Le 14 avril 1942, Marcel Weinum, un étudiant strasbourgeois de 18 ans, est décapité à Stuttgart. Condamné à mort par les nazis pour avoir tenté d’assassiner le gauleiter Robert Wagner à Strasbourg l’année précédente, il est une des rares figures de résistant connue en Alsace. Le fondateur du groupe de La Main noire n’est, toutefois, pas le seul Alsacien à s’être opposé au régime nazi.
Dès l’automne 1940, quelques semaines seulement après la défaite de l’armée française, des groupes clandestins s’organisent. Cheftaine des guides de France, Lucienne Welschinger fonde avec plusieurs amies, toutes engagées dans le scoutisme, l’équipe Pur-Sang. Dans un premier temps, elles fournissent une aide matérielle aux prisonniers de guerre français détenus en Alsace. Mais rapidement, elles mettent à profit leurs connaissances des itinéraires de randonnée dans les Vosges pour organiser des évasions vers la France.

Pour l’historien Jean-Claude Richez, qui publie l’ouvrage collectif « Résistantes et résistants strasbourgeois », « le scoutisme joue un rôle important dans les parcours de résistants en Alsace et ailleurs. Les valeurs, l’autonomie et la sociabilité scoute favorisant l’engagement des personnes. »
L’équipe Pur-Sang développe un important réseau et fait évader 250 prisonniers jusqu’en 1942. Paul Widmann, un architecte strasbourgeois, fournit les faux papiers nécessaires aux fugitifs. Lui s’est engagé dès l’annexion dans le réseau Hector, créé par des militaires français pour espionner l’armée allemande en zone occupée. Aidé par son épouse et un solide réseau de contacts, il fournit des renseignements au régime de Vichy, puis aux alliés.

La résistance se développe malgré tout
La nazification à marche forcée de l’Alsace complique la tâche de ces premiers résistants. « Le parti nazi et les structures de masse sont implantées, tout l’appareil de contrôle et de répression est en place très tôt », explique Jean-Claude Richez. Malgré cela, des organisations clandestines se structurent. La Septième colonne d’Alsace et le vétérinaire Charles Bareiss développent d’importants réseaux de renseignements et d’évasions. À Strasbourg, La Main noire multiplie les actions de propagande antinazie. En 1941, ils sont rejoints par le Front de la jeunesse alsacienne constitué par des étudiants strasbourgeois. Ces derniers diffusent en 1942 des milliers de tracts invitant les jeunes alsaciens à refuser l’incorporation de Force.


En 1941, le Parti communiste fait son retour en Alsace annexée. Georges Wodli, un ancien révolutionnaire de novembre 1918 et cadre du parti, est envoyé clandestinement à Strasbourg pour organiser la Résistance. « Wodli met en place son réseau en contactant des anciens camarades du Parti et des syndicalistes, explique Jean-Claude Richez. Ce réseau s’appuie sur les cheminots et s’étend rapidement dans toute l’Alsace, jusqu’en Moselle. » Ces résistants communistes mènent des actions de sabotage et font du renseignement. Georges Wodli fera même paraître une édition bilingue et clandestine de L’Humanité.

« Les nazis cherchent à briser tout mouvement de contestation. »
Jean-Claude Richez, historien
En mai 1941, le groupe de La Main noire tente d’assassiner Robert Wagner en jetant des grenades sur sa voiture. La répression s’abat alors sur les jeunes résistants. Marcel Weinum est arrêté et condamné à mort et Ceslav Sieradski est exécuté d’une balle dans la nuque au camp de Schirmeck. En mars 1942, c’est l’équipe Pur-sang qui tombe à son tour. « Les Allemands se rendent alors compte de l’importance de ces réseaux, explique Jean-Claude Richez. Avec la mise en place de l’incorporation de force, les nazis cherchent à briser tout mouvement de contestation. » Les condamnations se veulent exemplaires. Ainsi, en janvier 1943, Lucienne Welschinger et Paul Widmann sont condamnés à mort. Ils n’évitent la peine capitale que suite à des pressions diplomatiques du Maréchal Pétain et du Vatican.

