cyclable, aucun marquage au sol et les automobilistes dépassent régulièrement la limite autorisée.

Rue de la Victoire, le trottoir d’un côté est si étroit qu’un panneau enjoint les piétons à traverser. « La largeur de la rue de la Victoire empêche toute piste cyclable », estime le maire de la commune. Bernard Fischer avance aussi que la rue se situe dans une zone à 30 km/h, qui permet une « circulation apaisée ». Concernant la rue des Bonnes gens, il estime qu’elle sera intégrée dans le prochain plan vélo, de 2025 à 2028.

« Un centre-ville oublié »

Le bilan de l’association Vél’Obernai évoque aussi « un centre-ville oublié » alors que « les rues sont étroites et une grande partie de l’espace est stérilisé par le stationnement ». Au cœur d’Obernai en effet, la voiture semble reine, malgré les dénégations du maire de la commune. Certains trottoirs ne permettent même pas à une seule personne de circuler. D’autres sont impraticables aux poussettes ou aux déambulateurs. À ces mêmes endroits, les voitures disposent d’une large voie de circulation et de places de stationnement… alors que les bâtiments historiques et patrimoniaux affleurent partout.

De même, les zones limitées à 30 km/h n’ont pas la signalétique obligatoire indiquant l’autorisation de circuler dans les deux sens pour les cyclistes. « Depuis 2017, nous l’avons signalé plusieurs fois au maire. Mais sa réponse est toujours la même, il ne veut pas les mettre en place et il a été impossible d’obtenir plus d’explications », indique l’analyse de l’association Vél’Obernai.

Une ville toujours organisée autour de la voiture

Comment rattraper ce retard alors que la ville continue de se construire pour les automobilistes, y compris dans les projets privés. Au bout de l’avenue du Général Leclerc, à la sortie d’Obernai, un supermarché « Fresh » a ouvert récemment, ainsi que son parking d’une cinquantaine de places… contre six places pour garer son vélo. La zone d’activité en chantier tout autour comprend aussi une aire de parking supplémentaire, surmontée d’un toit de panneaux solaires. De même, la rue de Bernardswiller a été refaite en 2019 mais sans y intégrer de pistes cyclables…

Patrick Viry regrette aussi la construction de deux parkings supplémentaires au centre-ville d’Obernai. Un silo à voitures de 212 places doit ouvrir le 7 novembre selon le maire de la ville. Et juste à côté, 265 places de parking en sous-sol sont en cours de construction. « C’est autant de voitures qui circuleront en plus dans le centre-ville. Pour un centre historique d’une petite ville médiévale, c’est énorme, souffle le président de l’association Vélobernai, ces parkings auraient dû être placés aux entrées de la ville, pas au coeur. » 

Un objectif sans indicateur clair et des promesses

Interrogée sur ces différentes critiques, Bernard Fischer se défend : « Je ne vais pas chasser des gens par dogme parce qu’ils ont une voiture ! » Le maire promet un plan de réfection des voiries du centre-ville pour élargir les trottoirs et enlever des places de stationnement : « En 2023/2024, ce sera un segment de la rue de Sélestat qui sera refait et les cyclistes auront des couloirs spécifiques avec marquage au sol. » Il promet aussi d’indiquer le double-sens de circulation autorisé dans les zones limitées à 30 km/h, « tout sera fait entre janvier et mars 2023 ». L’élu justifie la construction des parkings au cœur de la commune « pour enlever 35 places de stationnement » et « pour créer deux couloirs pour cyclistes avec pictogrammes au sol ».

Questionné sur la date à laquelle ces décisions ont été prises, le maire évoque le besoin d’une « très large concertation sur ces aspects réglementaires à mettre en place pour la sécurité. » Ces mesures seront seulement présentées en commission urbanisme et environnement « prochainement » avec pour objectif une « mise en place début 2023 ».

Concernant les objectifs et autres indicateurs permettant de faire le bilan du plan vélo, Bernard Fisher reste plus flou. Certes, l’intention est « d’augmenter la part modale du vélo » mais le maire d’Obernai admet qu’il n’a aucun chiffre sur le nombre d’habitants d’Obernai qui utilisent leur bicyclette tous les jours : « On va mettre en place des compteurs sur les pistes cyclables. On en saura plus dans dix ans. »


#obernai

Activez les notifications pour être alerté des nouveaux articles publiés en lien avec ce sujet.

Voir tous les articles
Plus d'options