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Après onze années à sa tête, Renaud Herbin prêt à transmettre un TJP transformé

Renaud Herbin s’apprête à boucler onze années à la tête du théâtre TJP. La structure a évolué d’un théâtre jeune public en un centre dramatique national, en recherche autour de l’objet et du vivant. Dans un entretien accordé à Rue89 Strasbourg, Renaud Herbin revient sur ces transformations et son obsession à faire coexister les disciplines et les publics, tout en renforçant les collaborations avec d’autres scènes strasbourgeoises. 

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Après onze années à sa tête, Renaud Herbin prêt à transmettre un TJP transformé

Riche de son expérience d’artiste formé à l’École supérieure nationale des Arts de la Marionnette de Charleville-Mézières, Renaud Herbin est devenu directeur du Théâtre jeune public en 2012, qu’il a renommé très rapidement après en « Théâtre TJP » en référence à son histoire, accolé de la distinction Centre dramatique national (CDN). Il a choisi d’y développer des spectacles pluridisciplinaires mêlant théâtre d’objet, chorégraphies et arts visuels selon une relation corps-objet-image qu’il a lui même développé au sein de ses spectacles. Il laissera la place à son successeur en janvier. Entretien.

Rue89 Strasbourg : Vous allez quitter la direction du TJP – CDN Strasbourg dans quelques mois. Dans quel état d’esprit êtes-vous ?

Renaud Herbin : Ce n’est pas une décision inattendue, mais un processus naturel pour les centres dramatiques nationaux dirigés par des artistes. Nous pouvons faire trois mandats maximum, prolongeables d’un an éventuellement (ce qu’il a fait, NDLR). J’ai donc eu le temps de me préparer à ce départ. Mon successeur est en train d’être nommé par un conseil constitué de représentants de l’État, de la Ville de Strasbourg, de la Région Grand Est et de la Collectivité d’Alsace, les financeurs de la structure. Cette personne devrait ensuite prendre ses fonctions au 1er janvier. Le but est que la transition se passe en douceur et qu’elle ait le temps d’arriver et d’élaborer son propre projet pour la suite. C’est donc encore moi qui me suis occupé de toute la programmation 2022 / 2023, de cette rentrée juqu’à juin. 

Dans ses spectacles et sa programmation, Renaud Herbin aime ouvrir les horizons de l’art de la marionnette en le mêlant avec d’autres disciplines. Photo : Benoit Schupp / doc remis

Le TJP va fêter ses 48 ans. Vous l’avez dirigé pendant onze ans : quel bilan tirez-vous ?

Je suis en train de faire de l’ordre dans les archives pour préparer la place pour la future directrice ou le futur directeur. C’est assez vertigineux de se poser et de voir qu’en onze ans, nous avons accueilli près de 500 représentations et accompagné les créations d’artistes locaux, mais également de tous horizons. Pour cela, nous avons déployé une énergie formidable qui a été saluée par un public toujours présent. Nous avons eu la possibilité d’essayer beaucoup de choses. 

« Ne pas s’enfermer sur la question de l’âge »

Certaines n’ont pas très bien marché, d’autres ont été de magnifiques expériences. Je repense en particulier aux Rencontres internationales corps-objet-image, dont nous avons organisé quatre éditions. Chaque fois, près de 80 étudiants d’écoles d’art se sont retrouvés pendant cinq jours pour créer ensemble. De très belles rencontres ont eu lieu à ce moment-là et certains ont continué par la suite à travailler ensemble !

Pendant vos trois mandats, le TJP, auparavant dédié aux spectacles jeune public, a beaucoup évolué vers des productions plus hétéroclites. Avez-vous souhaité vous libérer de certaines contraintes ?

Chaque nouvelle direction amène sa propre sensibilité et ses projets. En arrivant en 2012, j’ai souhaité continuer à parler au jeune public, sans m’enfermer pour autant dans la question de l’âge. Je pense que les mélanges générationnels et sociaux sont très importants dans les salles de spectacle. De la même manière je n’aime pas enfermer une discipline – comme les marionnettes ou la danse par exemple – mais les mélanger. 

