La consultation sur le tracé du futur tram vers Koenigshoffen touche à sa fin avec la réunion du jeudi 2 juin au centre sportif, en présence du maire de Strasbourg. Comme sur de nombreux dossiers où elle a engagé une consultation (rénovation des bains municipaux, réaménagement des quais), la municipalité a du mal à se défaire de l’image selon laquelle elle aurait tout décidé à l’avance et s’abriterait derrière une démocratie locale biaisée, pour ensuite appuyer ses décisions.
Quelle ligne prolonger vers l’ouest ?
L’arrivée du tram vers l’ouest est attendue de longue date, mais le choix du tracé fait débat. Si 5 variantes sont proposées (voir plus bas), il existe pour – faire simple – les partisans d’un prolongement de la ligne C à travers la place de la gare (en particuliers des associations de riverains, de défense de la nature et d’usagers des transports) et ceux d’un détournement de la ligne F, notamment à hauteur du Faubourg national (la municipalité).
Un des arguments longtemps avancé pour écarter l’hypothèse du prolongement de la ligne C est que la place de la gare, creuse car elle abrite un parking et une station de tram souterraine (lignes A et D), ne supporterait pas le poids de deux tramways.
La place de la gare serait assez résistante
Ce n’est pourtant par la conclusion d’une étude commandée par la CTS en 2012, que les associations n’ont reçue – sur insistance – qu’en mai 2016. Le parvis de la gare est divisé en 5 dalles de béton, posées côte à côte et indépendantes mécaniquement. Selon le cabinet Aracadis qui a réalisé les calculs, trois plaques ne posent aucun problème.
Il y aurait certes des fissures sur deux d’entre elles, mais non préjudiciables selon les normes. Pour la dalle numéro trois (au centre de la place) jugée défaillante, le cabinet « préconise » de ne faire circuler qu’une voie et de décaler les rails de l’autre de quelques mètres.
Ce n’est pas écrit, mais on pourrait imaginer un tronçon unique (comme sur 600 mètres à Illkirch-Graffenstaden), de séparer les voies avec un quai central (comme boulevard de la Victoire) ou des rails en arc de cercle pour répondre à ce besoin.
Une dalle déjà suspecte
Pour la cinquième dalle, près du terminus actuel, c’est plus compliqué. Arcadis constate « un déficit de ferraillage » sur cette dalle, pourtant refaite comme les autres en 2005/2006. La société s’interroge « si les plans [transmis] sont exacts » car cette dalle ne serait de toute façon déjà pas assez résistante « en configuration actuelle ».
Si des câbles d’acier introuvables par les ingénieurs d’Arcadis sont vraiment absents, un renforcement serait alors nécessaire. Un coût qui n’est pas chiffré dans l’étude mais avoisinerait « entre 50 000 et 100 000 euros maximum » selon l’avis d’ingénieurs sollicités. Dans une présentation diffusée en conseil de quartier, l’Eurométropole chiffre le coût de la rénovation de la place à… 5,8 millions d’euros.
Les travaux pour l’ensemble de l’extension de tramway sont budgétés à hauteur de 38 millions d’euros. Un renforcement de la dalle 5 à 100 000 euros vaudrait alors 0,02% du budget total.
Un an après les conclusions de 2012, l’Eurométropole (alors CUS) adoptait en juillet 2013 une délibération qui prévoit que le tram soit sur fer, de Wolfisheim à Vendenheim et surtout qu’il traverse la place de la gare, pour une mise en circulation en 2017. C’est alors un projet d’environ 150 millions d’euros qui est imaginé.
Un très vieux projet
Tout ceci est de l’histoire ancienne, les maires des communes du nord de Strasbourg élus en 2014 ne veulent plus de tram chez eux. Fin 2015, l’Eurométropole, après d’intenses arbitrages budgétaires, annonce que d’ici 2020, seule une amorce de trois arrêts vers l’entrée de Koenigshoffen sera effectuée. Dès ce moment-là, elle ne présente qu’un seul tracé, à savoir un « débranchement » de la ligne F, qui passerait à travers le Faubourg national.
Ce tracé ne convient pas à plusieurs associations, réunies dans le collectif « Pour le tram à Koenigshoffen ». En janvier, promis juré, les élus locaux annoncent qu’il y aura une consultation sur le tracé. Mais dans la première présentation deux options sur quatre, dont le prolongement du tram C, sont d’emblée présentées comme « non-retenues ».
Dans un rétropédalage de haut vol en avril, deux tracés (celui de la ligne C et une troisième variante pour la ligne F) sont réintégrés dans la concertation, prévue du 7 mars au 20 avril. Une concertation repoussée à juin, soit après l’élection législative partielle, car l’adjoint de quartier de Koenigshoffen Éric Elkouby (PS) était candidat et l’a d’ailleurs emporté.
En mai, une autre variante du collectif, plus chère mais plus ambitieuse, est ajoutée, soit cinq propositions en tout. Elle prévoit que la ligne F fasse la liaison entre la Laiterie et la gare. Cette proposition est chiffrée à 41 millions d’euros par les services de la Ville contre 34 pour la prolongation simple et 29 pour celle qu’elle préfère. Le collectif conteste l’estimation de ses propositions.
Proposition d’organisation par les associations
Par presse interposée ou dans les réunions organisées par les associations, l’argument de la non-faisabilité n’est plus autant avancé. Ce sont plutôt les questions de la réorganisation des boulevards et de la fréquentation de la ligne C qui sont désormais mises en avant par la municipalité.
