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À la prison de Strasbourg, les détenus en surnombre, le personnel en sous-effectif

Le sénateur écologiste Jacques Fernique a réalisé une visite surprise de la maison d’arrêt de Strasbourg jeudi 16 juin. Face à un personnel en sous-effectif, les détenus souffrent parfois de locaux vétustes et toujours d’une surpopulation carcérale de plus de 150%.

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À la prison de Strasbourg, les détenus en surnombre, le personnel en sous-effectif

« Huit mètres carrés, à deux, c’est petit. Le toilette n’a pas de porte, alors le voisin peut voir. » Aux ateliers de la maison d’arrêt de Strasbourg, Ardon (le prénom a été modifié) prend sa pause aux alentours de neuf heures, jeudi 16 juin. Un orangina, un café, une bretzel et un paquet de madeleine dans les mains, il décrit des conditions de détention difficiles tout en soulignant les points positifs de la prison strasbourgeoise : « La santé ça va, quand on demande c’est bien. Et l’école c’est aussi bien, maintenant je parle français et j’arrive presque à écrire. Là c’est le quatrième jour de ma formation en peinture du bâtiment. »

Aux ateliers de la maison d’arrêt de Strasbourg, Ardon (le prénom a été modifié) prend sa pause aux alentours de neuf heures, jeudi 19 juin. Photo : Abdesslam Mirdass / Rue89 Strasbourg

655 détenus pour 430 places

Un peu plus tôt dans la matinée, le sénateur écologiste Jacques Fernique s’est présenté devant l’entrée de la maison d’arrêt de Strasbourg (MAS). L’élu strasbourgeois use ainsi de son droit de visite des lieux de privation de liberté, comme il l’a fait pour le centre de détention d’Oermingen. Lorsque le nouveau directeur de l’établissement pénitentiaire Saïd Kaba arrive sur son lieu de travail, l’homme en costume peine à dissimuler sa gêne face à cet imprévu. Le petit groupe patiente une bonne demi-heure avant de pouvoir entrer dans la prison : « Le poste d’entrée est tout nouveau, il faut encore qu’on s’y habitue », s’excuse presque un surveillant.

Saïd Kaba (à gauche), directeur de la maison d’arrêt de Strasbourg, rencontre le sénateur écologiste Jacques Fernique (à droite), à l’entrée de la prison. En arrière-plan, Florian Kobryn, conseiller départemental écologiste à Strasbourg. Photo : Abdesslam Mirdass / Rue89 Strasbourg

Jeudi 16 juin, la prison strasbourgeoise enferme 655 détenus, dont 26 femmes et 13 mineurs. La MAS dispose de 430 places opérationnelles pour les personnes en attente de leur jugement ou condamnées à des peines inférieures à deux ans. Elle présente donc une surpopulation carcérale de plus de 150%, supérieure à la moyenne nationale pour les maisons d’arrêt où le taux moyen d’occupation atteint 139% selon un rapport de l’Observatoire International des prisons, rendu public le 16 juin 2022. L’organisation y somme la France de mettre fin à sa surpopulation carcérale chronique.

Ici, huit détenus suivent une formation de peintre en bâtiment. Photo : Abdesslam Mirdass / Rue89 Strasbourg

« Les cellules individuelles, ça n’existe nulle part »

À Strasbourg comme ailleurs en France, la prison ne respecte pas la loi française, comme l’indique sur le ton de l’évidence un officier de la maison d’arrêt : « En Europe, on est censé avoir des cellules individuelles, mais ça n’existe nulle part. Ici au moins, il n’y a pas de matelas par terre, comme en Seine-Saint-Denis où j’ai connu des cellules à trois ou quatre matelas pour neuf mètres carré. » Représentant du personnel du syndicat UFAP, Mickael Anselle estime que le pire est à venir :

« 650 ça se tient, on arrive à gérer. On a été un peu tranquille pendant le covid, parce que la justice fonctionnait au ralenti et des détenus ont eu des libérations anticipées. Mais là, le cours normal des choses reprend et il y a plus d’entrées que de sorties. J’ai déjà connu la maison d’arrêt de Strasbourg avec 800 détenus. » 

Un officier de la maison d’arrêt de Strasbourg à côté des cartons pliés par les détenus. Photo : Abdesslam Mirdass / Rue89 Strasbourg

La promiscuité, c’est le premier souci évoqué par nombre de détenus. L’un raconte l’histoire d’un voisin qui ne supporte plus de partager sa cellule avec un homme qui a tenté de se suicider dedans. Aron se plaint de l’enfermement qui dure 22 heures sur 24 si l’on n’est pas inscrit à des activités et qu’on ne travaille pas. Une seule sortie promenade est prévue dans la journée. Un officier de la MAS indique que depuis le Covid, les détenus ne sortent plus qu’une fois par jour deux heures, contre deux fois une heure par le passé.

« Les maisons d’arrêt surpeuplées vieillissent plus vite »

Comme le résume le directeur Saïd Kaba, « les maisons d’arrêt surpeuplées vieillissent plus vite. On essaye de maintenir en état. Nous sommes obligés de faire les travaux selon là où c’est le plus urgent ». Les différentes sections de la prison présentent des états de délabrement variables. Dans le quartier pour femmes, l’unique cellule ouverte laisse voir un sol propre et du mobilier récent. De même dans une cellule du quartier hommes, un retraité ne se plaint de rien sauf de la rupture de stock pour les biscuits fourrés et les cacahuètes : « Je voulais en offrir à l’aumonier pour sa prochaine visite. »

Mais dans le quartier pour mineur (seul endroit où les cellules sont individuelles et équipées d’une douche), une cellule vide présente des sanitaires dans un état de délabrement avancé. Le robinet et son tuyau peuvent aisément être soulevés. Dans un couloir, certaines parties du mur sont décrépites, d’autres ont une couleur de moisi.