Bien sûr, nous continuons à proposer des spectacles pour les plus jeunes et nous faisons un travail de recommandation en indiquant toujours à partir de quel âge nous conseillons une œuvre, en fonction de sa durée et de son contenu. Et nous sommes très heureux de toujours accueillir beaucoup de publics scolaires. 

En onze ans, le TJP a programmé près de 500 représentations et accompagné les créations d’artistes de tous horizons lors de résidences. Photo : Benoit Schupp / doc remis

Qu’en est-il de la relation corps-objet-image que vous mentionnez comme étant le fil conducteur de vos programmations ?

La relation corps-objet-image est un point de départ pour qualifier les arts de la marionnette de manière très large. En 2022, quand on parle de marionnettes, il n’est plus uniquement question de sa forme figurative et articulée, mais bien d’une discipline qui déborde sur l’art chorégraphique et le théâtre d’objet. C’est une manière de questionner les fils qui relient les êtres et les choses, la manière dont les énergies circulent et se répondent dans la vie et sur scène. Ce concept permet aux arts de se rencontrer. C’est devenu une des missions du TJP : être un centre de création qui accueille et permet la rencontre entre les artistes de cirque, de danse, de théâtre… et, bien sûr, avec le public. 

Au sujet du public justement : votre dernier mandat a été marqué par la fermeture des espaces culturels à cause du Covid. Comment avez-vous maintenu puis reconstruit cette relation avec les spectateurs ?

J’ai toujours eu à cœur d’impliquer un maximum le public, l’amener à investir les espaces de création. Pendant la période Covid, le public, mais aussi les artistes et toute l’équipe du théâtre a été très touchée par de longues périodes de fermeture. C’était une étape très frustrante, mais qui nous a aussi forcé à nous poser certaines questions : À quoi doivent servir les centres dramatiques ? Quelle place l’art prend-il dans une société dans laquelle il est jugé « non-essentiel » ?

Des « chantiers » pour approfondir le rapport à l’art

Pour garder le lien avec le public, nous sommes sortis du théâtre, avons organisé des randonnées, des repas avec le public et les artistes. Aujourd’hui, le fonctionnement du théâtre revient peu à peu à la normale et nous proposons aux spectateurs de tout âge de se lancer dans nos Chantiers – des ateliers accessibles en famille ou aux adultes organisés en parallèle de certains spectacles afin d’approfondir son rapport à l’œuvre et à l’art. 

Renaud Herbin Photo : Benoit Schupp / doc remis

Quelle place a pris le TJP sur la scène strasbourgeoise selon vous ?

Nous avons beaucoup de chance car Strasbourg possède une très belle offre artistique et une grande densité de théâtre. En arrivant, il m’a paru essentiel de travailler à articuler tous ces projets. Loin d’un climat concurrentiel, nous avons chacun des forces complémentaires. Au fur et à mesure, nous avons pu développer de beaux partenariats sur certains événements. Par exemple, n’ayant pas de salle assez grande pour accueillir le spectacle de Marion Collé, Traverser les murs opaques en mai, nous le présentons au Maillon. Nous nous faisons également mutuellement découvrir des artistes, ou nous accueillons un même artiste sous plusieurs formes. 

Quels projets avez-vous pour la suite ?

Je vais pouvoir me consacrer à nouveau principalement à ma vie d’artiste ! Pendant onze ans, j’ai eu la double casquette de directeur et d’artiste, puisque j’ai continué à créer et à présenter des spectacles. C’est intéressant mais également très chronophage. Je vais pouvoir à nouveau écrire, prendre le temps dont les artistes ont souvent besoin pour nourrir leurs projets. Je vais poursuivre ce bout de chemin au sein de ma compagnie strasbourgeoise L’Étendue. J’ai des envies de créations et de tournées. Pour cela, je suis heureux de pouvoir bénéficier d’une aide financière prévue pour la sortie des directeurs de CND. Je n’exclus pas de revenir un jour à la direction d’un théâtre, car je sens que j’ai encore des choses à faire à cette place. L’avenir nous le dira !

Renaud Herbin présentera sa nouvelle création, À qui mieux mieux, du 6 au 12 octobre, sur le plateau du TJP. Photo : Benoit Schupp / doc remis

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