Les tracés en débat
Il serait compliqué de faire cohabiter piétons, vélos, tramway, taxis et la ligne G du BHNS (bus à haut niveau de service, avec des voies dédiées) sur le boulevard de Metz. Cette interrogation est néanmoins tout autant valable pour la variante poussée par la municipalité, mais seulement sur la partie du boulevard de Nancy, comme le mentionnait une étude d’impact de la société Transitec, qui défend la ligne F (sans que la variante soit précisée) :
L’association des habitants du quartier gare (AHQG) est opposée au tracé de la ligne F car il passe par la rue du Faubourg national, dont le terre-plein central est l’un des rares lieux de vie du quartier. Olivier Mitschi, membre de l’AHQG, regrette que la réunion de jeudi, quelques jours avant la fin de la concertation le 7 juin, soit la première avec des élus :
« On a eu une première réunion officielle le samedi 16 avril de 9h à 13h. Il y avait peu de monde, mais c’était bien mené et honnête. Chacun a pu donner son avis. Il n’y avait que des techniciens, pas de politiques. La réunion du 2 juin est la première avec des élus. La consultation devait se terminer le soir même, alors que des avis des habitants sont censés en découler. Les autres événements et rencontres ont été organisés par les associations, il y avait beaucoup de monde. Pour le moment l’argument des coûts des travaux est opposé, mais ne prend pas en compte que nos propositions permettent de supprimer de lignes de bus qui seront redondantes et donc de diminuer les coûts du fonctionnement actuel du réseau. »
Les deux autres variantes du tracé de la ligne F (dont le débranchement se ferait au sud, rues de Rothau et d’Obernai ou rue de Wasselonne) présentent aussi des inconvénients : passer sous des ponts, s’insérer dans le trafic, des temps de parcours plus long, etc.
Dans la présentation PowerPoint de la Ville au conseil de quartier gare, dont celle de la réunion publique devrait s’approcher, seule la variante 2 (par la rue du Faubourg national) est présentée favorablement. La question du marché hebdomadaire à déplacer serait le seul frein. Dans les quatre autres diapositives, les inconvénients sont mis en exergue.
« Chacun a ses coûts d’objectifs » pour Roland Ries
Lors d’une conférence de presse préalable au conseil municipal le maire Roland Ries (PS) a fermé la porte au choix d’un autre tracé :
« Chacun a ses coûts d’objectifs. Les associations ont donné les leurs, nous avons les nôtres. Le tracé de la ligne F a un meilleur rapport des coûts et d’utilité sociale, pour dans un premier temps rejoindre l’Allée des Comtes puis l’allée François Mitterrand. »
Dans ces conditions, il est possible que la soirée de jeudi tourne à la séance de déminage des arguments des défenseurs du tracé par la gare. La parole du maire aura au moins le mérite de faire autorité, alors que les adjoints des deux quartiers concernés, Eric Elkouby et Paul Meyer ont parfois livré des versions différentes à leurs interlocuteurs.
Une ligne C déjà fréquentée
Autre argument, la ligne C est déjà très fréquentée alors que la ligne F, plus courte, dont tous les arrêts sont partagés avec les lignes B et C sauf un, est moins utilisée (20 000 passagers par jour contre 10 000 environ). Du coup, il y aurait trop de monde dans les trams, dont le nombre ne serait pas augmenté.
Sur ce point, c’est Pierre Ozenne, porte-parole du collectif pour le tram à Koenigshoffen, qui répond :
« Nous sommes d’accord que le nombre de passagers depuis la gare va augmenter dans les années à venir, par exemple avec l’abonnement CTS/TER intégré, même si la ligne n’est pas encore saturée. Notre plan propose de doubler le nombre de lignes avec le passage de la F. Surtout il permet d’envisager des extensions futures du réseau, alors que le tracé rue du Faubourg national est une dépense unique, sur laquelle rien ne pourra être ajouté. En l’état, un tram toutes les 10 minutes (contre 5 pour le tram C) pour un quartier aussi peuplé que Koenigshoffen n’est pas suffisant. »
À plus long terme, le réseau pourrait être prolongé vers le futur quartier d’affaires du Wacken et le Parlement européen. Cela serait l’amorce de lignes autour du centre, que plusieurs acteurs réclament dont la Chambre de Commerce et de l’Industrie (CCI) dans ses attentes pour l’accessibilité de Strasbourg, alors que les lignes vers le centre atteignent leurs limites.
Un investissement de court terme qui manque de vision d’avenir, c’est aussi l’avis de Laurent Py, ancien candidat UDI à la législative partielle, qui avait assisté à l’une des réunions du collectif pendant la campagne :
« Ce n’est pas en développant le réseau de tramway à coups de vermicelles que l’Eurométropole va se doter d’un réseau performant, sensé et répondant au développement. Il faut miser sur une desserte par trains légers sur l’étoile ferroviaire et compléter par un réseau de tramway maillé qui arrive enfin à « respirer » et s’adapte à la réalité de l’agglomération, sans tout concentrer dans un hypercentre étriqué. Cela demande certes des investissements importants, mais ce n’est qu’à ce prix que l’on arrivera à un développement équilibré. »
Sollicitée, la municipalité n’a pas souhaité donner plus de détails sur ses positions ou commenter l’étude d’Arcadis, réservant ses déclarations pour la réunion publique de jeudi 2 juin.
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