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Parents d’élèves et enseignants alertent sur le manque « systémique » de remplaçants dans le Bas-Rhin

Le Collectif Éducation 67 a pris la parole au sujet des enseignants non remplacés, lors d’une conférence de presse organisée ce vendredi 26 mai. Le bilan est plus qu’alarmiste : il faudrait 50% de remplaçants en plus dans le Bas-Rhin.

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Parents d’élèves et enseignants alertent sur le manque « systémique » de remplaçants dans le Bas-Rhin

Ils sont sept – cinq enseignants, deux parents d’élèves – assis dos à une énorme banderole blanche, où l’on peut lire écrit en grosses lettres noires et rouges : « Stop aux absences non remplacées des enseignant.e.s ». Les membres du Collectif éducation 67 ont organisé une conférence de presse, ce vendredi 26 mai, pour informer sur la situation qu’il juge alarmiste des non-remplacements d’enseignants dans l’Éducation nationale.

Original dans sa structure, ce collectif rassemble à la fois des représentants des syndicats d’enseignants, mais aussi une petite dizaine d’associations de parents d’élèves. « Nous travaillons ensemble sur cette question qui nous concerne tous : l’éducation de nos enfants », martèle Pierre Friedelmeyer de la FSU-SNUipp67.

Agathe Konieczka et Pierre Friedelmeyer (FSU-SNUipp 67) et Yannick Lefébure (SNUDI-FO 67) sont membres du Collectif éducation 67 qui compte au total une dizaine de syndicats d’enseignants, et une dizaine d’associations de parents d’élèves. (Photo MdC / Rue89 Strasbourg).

Culpabilité de l’enseignant absent

Les parents qui lisent ces lignes le savent : un enseignant non remplacé impacte toute la famille. De l’enfant qui va se retrouver balloté d’une classe à l’autre, au parent à qui l’école demande gentiment de garder – « si possible » – son enfant à la maison, pour ne pas surcharger les classes des autres enseignants.

Les enseignants connaissent bien, eux aussi, les répercussions de ces absences, affirme Yannick Lefébure, directeur d’école et secrétaire départemental du syndicat SNUDI-FO67 :

« Pour l’instant, le système tient, comme à l’hôpital. Parce que les enseignants savent que leur métier est important, ils vont jusqu’au bout. Et lorsqu’ils finissent par craquer et qu’ils s’arrêtent, ils portent une culpabilité, ils se disent : ”Je m’arrête, je laisse ma classe sans rien.” Nous avons notre conscience professionnelle. »

Pourtant, le Collectif éducation 67 insiste : il n’y a pas un nombre d’absents si élevé, chez les enseignants du premier degré dans l’Académie de Strasbourg. D’après les données 2020 – 2021, moins d’un enseignant sur deux a été en arrêt maladie ordinaire depuis 4 ans. Et pour une majorité d’entre eux (41,3% en 2020) il s’agit d’un congé maladie ordinaire (seulement 1,3% de congé long).

Enseignants comme parents d’élèves ont donc du mal à comprendre comment ces absences peuvent ne pas être remplacées. Surtout lorsqu’elles sont prévisibles, comme les congés maternité, paternité ou d’adoption.

Lorsque des enseignants sont absents et non remplacés, les directeurs d’école demandent souvent aux parents de garder leur enfant à l’école, « pour ne pas surcharger les autres classes ». (Photo PF / Rue89 Strasbourg).

« Nous ne savons jamais si le remplaçant du remplaçant sera présent »

D’emblée, Emmanuelle Artiguebieille de l’APEPA (Association des parents d’élèves de l’enseignement public en Alsace) prévient le collectif ne cible pas les enseignants eux mêmes :

« Nous ne mettons pas la pression sur les enseignants absents. Nous ne sommes pas dans une vindicte contre eux ! Le problème est systémique. Nous avons simplement des témoignages de parents, très souvent des femmes, pour qui ces absences non remplacées ont des conséquences importantes. Il faut que ça cesse. »

Les témoignages dont parle la représentante de l’association ont été reçus dans le cadre l’opération « QR Code », lancée en décembre 2021 par le Collectif éducation 67. Le but était de permettre aux parents d’envoyer un mail d’alerte au recteur, au DASEN (Directeur académique des services de l’éducation nationale) mais aussi aux élus, dès qu’un enseignant n’est pas remplacé.

Depuis le 27 février 2023, 99 alertes ont été envoyées, accompagnées de plusieurs témoignages édifiants, lus par le syndicaliste Pierre Friedelmeyer (FNU-SNUipp67) lors de la conférence :

« Témoignage 1 : L’absence de l’enseignante de mon fils, en CM2, va durer six semaines. Elle était prévue et anticipée. Mais rien n’a été organisé. Comment est-ce possible ?

Témoignage 2 : Ma fille est en section bilingue et ses deux enseignants sont absents. On nous dit qu’il va y avoir des remplaçants, mais le jour J : personne. On les case dans des classes où on leur demande de ne pas déranger. On les met au fond, avec un livre. Ma fille n’est pas allée en cours depuis un mois.