Interrogé sur les propos d’un détenu indiquant que les toilettes de sa cellule n’ont plus de chasse d’eau depuis deux semaines, le chef de la prison strasbourgeoise assure qu’une telle situation « n’arrive pas tout le temps », avant de déplorer le sous-effectif au sein du personnel :

« Mon directeur technique devrait avoir deux adjoints techniciens pour intervenir sur place. L’administration pénitentiaire (un service du ministère de la Justice, NDLR) a accepté d’ouvrir un poste mais je n’ai pas le temps de m’occuper du recrutement parce qu’il me manque aussi deux directeurs. Concernant les surveillants, il me manque 17 personnels, 13 sont en arrêt maladie et j’ai quatre postes non-pourvus. »

Une visite guidée là où la maison d’arrêt fonctionne le mieux

Si le petit groupe a débarqué ce matin sans prévenir, la visite n’en reste pas moins guidée. En présence du directeur d’établissement, un officier de la MAS oriente vers les sections qui fonctionnent le mieux. Il y a tout d’abord les ateliers où une trentaine de détenus travaillent pour les entreprises Würth, Cartonnages d’Alsace ou Éco-idée. C’est ici qu’Ardon se forme à la peinture en bâtiment avec sept autres personnes. Un peu plus loin, une dizaine de prisonniers s’affairent à plier des cartons. Récemment, la maison d’arrêt a perdu les postes de Heineken. Le groupe brassicole a décidé de passer aux capsules métalliques pour fermer les bières Fischer. Dès lors plus besoin de détenus pour installer la fermeture mécanique propre aux bouteilles Fischer.

La visite se poursuit avec le quartier pour femmes. Elles sont 26 à y vivre, réparties dans 19 chambres au bout d’un couloir agrémenté de quelques plantes. Dans la bibliothèque, cinq femmes préparent un concours d’éloquence qui aura lieu la semaine prochaine. Une surveillante ouvre une cellule vide, laissant voir des locaux propres. Interrogée par une collaboratrice parlementaire de Jacques Fernique, elle affirme que la distribution de serviettes hygiéniques est gratuite depuis quelques mois. Employée de la MAS depuis 16 ans, elle déplore aussi le manque de personnel face à des besoins croissants : « Là on a 26 détenus, mais d’habitude on s’approche plus souvent des 35… Nous avons de plus en plus de travail avec un effectif de personnel constant. »

L’entrée du quartier pour femmes de la maison d’arrêt de Strasbourg. Photo : Abdesslam Mirdass / Rue89 Strasbourg

Quartier pour mineurs et unité sanitaire

Tout le drame de la surpopulation carcérale et des locaux vétustes, c’est qu’ils tendent à effacer les efforts de nombreux personnels investis dans leur mission. Au quartier pour mineurs, l’officier Samuel Thomann parle avec passion et sincérité du travail « avec ces jeunes, qui sont souvent multirécidivistes mais qui restent des enfants avec des rêves et un bon fond ». Le responsable vante notamment la collaboration avec l’Éducation nationale au niveau de l’enseignement et la Protection judiciaire de la jeunesse pour un accompagnement social et psychologique.

Distribution du déjeuner dans le quartier pour mineurs de la maison d’arrêt de Strasbourg. Photo : Abdesslam Mirdass / Rue89 Strasbourg

Magali, cadre de santé, décrit l’activité de son unité sanitaire ouverte sept jours sur sept entre sept heures et 19 heures : un médecin minimum est présent chaque jour, ainsi que des infirmières et une dentiste. « On est là pour permettre à la maison d’arrêt d’être autonome sur les petites pathologies », complète le docteur Özdemir. Depuis mars 2022, le personnel médical a cessé son activité d’astreinte la nuit. « En cas d’urgence, on appelle le 15 », explique le directeur de la MAS.

L’unité sanitaire de la maison d’arrêt est ouverte sept jours sur sept entre sept heures et 19 heures : un médecin minimum est présent chaque jour, ainsi que des infirmières et une dentiste. Photo : Abdesslam Mirdass / Rue89 Strasbourg

« La bouteille d’eau est autorisée en sortie seulement en période de canicule. »

Difficulté supplémentaire pour les détenus et le personnel : la canicule qui commence toujours plus tôt. Les prisonniers seront d’autant plus impatients d’avoir leur quart d’heure de douche autorisé tous les deux jours. Avec la promiscuité, les relations entre eux et avec le personnel seront aussi plus tendues. Dans sa cellule, un homme estime « être moins bien traité que les animaux du zoo » et raconte qu’il leur est interdit d’emmener une bouteille d’eau lors de l’unique sortie quotidienne autorisée. Il déplore le robinet d’eau défectueux dans sa cour de promenade. Interrogé sur ce point, Saïd Kaba, le directeur de la MAS, répond sous un soleil de plomb et près de 30°C : « La bouteille d’eau est autorisée en sortie seulement en période de canicule. »


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