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« Au parloir, les surveillants traitent les familles comme les détenus : on est tous des moins que rien »

« Parole aux taulards » – Épisode 3. Lieu de retrouvailles, le parloir reste éprouvant. Certains prisonniers parlent de fouilles systématiques humiliantes. Leurs proches décrivent le manque de respect récurrent de certains surveillants, dans un lieu exigu et sans intimité, où les enfants n’ont pas leur place.

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« Au parloir, les surveillants traitent les familles comme les détenus : on est tous des moins que rien »

« Il n’y a pas eu une fois où je n’ai pas été fouillé, se plaint Achraf (tous les prénoms des détenus ont été modifiés), les surveillants te mettent tout nu, te demandent de faire des flexions et de tousser. Mais chez moi ils n’ont jamais rien trouvé… » Lorsqu’il est question de parloir avec les détenus de la prison de Strasbourg, c’est le premier sujet abordé : les fouilles systématiques et cette humiliation par la nudité imposée et l’observation, jusqu’à l’anus du prisonnier, pour trouver du stupéfiant ou tout autre objet interdit en détention. Mais au-delà de la honte, il y a le temps perdu. Lorsque la fouille a lieu avant le parloir, ce sont de précieuses minutes qui ne sont pas passées avec une compagne, une mère ou un père. Achraf s’en plaint : « Moi, je n’ai qu’un parloir par semaine. À chaque fois je suis fouillé avant, du coup mon parloir passe de 45 à 30 minutes… »

Le parloir n’a pas été ouvert lors de la visite parlementaire du sénateur écologiste Jacques Fernique. Photo : Abdesslam Mirdass

« Je ne peux pas voir mes deux enfants »

« La plupart du temps, on a juste une palpation. Ce sont souvent les mêmes qui sont fouillés », commente Jacques, en détention à Strasbourg, pour qui le problème est ailleurs puisqu’il n’est jamais fouillé avant ou après le parloir. Mais depuis plusieurs années, le détenu ne peut pas voir ses deux enfants en même temps. Il explique :

« Mes enfants sont placés en famille d’accueil. Le juge a demandé des parloirs dans des salles aménagées pour les enfants, afin qu’ils puissent venir à plusieurs car les autres parloirs sont trop petits. Mais depuis la pandémie, ces salles ne sont plus ouvertes. Je ne peux pas voir mes deux enfants en même temps, chacun est toujours accompagné d’un éducateur. »

Kader s’estime chanceux, il n’a été fouillé qu’une seule fois après le parloir. Mais le jeune détenu raconte une autre humiliation, plus insidieuse :

« Mon père, ma mère et ma sœur me l’ont dit : au parloir, les surveillants traitent les familles comme les détenus. Ils les tutoient et leur parlent en criant limite : ”Avancez ! Dépêchez-vous !”. Sous prétexte qu’on a fait une connerie, on est tous des moins que rien, famille compris… »

« Ça m’a toujours donné l’impression qu’on était un troupeau »

« Mère d’adoption » d’un ancien détenu de la maison d’arrêt de Strasbourg, Claudia décrit aussi le parloir comme une épreuve, même si elle n’accuse pas les surveillants : « C’est sûr que certains gardiens sont très froids. Mais je suis aussi tombée sur des personnes sympas. » Pour cette habitante de Brumath, c’est le fonctionnement même du parloir qui est dégradant :

« On doit se présenter 45 minutes avant l’heure du rendez-vous pris sur internet. Puis on est appelé au mégaphone avec le nom de famille du détenu à qui l’on rend visite. Ça m’a toujours donné l’impression qu’on était un troupeau de moutons qu’on allait enfermer dans une cave. »

Anna (le prénom a été modifié) a rendu visite à son mari à plusieurs reprises en 2007 et en 2012 à la prison de Strasbourg. Elle a connu de nombreuses autres maisons d’arrêt françaises. Elle estime ainsi que l’établissement strasbourgeois se distingue par « ses surveillants pas très humains, même si j’imagine qu’ils répondent ainsi à des comportements à leur encontre » :

« J’ai vu des femmes passer le portique de détecteur de métaux et sonner trois fois. Elles n’ont pas pu aller au parloir, sans explication. Je me souviens d’une femme qui s’est fait refuser le parloir pour moins de cinq minutes de retard, alors qu’elle venait de loin. On lui a fermé la porte au nez. Elle est restée devant, en pleurs. Un dernier exemple qui me vient : le goûter. Dans toutes les maisons d’arrêt, sauf celle de Nancy et Strasbourg, on m’a toujours laissé emmener le goûter pour les enfants… »

L’épouse d’un détenu menottée au parloir

Épouse d’un détenu de la maison d’arrêt de Strasbourg, Mélanie (le prénom a été modifié) aborde très vite l’impact de cette détention et des visites sur son fils, traumatisé par l’incarcération de son père et la violence des parloirs :

« Je me suis déjà fait engueuler pour un sachet de bonbons que j’avais laissé à mon fils pendant le parloir. Le surveillant lui avait arraché le sachet des mains. Ils auraient pu me parler tranquillement, je leur aurais donné les bonbons. Mais ils n’ont pas de respect, ni pour les détenus, ni pour leur famille. »

Autre scène sans aucun doute traumatisante pour cet enfant, vécue à la fin des années 2010 au parloir de la maison d’arrêt de Strasbourg : Mélanie s’apprête à quitter la prison lorsqu’elle est menottée et placée avec son fils en garde à vue au commissariat de Strasbourg.

« On m’a prise pour m’entendre dans le cadre d’une enquête sur mon mari. Mais pourquoi ne pas m’avoir convoquée ? Je serais venue. Là c’était humiliant pour une mère d’être menottée devant son fils. »

Un parloir « sale », « sans intimité », « beaucoup trop petit »

Plus généralement, tous les proches de détenus se plaignent d’un parloir « sale », « sans intimité » ou « beaucoup trop petit ». « On parle tout doucement, comme on sait que tout est entendu, on ne va pas crier “je t’aime” devant les surveillants et les autres visiteurs », raconte Mélanie. « Le parloir fait moins de deux mètres sur deux mètres, affirme Claudia, il y a à peine de la place pour deux chaises. Quelqu’un de claustrophobe ne tiendrait jamais dans cet endroit. » Pour Anna, ce sont les passages réguliers des surveillants dans chaque parloir qui sont éprouvants :

« J’ai connu des maisons d’arrêt où on nous laissait notre intimité. Ici, les surveillants sont à l’affût de la moindre chose illégale. Ils vous épient, pour voir si vous essayez de passer du stup’ ou si vous avez des relations sexuelles. »

Constatant encore à ce jour les difficultés des détenus et de leurs proches face au parloir de la prison strasbourgeoise, Anna songe à créer un collectif strasbourgeois. Cette structure serait notamment dédiée à l’information des prisonniers et de leurs familles sur leurs droits :

« Ce type de collectif existe ailleurs en France. Quand je vois ma méconnaissance sur nos droits au début de la détention de mon mari, je me dis qu’il faudrait en lancer un similaire à Strasbourg. »

Sollicitée, la communication de la direction interrégionale pénitentiaire n’a pas donné suite à notre demande d’interview.


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