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Selon une étude d’Alsace Nature, les fabricants de pesticides omettent des données de toxicité sur leur étiquetage européen

Les produits phytosanitaires ont un étiquetage officiel qui rend compte de leur toxicité. En comparant les étiquettes avec les informations d’autres bases de données scientifiques, Alsace Nature a découvert de nombreux risques non-répertoriés sur l’étiquetage européen des pesticides.

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Selon une étude d’Alsace Nature, les fabricants de pesticides omettent des données de toxicité sur leur étiquetage européen

« L’information officielle sur la toxicité des pesticides à long terme est tronquée » C’est le nom d’une étude publiée le 20 mai par Anne Vonesch, vice-présidente d’Alsace Nature, avec l’aide d’autres membres de l’association environnementaliste. La médecin de formation donne un exemple de ses découvertes : « Selon une base de données universitaire anglaise, le cyflufenamid est toxique pour le foie et les reins. Ceci n’est pas signalé par l’étiquetage officiel européen. » Un long listing de conclusions similaires apparaît sur 41 des 109 pages du rapport. Anne Vonesch travaille dessus depuis plusieurs mois :

« Il est nécessaire de confronter le discours des autorités qui disent maîtriser les risques liés à l’usage des pesticides à la réalité des dangers potentiels qu’encourt la population. »

Une étude localisée aux alentours de Molsheim

Concrètement, Anne Vonesch a sélectionné les 72 produits phytosanitaires les plus vendus sur le secteur du code postal 67120. La zone se situe aux alentours de Molsheim, où la vigne et des céréales sont cultivés. La médecin de formation a également retenu 20 produits achetés dans des quantités inférieures, portant le total de produits analysés à 92 : 30 herbicides, 55 fongicides, 6 insecticides et 1 régulateur de croissance.

Chaque produit est composé de deux à trois substances chimiques. Les substances et produits chimiques commercialisés sont sujets à des études de toxicité. En Europe, la réglementation sur le système d’étiquetage impose des formulations officielles pour rendre compte de tous les dangers potentiels. En clair, lorsqu’un agriculteur européen achète un produit, il a des indications sur la toxicité de chaque substance qui compose le produit, et sur la toxicité du produit quand les substances agissent ensemble.

8% de substances cancérogènes selon l’étiquetage, 48% selon d’autres sources

Ces indications officielles, destinées aux utilisateurs, ont été comparées à des informations sur la toxicité de ces mêmes substances et produits d’autres bases de données. Les auteurs de l’étude ont surtout utilisé le Pesticides Properties DataBase (PPDB) de l’Université de Hertfordshire en Angleterre et la base de données canadienne SAGEpesticides (SAGE). L’écologiste déplore « un immense décalage » entre ces différentes sources :

« 8% des substances et 14% des produits observés induisent un risque cancérogène selon l’étiquetage officiel. En cumulant les données des autres sources, on arrive à 48% des substances et 63% des produits induisant un risque cancérogène.

Pour ce qui est de l’effet toxique sur la reproduction et/ou le développement, seuls 20% des substances et 22% des produits sont officiellement suspectés d’être dangereux. Mais en incluant d’autres bases de données, on arrive à des indications de danger pour 78 % des substances et 84 % des produits.

Les effets de perturbateur endocrinien, de toxicité sur le foie et les reins, et les effets neurotoxiques ne sont jamais mentionnés dans les fiches des phrases de danger officielles (alors qu’ils existent pour près de la moitié des produits et substances analysés, ndlr). »

« Les fabricants réfutent des effets toxiques »

Selon Anne Vonesch, de telles différences peuvent exister car « les fabricants de pesticides mobilisent des arguments pour éviter des classifications qui pourraient porter préjudice aux ventes. » Avec une enquête retentissante, Le Monde a prouvé en 2017 que Monsanto avait manipulé des études scientifiques pour contrer les données sur la toxicité d’un des produits phares de la firme américaine : le glyphosate.

