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La préfecture n’avait pas le droit d’interdire de stade tout un groupe de supporters du Racing

Après s’être rendus à un match à Nîmes en train et non dans un cortège encadré en bus, une cinquantaine de supporters du Racing Club de Strasbourg s’étaient vus privés de matches à l’extérieur en 2019. Ces interdictions administratives de stade (IAS) ont toutes été jugées illégales et la préfecture a dû verser 6 600 euros.

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La préfecture n’avait pas le droit d’interdire de stade tout un groupe de supporters du Racing

Le 16 mars 2019, 88 supporters du Racing Club de Strasbourg étaient arrêtés en gare de Nîmes. En se rendant au match en train depuis Avignon, ils enfreignaient en partie un arrêté préfectoral qui interdisait plusieurs lieux « à toute personne se prévalant de la qualité de supporter » du Racing et « se comportant comme tel » de venir au match par leurs propres moyens et de circuler dans plusieurs lieux de la ville. Les supporters avaient pourtant caché tout signe d’appartenance à leur club fétiche. Ils ont tous été conduits à l’école de police de Nîmes puis renvoyés en Alsace sans assister à la rencontre.

L’histoire aurait pu s’arrêter là, mais à l’été 2019, 49 d’entre eux se sont vus notifier une interdiction administrative de stade (IAS) par la préfecture du Bas-Rhin. Une mesure de privation des libertés sans jugement prononcée par la préfecture à l’égard d’individus permise par des lois successives contre le terrorisme. Lors des déplacements du Racing à partir d’août 2019, les supporters devaient pointer au commissariat proche de leur domicile (lire notre article). Après des négociations avec le club, l’interdiction arbitraire, envisagée pour 6 mois, avait été ramenée à 3 mois.

L’interdiction annulée une première fois, puis en appel

Trois ans jour pour jour après l’arrestation collective à Nîmes, le groupe de supporters Ultra Boys 90 (UB90), a annoncé que toutes les IAS avaient été jugées illégales. En août 2020, seules 2 des 49 IAS avaient été validées selon le tribunal administratif de Strasbourg, les autres étant invalidées. Mais la majorité des personnes concernées, 44 supporters et supportrices, avait tout de même fait appel. Car en première instance, la préfecture n’avait pas été condamnée à verser les frais de justice à la partie gagnante.

Le 20 septembre 2021, la Cour d’appel de Nancy a confirmé l’illégalité de la mesure et, comme l’espéraient les supporters, elle a assorti sa décision de 150 euros de frais de justice par individu. « Sur un cas individuel, il y a généralement 1 500 euros de frais irrépétibles, là il y a eu une forme de mutualisation puisqu’il s’agissait des mêmes faits, présentés plusieurs fois », détaille l’avocat Pierre Barthelemy, spécialisé dans les questions de supporterisme et qui a défendu tous les dossiers strasbourgeois. Soit 6 600 euros à débourser par la préfecture du Bas-Rhin. Des frais « reversés à l’avocat qui s’est démené pour nous défendre », selon un communiqué des UB90.

Comme l’arrestation s’était déroulée dans un contexte pacifique, les juges ont notamment retenu que « la seule méconnaissance de cette mesure de restriction,[…] ne suffit pas à caractériser un acte grave, ni un comportement d’ensemble constitutif d’une menace à l’ordre public ». Sur ce point, « le cas strasbourgeois est classique, la jurisprudence est constante », commente Me Pierre Barthélémy.

Les recours « obligent les préfectures à verser de l’argent »

Ces recours peuvent paraitre vains, puisque ces interdictions sont annulées bien après leur effets par la justice. Mais il y a trois objectifs, explique Me Pierre Barthélémy :

« Ces décisions alimentent la jurisprudence et permettent donc de se défendre face à l’administration lorsqu’un supporter est visé par une IAS. De plus, une IAS est de 24 mois maximum et peut être portée à 36 mois si elle se répète. Donc l’annuler ne permet plus de l’invoquer lorsqu’une nouvelle procédure sanctionne “un comportement d’ensemble”. Enfin, cela oblige les préfectures à verser de l’argent. Elles n’ont pas de gros budget pour les IAS donc cela peut créer des résistances internes. S’ils ont l’assurance de perdre et mettent en parallèle tout le travail que cela va générer, comme produire une défense, les services juridiques peuvent freiner les demandes des policiers. »

Car dans le cas des UB90, l’avocat pointe directement vers la responsabilité des forces de l’ordre :

« Il y a eu une sorte de vendetta personnelle. Les policiers qui ont l’habitude de suivre les supporters leur ont dit droit dans les yeux qu’ils les feront payer pour leur geste et que la confiance était rompue. On n’explique pas bien pourquoi seulement une partie des participants ont eu une IAS, on peut supposer que le policier a donné le nom de tous les Ultra boys qu’il a reconnu et que les autres personnes n’étaient pas membres des UB ou venaient à titre exceptionnel. »

La supporters avaient célébré le triomphe de l’équipe avec des fumigènes. Photo : JFG / Rue89 Strasbourg

La déception de la nouvelle loi

Alors que « 75% des IAS sont cassées par la justice », les associations de supporters espéraient une évolution de ces règles d’exception après un rapport parlementaire de Sacha Houlié (LREM) et Marie-Georges Buffet (PCF) salué par le milieu. Mais pour Pierre Barthélémy, la « loi Sport » consécutive, votée en début d’année 2022, n’a rien changé à ces questions :

« Contrairement à la promesse initiale, environ 80% des sujets ont été escamotés, c’était juste pour dire qu’une loi a été faite. C’est une énorme occasion manquée car le rapport parlementaire était très complet avec des propositions très concrètes. On a été très déçu par la ministre des Sports Roxana Maracineau qui a empêché tous les amendements, sans vraiment développer d’arguments ou montrer qu’elle comprenait le sujet. »

Les lois relatives au sport étant rares à l’Assemblée nationale, les supporters devront reprendre un travail de lobbying pour qu’un créneau soit accordé aux IAS lors du futur quinquennat.


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