Georges Wodli n’a pas cette chance, il décède sous la torture le 2 avril 1943 au siège de la Gestapo à Strasbourg. Au printemps, c’est le réseau de Charles Bareiss qui tombe puis à l’été le Front de la jeunesse alsacienne. Le 15 juillet 1943, six jeunes sont fusillés, poursuit l’historien :
« Jusqu’à mi-1943, il y a un mouvement de refus du nazisme en Alsace qui est palpable, mais il va être cassé par la répression. Des centaines de personnes sont arrêtées. »
Ceux qui échappent aux arrestations plongent plus profondément dans la clandestinité et se concentrent sur le renseignement, une activité beaucoup plus discrète que l’aide aux évasions, les sabotages et la propagande. Au moment où la Résistance dans le reste de la France se structure et se renforce, les mouvements alsaciens, eux, sont brisés.

« Déserter une armée criminelle, c’est résister. »
Jean-Claude Richez, historien
À partir d’août 1942, les jeunes alsaciens sont incorporés de force dans l’armée allemande. Le refus du nazisme va alors prendre un tournant plus individuel, nombre de jeunes alsaciens tentent de fuir et le payent de leur vie. En février 1943, 18 incorporés de Ballersdorf essayent de passer en Suisse. Interceptés par des garde-frontières, trois sont tués sur place et 14 exécutés dans les jours suivants.
La répression s’entend aux familles des réfractaires et beaucoup d’Alsaciens n’ont d’autre choix que d’accepter leur sort. Cependant, certains manifesteront leur refus jusque dans les rangs de l’armée, comme l’explique Jean-Claude Richez :
« Il y a eu des actes d’insubordinations, de sabotages et surtout des désertions. Pour moi, déserter une armée criminelle, c’est aussi résister. »

Parmi ces déserteurs, certains rejoignent des maquis en Europe de l’Est ou en France. D’autre trouvent refuge en Alsace, cachés par leur famille ou dans les Vosges. « Ils profitent d’une permission pour ne pas rentrer dans leur unité et se cachent, détaille Jean-Claude Richez. On voit ainsi émerger de petits maquis. » Le plus important d’entre eux, à Volksberg, est démantelé en octobre 1944 :
« Quand les armées alliées arrivent, certains déserteurs sortent de leurs caches et rejoignent les forces françaises de l’intérieur pour combattre à leur côté. Il ne faut pas croire que ce sont des résistants de la dernière heure, ils ont pris des risques pour échapper à l’armée allemande et dès qu’ils ont pu rejoindre les alliés, beaucoup l’ont fait. »
Il en va de même pour les Alsaciens réfugiés en Suisse et dans le reste de la France qui se joignent aux armées de la libération à partir de l’été 1944.
Une mémoire empêchée par sa complexité
De nombreux Alsaciens se sont aussi engagés contre le nazisme depuis la France où ils se sont repliés en 1939. L’Université de Strasbourg, installée à Clermont-Ferrand, reçoit la médaille de la Résistance pour le combat de ses étudiants et personnels. Les juifs alsaciens expulsés en 1940 vont occuper une place importante dans les réseaux de la Résistance juive. Plus généralement, on retrouve des Alsaciens les armes à la main dans les maquis de France. La brigade Alsace-Lorraine dirigée par André Malraux, en rassemble 1 500 à partir de septembre 1944 et participe aux combats dans les Vosges et en Alsace.

Toutes ces dimensions complexifient le récit autour de la Résistance des Alsaciens. Pour Jean-Claude Richez, il est difficile d’en saisir l’ampleur tant ces engagements prennent des trajectoires différentes :
« C’est une résistance totalement éclatée. Résister en Alsace sous domination nazie, résister dans une armée nazifiée ou résister depuis la France occupée, ce ne sont pas les mêmes expériences. C’est difficile de construire une mémoire à partir d’engagements aussi différents. »
L’historien ajoute que les formes qu’a pris la Résistance en Alsace cadrent peu avec un récit national centré sur les maquis et l’action armée, invisibilisant pendant longtemps la contribution des Alsaciens à l’histoire de la Résistance.
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