Dans les interprétations des résultats, Anne Vonesch explique pourquoi les fabricants de pesticides rejettent la classification de certains produits phytosanitaires comme toxiques :

« Les industriels réfutent régulièrement des effets toxiques observés chez des animaux sous prétexte qu’il n’y a pas de preuves suffisantes pour dire qu’ils apparaîtraient aussi chez l’être humain. Un cas parmi d’autres, la fiche de sécurité du produit ELATUS ERA indique que des tumeurs apparaissent chez plusieurs espèces animales après exposition, mais qu’il n’y a aucune preuve que les mêmes effets seraient observés chez l’être humain. »

Selon une association de médecins, les pesticides sont un problème de santé publique

Anne Vonesch a mené cette étude en tant que responsable Agriculture d’Alsace Nature « en connaissant les enjeux autour de la communication sur les intrants agricoles. » Elle a voulu « œuvrer pour la transparence sur la toxicité des pesticides afin d’alerter les citoyens et leur donner des outils supplémentaires pour qu’ils s’approprient cette problématique. » Consciente de « s’attaquer à un gros morceau », elle s’attend à ce que l’étude soit critiquée par des industriels.

Des champs en agriculture intensive en Alsace, avec un tracteur qui épand des pesticides au loin. (Photo TV / Rue89 Strasbourg / cc)

Rémy Mazurier, médecin généraliste à Strasbourg, est membre du conseil d’administration de l’association Alerte des Médecins sur les Pesticides. Pour lui, « il est évident » que de nombreuses personnes développent des maladies à cause des pesticides, qui sont « un grave problème de santé publique » :

« Des études mettent en évidence que les troubles du neuro-développement, certaines maladies comme Parkinson, ou des cancers, explosent statistiquement chez des populations situées à proximité de zones d’épandage. Le problème, c’est que les industriels rétorquent que c’est juste une corrélation, et que le lien de cause à effet n’est pas prouvé. Mais c’est impossible de le démontrer. Cela induirait de faire des études de toxicité directement sur l’être humain. »

« Techniquement, c’est possible de sortir de ce modèle »

Ainsi, une étude publiée en 2014 dans la revue Environmental Health montrait qu’une femme enceinte qui vit près d’une exploitation utilisant certains pesticides a 66% de chances en plus que son enfant naisse autiste. C’est juste une corrélation, c’est-à-dire que le lien de cause à effet direct entre l’épandage de pesticides et la maladie développée n’est pas prouvé.

Mais les agriculteurs, « qui utilisent les produits phytosanitaires professionnellement sont très concernés, » explique Rémy Mazurier. Selon l’étude AgriCan, actualisée en décembre 2019, les travailleurs agricoles ont plus de chance de développer des cancers comme les myélomes (+25% de chances chez les agriculteurs) ou les lymphomes (+47%).

Le tracteur diffuse un pesticide de la catégorie des néonicotinoïde dans son champ. Cet insecticide est notamment fortement responsable de la chute des populations d’abeilles. (Photo TV / Rue89 Strasbourg / cc)

Daniel Starck, producteur bio à Seebach dans le Nord de l’Alsace et syndiqué à la Confédération paysanne, « sait que tout n’est pas transparent au sujet des pesticides et de leurs impacts » :

« C’est pour cela que je n’en utilise pas. Cela ne m’étonne pas qu’il y ait des tromperies de la part des fabricants. Ils jouent avec notre santé. Il faut tout faire pour sortir de ce modèle. De vraies solutions agronomiques existent pour garder des sols fertiles et avoir une bonne production sans les intrants. Le problème, c’est que cela n’est pas suffisamment encouragé par la politique agricole commune (PAC). Si cette situation perdure, c’est parce que des industriels font de l’argent en vendant des pesticides. Mais globalement, leur utilisation massive et l’agriculture intensive, qui vont de pair, sont nocifs pour les agriculteurs et pour la population en général. »


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