Témoignage 3 : J’ai dû démissionner à cause des absences non remplacées des enseignants de mes enfants. Nous ne savons jamais si le remplaçant du remplaçant sera là. »

Son collègue, Yannick Lefébure de FO reprend la parole et enchaîne d’un, ton vindicatif :

« L’institution ment aux familles, ment aux enfants ! Non, il n’y a pas de continuité de service public dans ces cas-là. Et faire peser cette culpabilité sur les familles, à qui on demande de garder les enfants à la maison, sous prétexte de perturber les autres classes, ça n’est pas possible. Oui, c’est sûr que pour les collègues qui se retrouvent avec des enfants en plus, c’est compliqué, mais alors quelle est la solution ? Il faut des moyens supplémentaires, c’est tout. »

Des effectifs de remplaçants qui fondent depuis l’ère Sarkozy

À présent, le Collectif éducation 67 se donne pour objectif d’alerter sur les chiffres dérisoires des remplacements dans l’Académie de Strasbourg.

Aujourd’hui, ils sont 411 remplaçants sur le Bas-Rhin en 2022/2023, pour 5 850 enseignants, répartis dans 748 écoles (soit 1 remplaçant pour un peu plus de 14 enseignants). « Ce qui fait à peine un remplaçant pour deux écoles ! C’est largement insuffisant », lâche Agathe Konieczka, du syndicat FSU-SNUipp67. Pour l’enseignante, elle-même remplaçante, la situation devient dramatique : « Il faudrait un remplaçant pour dix enseignants, soit 200 de plus qu’aujourd’hui. »

Tous les représentants syndicaux, là encore, sont unanimes : le souci date de l’ère Sarkozy, où la décision a été prise de supprimer des postes dans l’Éducation nationale. Et depuis, les effectifs de remplaçants ne cessent de fondre. « Sous Sarkozy, on a fermé plus de 100 postes! » martèle Didier Charrié, enseignant depuis 1989 et représentant de l’UNSA. « Ce sont ces postes là qui nous manque aujourd’hui ! » Dans le Bas-Rhin, les postes de remplaçants diminuent chaque année un peu plus : ils étaient 416 en 2020, 414 en 2021, 411 en 2022.

Lorsque les enseignants ne sont pas remplacés, les classes sont vides. Et les élèves peuvent se retrouver éparpillés dans d’autres classes. (Photo PF / Rue89 Strasbourg).

Une appli déléguée à une entreprise privée pour gérer les remplacements

L’autre combat des syndicats, c’est la lutte contre l’arrivée sur le département d’une application informatique censée gérer les remplacements. L’application Andjaro, déjà testée dans quelques départements dans le Lot et dans la Somme depuis mai 2021, a donc débarquée dans le Bas-Rhin depuis mai. Agathe Konieczka (FSU-SNUipp67) raconte son désarroi :

« Jusqu’ici, tout passait par la secrétaire de circonscription, qui connaît les remplaçants, leurs particularités, qui a ses enfants à déposer avant d’aller à l’école, qui est mobile, qui peut aller dans tel secteur etc. Il y a un lien humain, entre celui qui donne un ordre, et celui qui réceptionne, qui peut faire état de ses peurs, ses choix, ses réalités. Avec cette appli, il n’y a plus d’humain. Le remplaçant reçoit son ordre de mission par mail. Il ne peut rien répondre, ni contester. »

L’argument avancé par l’Éducation nationale serait « organisationnel », et permettrait « d’améliorer la gestion des remplaçants ». Yannick Lefébure s’insurge contre l’argument  : 

« On nous fait le même coup qu’à l’hôpital : c’est juste mal organisé ! Donc on réorganise, et là, l’argent public va à une société privée et non à l’école publique ! On a d’ailleurs essayé de savoir combien ça coûtait, et le Rectorat ne veut pas nous répondre là-dessus. »

« Un discours lénifiant, insupportable, des institutions »

Pour les représentants des parents d’élèves présents, c’est la réponse des institutions qui semble exaspérer le plus. Emmanuelle Artiguebieille dénonce un « discours lénifiant insupportable » et la « cécité totale des institutions. » Pour cette maman, les absences mènent à une « course à l’échalote » entre les parents, qui tentent de défendre chacun leur établissement.

« En fonction des problèmes dans telle ou telle école, des collectifs se montent, ils font des actions, des grèves, font venir la presse. Et hop, le rectorat nomme un remplaçant pour calmer la colère. Le collectif est content. Mais en fait, le remplaçant qu’on a pris pour venir à l’école de la Musau par exemple l’an dernier, et bien on l’a pris au Neufeld ! C’est délirant comme système. »

Parents d’élèves comme enseignants semblent ne plus attendre grand chose de la part de l’État. Et s’interrogent sur les modalités de la rentrée 2023, que le ministre Pap Ndiaye a pourtant promis « meilleure que celle de 2022 ».


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