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Travail le dimanche : vers une censure du conseil constitutionnel ?

A la suite de l’action de l’Inspection du travail contre sept supermarchés ouverts le dimanche, trois avocats en charge de leur défense vont tenter de saisir le conseil constitutionnel via une question prioritaire de constitutionnalité. Si le juge des référés civils et la cour de cassation l’acceptent, ce serait la troisième fois en moins de six mois que la haute institution de la République serait saisie du droit local d’Alsace-Moselle.

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Travail le dimanche : vers une censure du conseil constitutionnel ?

Le code du travail, les dispositions locales d'Alsace-Moselle mises en cause (Photo FlickR / CC)


Me Nicola Fady est un récidiviste. Après avoir avec succès retoqué le droit local obligeant les artisans d’Alsace-Moselle à s’affilier à une corporation, l’avocat strasbourgeois retente une nouvelle fois le coup de la « question prioritaire de constitutionnalité » (QPC) avec l’affaire des supermarchés ouverts le dimanche. Il a transmis, avec deux autres confrères, au tribunal de Strasbourg des conclusions en ce sens, alors que doit se tenir ce mardi une nouvelle audience devant le juge des référés civils.

Bref rappel des faits. En septembre 2012, l’inspection du travail du Bas-Rhin constate l’ouverture le dimanche de petits supermarchés de quartier, employant des salariés et disposant parfois d’une enseigne nationale comme Carrefour. Considérant que cette atteinte au repos dominical est une infraction au code du travail, l’inspection engage des poursuites devant le juge des référés civils en janvier (lire ici l’article détaillant les débuts de la procédure). Mardi 29 janvier, les avocats des supermarchés demandent et obtiennent un report de l’audience, fixée à ce jour. Mais l’audience devrait être à nouveau reportée à une date ultérieure.

Laïcité et égalité en cause

En effet, trois avocats en défense ont l’intention de mettre en cause la constitutionnalité d’un article du code du travail sur lequel est basé la procédure, l’art. L3134-4 dispose :

« Les heures pendant lesquelles le travail a lieu sont déterminées, compte tenu des horaires des services religieux publics, par les dispositions statutaires qui ont réduit la durée des heures de travail et, dans les autres cas, par l’autorité administrative. Elles peuvent être fixées de façon différente pour chaque branche d’activité commerciale. »

Pour Me Nicola Fady, cette référence aux horaires des services religieux est l’expression d’une obsolescence du droit local, qui pourrait être rejetée par le conseil constitutionnel, au nom de la neutralité de l’État :

« L’État, dans sa fonction législative, institue lui-même une discrimination au profit des seuls salariés chrétiens dans la modulation des horaires de travail le dimanche. Plus précisément, le dimanche ne constitue en aucun cas le seul jour chômé sur un plan religieux pour toutes les religions puisque que seules des considérations issues de la religion chrétienne expliquent que le dimanche soit chômé. Le principe d’égalité devant la loi, corollaire du principe de laïcité, est également méconnu par l’article litigieux puisqu’un commerçant juif pratiquant ne travaillera pas le samedi, le commerçant musulman ne travaillera pas le vendredi et tous devraient en plus ne pas travailler le dimanche car il a été décidé par la loi qu’il est interdit d’ouvrir son commerce le dimanche pour permettre au commerçant chrétien… d’aller au culte ! »

Et si cet article est censuré, la procédure l’est aussi puisque l’inspection du travail se base sur un texte pris par la ville en 1917 en tant qu’autorité administrative et qui dispose :

« Dans le commerce, il est interdit, sauf les exceptions admises par les autorités compétentes, d’occuper les commis, apprentis, ouvriers, les dimanches et les jours fériés : dans les banques, agences, entreprises de transport, maisons de gros et autres bureaux du commerce, y compris les magasins de tabac et cigares, à part les exceptions citées ci-après. « 

Voir le texte de 1917 « police du repos dominical »

Lundi soir, l’inspection du travail n’avait pas encore pu produire sa réponse à ces requêtes en constitutionnalité. Le service de la Direccte (Direction régionale des entreprises, du commerce, de la concurrence, du travail et de l’emploi) va donc demander un report au juge des référés civils ce mardi. Lorsque l’audience se tiendra, le tribunal examinera la requête afin de vérifier qu’elle est directement liée au litige, que ce point n’a pas déjà été déclaré conforme au droit et qu’il estime « sérieuse » la question posée. S’il répond non à une de ces questions, l’affaire sera jugée au fond à Strasbourg.

Mais si le tribunal transmet la requête à la Cour de cassation, alors les plus hautes institutions juridiques de la République verront arriver sur leur bureau une nouvelle question sur la constitutionnalité du droit alsacien-mosellan, la troisième en moins de six mois. Après l’arrêt mettant fin à l’obligation de s’affilier aux corporations en décembre et l’audience, aujourd’hui même, sur le salaire des pasteurs payés par l’Etat, des législateurs pourraient commencer à penser qu’il est temps d’en finir avec ces exotiques dispositions locales.


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